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Afrique du sud : Commémoration du massacre de Sharpeville

Catégories: Afrique du Sud, Ethnicité et racisme, Histoire, Politique
Le 21 mars 1960, la police sud-africaine a ouvert le feu sur une foule de manifestants noirs qui participaient à un meeting politique organisé par le Congrès national africain (ANC) contre une loi qui limitait et contrôlait leurs déplacements. Le nombre de morts dans la banlieue de Sharpeville ce jour-là a été évalué à 69. Cet événement tragique est communément appelé depuis le massacre [1]de Sharpeville [1] [les liens sont en anglais].
Le massacre de Sharpeville a été la pierre angulaire de la résistance contre la politique de l'apartheid en Afrique du sud. Depuis le 21 mars 1994, cette journée est célébrée comme la Journée des Droits humains. Le 21 mars est aussi la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination [2] raciale [2]en mémoire de ce massacre.

Chaque année le 21 mars, Rethabile publie un poème pour rappeler le massacre de Sharpeville. Cette année, son poème pour Sharpeville est publié sur le blog Black Looks [3] :

Le jour où King a marché

de Selma à Montgomery,

Les cimes des arbres ont été secouées

comme dans une forêt et frissonnaient

pour cet homme qui avait traversé une ligne

de plusieurs siècles dans le sud, mais

encore plus au sud, nous, nous étions très préoccupés,

décidés que nous étions à vous briser,

mais vous nous avez renvoyés à nos ancêtres.

Naturellement, il n'y a jamais eu de questions :

Pourquoi leur tirer dans le dos? Pourquoi leur tirer dessus ?

Pourquoi tirer ? Pourquoi? Mais notre nom a été enseveli

là où les enfants se rassemblent maintenant,

pour cinquante-neuf d'entre nous qui gisaient sur la chaussée

ce jour de mars 60. Comme d'autres

remplissaient les hôpitaux et couvraient des planchers de cellules

de leurs corps enchevêtrés, Dachau

était terminé, Stowe avait publié son livre,

la prison d'Alcatraz était fermée pour toujours, alors que

nous passions de non-blancs

à porteurs de permis de se déplacer.
© Rethabile Masilo

Il a aussi publié un poème du militant politique et poète sud-africain Dennis Brutus [4]. Le titre de la poésie est “A Poem About Sharpeville” [5] (Un poème sur Sharpeville).

Ce qui est important
À propos de Sharpeville
n'est pas que soixante-dix sont morts :
ni même qu'ils ont été abattus dans le dos
alors qu'ils fuyaient, sans armes, sans défense
et certainement pas
la balle de gros calibre
qui a traversé le dos d'une une mère
déchiré l'enfant dans ses bras
et l'a tué
Se souvenir de Sharpeville
Jour des balles dans le dos
Parce qu'il incarne l'oppression
et la nature de la société
plus clairement que toute autre chose ;
ce fut l'événement classique
nulle part, la domination raciale
plus clairement définie
nulle part, la volonté d'opprimer
plus clairement démontrée
ce que le monde murmure
apartheid, avec les canons hargneux
la soif de sang après
l'Afrique du sud coule dans la poussière
Se souvenir de Sharpeville
rappelez-vous du jour des balles dans le dos
et rappelez-vous la volonté insatiable de liberté
se souvenir des morts
et être heureux.

© Dennis Brutus

Travel Blog Portfolio a souhaité aux Sud-africains une bonne et paisible Journée des droits humains [6]et leur demande d'apprendre davantage sur la Journée de Sharpeville.

Comment de telles atrocités ont pu avoir lieu sans que personne ne soit puni? demande Sokari Ekine [3] :

Il s'est passé du temps, mais le changement arrive, chantait Sam Cooke concernant l'Amérique. Il aurait pu avoir chanté ces mots pour l'Afrique du sud, ou même le monde entier.  Ce qui est déconcertant c'est comment les massacres de Sharpeville en 1960, de Soweto en 1976, le meurtre de M. L. King et d'autres, le mouvement des droits civiques, les 27 ans de prison de Mandela, sans mentionner les milliers de personnes qui ont subi la torture en Afrique du sud ou ont été torturées et lynchées en Amérique, ont pu avoir lieu sans qu'ils n'entrent dans la tête des gens et leur enseignent les maux de la discrimination et de la ségrégation raciale sous toutes leurs formes.

Il est aussi stupéfiant que toutes ces choses soient arrivées et que personne n'ait été puni, qu'aucune poursuite judiciaire internationale des  coupables n'ait eu lieu, aucune justification pour qu'ils “soient traduits devant la justice”, comme George Bush, le fils, aurait dit à propos de nombreuses personnes pour moins que ça. Aujourd'hui est une journée pour se souvenir et pour savoir pourquoi elle doit être célébrée.

Alpha Christian analyse les liens [7]entre le Vendredi saint, la Journée des droits humains et la Journée de Sharpeville :

Dans un récent article paru sur le quotidien Beeld, Nico Botha traite de cette anomalie qui voit le Vendredi saint et la Journée des droits humains coïncider, et encore mieux, elles coïncident avec la Journée de Sharpeville. Le problème le plus important pour certains est de savoir si les travailleurs allaient perdre une journée de congé.

Comment pourrions-nous trouver un lien entre la signification du Vendredi saint, de la Journée des droits humains et de celle de Sharpeville?

Je crois que le court dialogue entre Jésus et Pilate pourrait nous aider à comprendre ce lien.

Michael Trapidos a célébré cette Journée dans son billet sur son blog Thought Leader intitulé Sharpeville Redux and a Bit More [8] (Sharpeville revécue et un peu plus) :

Ce jour fatal, une foule de 5 000 à 7 000 personnes a convergé vers la station de police locale dans la banlieue de Sharpeville, elles se rendaient à la police pour être arrêtées pour n'avoir pas sur elles leur laissez-passer.

Pendant que la foule affluait, l'atmosphère était paisible et festive avec moins de 20 agents de police dans le commissariat au début de la manifestation. La police et l'armée utilisèrent des avions de combat volant à basse altitude pour disperser la foule, sans succès.

En fin de compte, la police plaça des véhicules blindés Saracen en ligne face aux manifestants et, à 13h15 heures, elle a ouvert, de façon incompréhensible, le feu sur la foule.

Il continue :

Les chiffres officiels des victimes font état de 69 victimes, dont 8 femmes et 10 enfants, et plus de 180 blessés.

Jusqu'aujourd'hui, c'est la pire folie dans l'histoire de ce pays.

Elle a provoqué un mouvement de révoltes spontanées parmi les sud-africains noirs avec des manifestations, des marches de protestations, des grèves et des émeutes dans tout le pays.

Le gouvernement déclara l'état d'urgence le 30 mars 1960, ce qui entraina l'emprisonnement de plus de 18 000 personnes.

Texas In Africa remarque que Sharpeville représente le premier acte dans la lutte contre l'apartheid [9]en Afrique du sud et que le massacre a provoqué sa militarisation :

Le reste du monde a commencé à condamner la politique du régime raciste beaucoup plus ouvertement ; l'Afrique du sud a quitté le Commonwealth un an plus tard.

Cette sanglante répression a aussi conduit à la militarisation du mouvement contre l'apartheid. Les branches armées de l'ANC, MK (Umkhonto wa Sizwe) et Poqo du PAC furent fondées peu après le massacre. Les 30 années suivantes furent marquées par des actes horribles de violence avant que – de façon presque surprenante – les maux de l'apartheid cessent pacifiquement.

Cinq ans plus tard jour pour jour, les manifestants pour les droits civiques aux États-Unis dirigés par Dr. Martin Luther King, Jr. commencèrent leur marche de Selma à Montgomery. La tentative de 600 marcheurs de faire la même chose trois semaines plus tôt s'était soldée par le Bloody Sunday (le Dimanche de sang), une attaque menée par la police locale et l'armée. Avec une autorisation d'un juge fédéral, un nombre de marcheurs cinq fois plus élevé se sont rassemblés pour une nouvelle marche le 21 mars. Quelques mois plus tard, le Président LBJ (Lyndon B. Johnson) signait la Loi sur le vote, qui a effectivement mis fin aux vestiges de la discrimination raciale légale dans le sud.

Mes étudiants (qui sont tous de jeunes noirs, comme vous vous le rappèlerez) quelquefois se posent la question : “Êtes-vous un Malcolm ou un Martin ?” Ce qu'ils veulent dire par là est : “Pour le changement social, est-il mieux d'utiliser des moyens pacifiques (comme l'a fait MLK) ou par des moyens violents (comme le soutenait Malcolm X) ?”

Je ne peux même pas prétendre être qualifié pour répondre à la question. Si nous considérons l'histoire politique, c'est clair que les méthodes non violentes de MLK ont fonctionné pour restaurer les droits et dans une certaine mesure améliorer les conditions sociales des minorités en Amérique, et les changements se sont opérées relativement vite. Les méthodes violentes de MK et de Poqo ont certainement aussi eu des effets sur le régime de l'apartheid, même si la lutte a été longue et ne s'est pas terminée à cause de la violence mais plutôt à cause des problèmes économiques et la volonté de Mandela de négocier une solution pacifique avec le Président de Klerk. Mais aucune égalité de chances réelle n'a été enregistrée pour la grande majorité des noirs dans les deux pays.

Abioye analyse [10] la dimension internationale de la Journée de Sharpeville :

En 1966, l'Assemblée générale de l'ONU a proclamé le 21 mars la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale. L'ONU a lancé un appel à la communauté internationale pour redoubler d'efforts pour éliminer toutes les formes de discriminations raciales. Le gouvernement canadien et de nombreuses institutions du pays y compris les universités Carleton et de Toronto ont continué à collaborer avec le gouvernement de la suprématie blanche d'Afrique du sud, ont refusé de désinvestir et ont maintenu des relations commerciales avec le gouvernement et des entreprises sud-africaines.

South Africa Good News a publié une déclaration [11] de la Fondation Nelson Mandela :

Le 21 mars 2010 marque le cinquantième anniversaire du massacre des 69 victimes par la police sud-africaine devant le commissariat de Sharpeville, au sud de Johannesbourg.

Nelson Mandela a brulé son “pass” (laissez-passer) le 28 mars 1968 en signe de protestation contre les atrocités de Sharpeville. Lors d'une commémoration de la Journée des droits humains pendant sa présidence, Nelson Mandela a dit : “Le 21 mars est la Journée des droits humains en Afrique du sud. C'est une journée qui, plus que beaucoup d'autres, matérialise l'essence de la lutte du peuple sud-africain et l'âme de notre démocratie sans aucune discrimination raciale. Le 21 mars est le jour pendant lequel nous chantons et nous prions en mémoire de ceux qui sont morts au nom de la démocratie et de la dignité humaines. C'est aussi le jour durant lequel nous réfléchissons et mesurons les progrès que nous accomplissons dans le renforcement des valeurs de base et les droits humains.”

Le photographe Greg Marinovich publie des photos du m [12]assacre [12]de Sharpeville [12]sur son blog.

Le massacre de Sharpeville a conduit à de nouvelles formes d'organisation et de résistance politiques. L'African National Congress [le Congrès national africain] (ANC) et le Pan African Congress [le Congrès pan-africain] (PAC) avaient été interdits après le massacre de Sharpeville.

Monako Dibetle remarque dans  son  éditorial paru dans le quotidien Mail & Guardian que Sharpeville saigne encore [13]. Récemment, les résidents de Sharpeville se sont révoltés contre la mauvaise qualité des services sociaux [14].