Lorsque Carlos Rodríguez quitte sa maison d’Asunción, au Paraguay [en français], il emporte toujours avec lui une caméra. Journaliste et blogueur, il sait que l'information se trouve au coin de la rue, prête à être filmée puis diffusée sur les écrans de milliers d'internautes du monde entier, curieux de connaître la réalité paraguayenne.
Après une longue carrière dans les médias paraguayens, à la radio, la télévision et dans la presse écrite, Carlos Rodriguez a découvert les bienfaits qu'un blog peut apporter dans un pays où un petit nombre de médias nationaux domine l'opinion publique. Carlos Rodriguez nous apprend fièrement que R.E.S.C.A.T.A.R. [en espagnol] fut l'un des premiers blogs multimédias à proposer ses propres reportages vidéos.
Au départ, RESCATAR devait être financée par une ONG, avec l'idée de constituer un important réseau de blogs locaux, mais le projet à dû s'arrêter. Carlos Rodriguez a donc décidé de reprendre l'idée à son compte et de la faire avancer avec l'aide de son fils. Lors d'un entretien téléphonique, Rodriguez nous a parlé de son expérience.
Global Voices (GV) : Pourquoi avoir choisi R.E.S.C.A.T.A.R. ( qui signifie sauvegarder) comme titre du blog ?
Carlos Rodríguez (CR) : Il s'agit de l'acronyme en espagnol de : Recueillir les Expériences de la Société Civile afin de les Assimiler, de les Transmettre et d'Apporter des Réponses au pays.
Notre but est de couvrir les initiatives de la société civile et de provoquer un débat autour d'elles, car au Paraguay, il se passe des choses extraordinaires. Il y a de nombreuses initiatives privées intéressantes, mais personne ne les connaît car elles restent confinées au niveau communautaire. Appliquer ces initiatives citoyennes à d'autres sphères de la société peut aider à résoudre de nombreux problèmes auxquels est confronté le pays.
GV : Quelle est la différence entre publier sur un blog et écrire pour le site d'un média national?
CR : C'est une expérience vraiment enrichissante. Tout journaliste rêve de pouvoir exprimer son opinion personnelle sans subir le harcèlement des annonceurs dans les médias. En écrivant sur mon blog, je n'ai pas un responsable commercial qui me dit “sois prudent avec ce que tu écris”.
En ce moment, j'écris un article mettant en cause un député de la chambre basse du Congrès… Je ne me soucie pas de savoir si la personne que je mets en cause est un homme politique ou une grande compagnie… Sur notre blog, nous écrivons ce que nous voulons sur (le président Fernando) Lugo, la droite ou le centre. Il n'y a aucune limite à nos expériences.
Désormais, je peux écrire d'un point de vue de citoyen, libéré des intérêts politiques ou partisans. [Je suis] comme tous les citoyens qui payent des impôts et qui subissent la réalité locale. C'est vraiment différent de ce que fait un média national.
GV : Pensez-vous que votre blog contribue à changer la société paraguayenne?
CR : Je pense que oui. J'ai un petit nombre de lecteurs, mais au Paraguay il existe un groupe de personnes qui prennent les décisions importantes, et ce que j'écris atteint ce petit groupe de personnes qui ont le pouvoir de décider. Je crois que mes billets ont d'une certaine façon aidé à modifier la gestion [des affaires du pays].
GV : Comment pensez-vous qu'il y parvienne ? Des exemples?
CR : J'ai publié des critiques vraiment sévères du journal ABC (le plus important tirage du pays) [en espagnol] car j'ai découvert un cas de manipulation de l'information. ABC a publié des déclarations de l'évêque de Concepción (un département du pays), dans lesquelles il accusait sans preuves le président Lugo de défendre les kidnappeurs au Paraguay [en anglais]. J'ai suivi cette histoire car j'ai remarqué que l'information était manipulée et j'ai donc publié un billet à ce sujet.
Une semaine plus tard, ABC a publié un autre entretien dans lequel l'évêque a remis en question l'article précédent, contestant ce qui avait été publié. Or son démenti a disparu du troisième paragraphe de l'article, j'ai donc décidé cette fois-ci d'écrire un article mettant en cause non le journaliste mais le propriétaire d'ABC coupable d'autoriser ce genre de pratiques.
J'ai remarqué que certains comportements incohérents changent lorsque des gens les dénoncent avec des preuves solides. Mon blog n'est pas un média puissant, mais je travaille avec la force du bon sens. Je ne dis pas que je suis inattaquable, mais j'essaye d'étayer mes dires.
GV : Diriez-vous que R.E.S.C.A.T.A.R. joue le rôle de chien de garde des médias paraguayens ?
CR : D'une certaine manière nous surveillons les médias. Le Paraguay n'a pas d'autorité de contrôle de la presse, or c'est très important dans un pays où les médias ne respectent pas un code d'éthique. Les médias l'imposent aux autres, mais ils n'en ont pas eux-mêmes. Il y a une hypocrisie dans les médias.
GV : Qui lit le plus votre blog, les Paraguayens ou les étrangers ?
CR : Les étrangers. Les lecteurs paraguayens représentent seulement 35% du total des lecteurs. Avoir moins de lecteurs paraguayens ne me gêne pas, les lecteurs paraguayens sont en général peu nombreux, c'est pareil pour les journaux de presse écrite. J'ai un logiciel pour connaître le nombre de visiteurs, leurs profils, s'il s'agit d'institutions ou d'entités, leur provenance. Il m'arrive de recevoir la visite du ministère des affaires étrangères d'Espagne par exemple, ou d'universités du monde entier.
GV : Pensez-vous que les blogs de journalisme citoyen ont un avenir au Paraguay?
CR : Bien sûr, les blogs doivent émerger et se mettre en avant. Les médias locaux sont aux mains de quelques hommes d'affaires qui décident des messages à envoyer aux citoyens, et qui sont capables de contrôler la conscience collective. Ce monopole doit-être brisé. Les radios communautaires paraguayennes qui sont attaquées par les hommes politiques aujourd'hui sont primordiales pour avoir une vision différente de la réalité nationale, et les blogs sont un moyen de casser ce monopole.