Pour la première fois dans l'histoire de la Russie, “Katyń [1]” (2007), le film d’Andrzej Wajda [2], a été diffusé sur la chaîne publique de télévision “Kultura” [3], ce qui a suscité des discussions en ligne sur le régime stalinien, la vérité historique, l'inhumanité et les relations russo-polonaises.
Le massacre de Katyn [5], ou l'exécution délibérée de près de 22.000 officiers polonais par les agents du NKVD russe [6] en 1940 [en anglais], demeure le principal différend non réglé entre la Russie et la Pologne contemporaines. Pendant plus de 50 ans, la propagande soviétique a affirmé que Katyn avait été un crime de guerre nazi, jusqu'à ce qu'en 1990 Mikhail Gorbachev reconnaisse les meurtres de masse du NKVD.
Depuis, la position du gouvernement russe a été loin d'être sans équivoque. En 1990, le Bureau du Procureur général russe ouvrit une enquête sur cet événement monstrueux. En 1992, le président russe Boris Eltsine rendit accessibles une partie des archives secrètes contenant les preuves des exécutions du NKVD. Mais en 2004 (Poutine était déjà en fonctions), l'affaire fut close pour cause de décès des coupables (les exécuteurs). Les officiers polonais fusillés à Katyn en même temps que des milliers de prisonniers politiques soviétiques ne furent jamais réhabilités ni reconnus comme victimes de la répression. Tandis qu'en Pologne, le massacre de Katyn devenait l'un des symboles nouveaux de la construction de la nation sur la base du martyre, il n'existe pas dans la société russe d'opinion univoque, puisqu'il y a un groupe d'historiens défendant le point de vue soviétique [7] [en anglais], avec le soutien du parti communiste ainsi que de quelques vétérans du NKVD. La version soviétique continue à être transmise par un journal populaire comme la “Pravda [8],”[en russe] et des blogueurs connus, tels l'intellectuel russe Anatoli Wasserman.
Les relations entre les deux pays s'envenimèrent de 2005 à 2007 (le différend sur le commerce de la viande [9] [en anglais], la querelle des missiles, etc.), puis les choses commencèrent à changer en 2007. Les premiers ministres polonais et russe mirent en place la Commission pour les questions difficiles [10] [en russe], qui avait pour mission de régler un grand nombre de différends historiques entre les deux pays, parmi lesquels le massacre de Katyn occupait la place centrale. La plupart des spécialistes conviennent [en russe] [11] que la projection de “Katyń” sur la télévision publique russe était l'oeuvre de la commission et préfigurait la commémoration du massacre de Katyń.
“Katyń” a été diffusé vendredi à l'heure de grande écoute (19:40 – 21:30) avec un débat après le film. On a prétendu que Channel One (la chaîne de télévision russe qui a la plus forte audience) a délibérément passé au même moment le film à Oscars “Démineurs”, mais cela s'est avéré inexact (”Katyn” se terminait à 21:30, et “Démineurs” commençait précisément à cette heure). Un aspect intéressant du débat télévisé qui a suivi le film était qu'il ne comptait aucun invité polonais.
La discussion en ligne a réuni plus de 2100 billets de blog [12] [en russe] et est devenue le sujet N°5 du classement Yandex des discussions. Les opinions des blogueurs étaient divisées. Les uns niaient complètement la version attribuant les meurtres au NKVD (affirmant que c'était la version de Goebbels, les Nazis ayant été les premiers à annoncer les massacres de Katyn). Parmi les autres qui reconnaissaient les meurtres du NKVD, les opinions n'étaient pas uniformes non plus. A part les affirmations de certains blogueurs que “Katyń” était “commercial,” [13] “ouvertement anti-soviétique,” “trop général,” [14] “fait sur commande, [15]” la majorité des “Runautes” se sont dit profondément émus par le film.
La plupart des blogueurs ont dénoncé le mythe d'une russophobie [16] sous-jacente du film.
kir_mgd [17], par exemple, a écrit :
Я, честно говоря, не воспринял фильм как русофобский хоть в какой-то мере.Что-то там действительно трафаретно и прямолинейно(флаг на портянки),но не примитивно и злопамятно. Впечатление очень сильное производит.
Le modérateur de la communauté ru_katyn [18] dassie2001 [19] a écrit [20]:
Никто другой в Польше не сделал бы НЕантироссийского (НЕрусофобского) фильма на тему Катыни. Вайде – удалось
L'un des thèmes principaux de ces discussions a été la recherche du motif de la tuerie de masse. Les versions “habituelles” (dans ce genre de débats), comme “la nécessité stratégique,” “venger les 16.000 à 20.000 prisonniers de guerre soviétiques morts dans les camps polonais après la guerre soviéto-polonaise [21]“ [en anglais] et d'autres encore sont été proposées. L'utilisateur LJ Yasko a répété l'explication par le député Kosatchev [en russe] [22] du massacre par la nature sanguinaire d'un régime totalitaire sans visage :
Совершенно гениально пан Вайда показал нам, что это работала именно машина уничтожения людей. А то, что эта машина – порождение именно западной мысли, западной цивилизации, это тема выходящая уже за пределы темы Катыни, в том ей масштабе, в котором надо было её сегодня раскрыть, что А. Вайда и сделал.
Tout le monde n'a pas accepté l'idée d'une machine sans visage. Voici ce qu'écrit l'utilisateur LJ Maxilla_k [23] :
Однако, хватит врать, автор у этой “машины” безусловно есть, и он в фильме показан. “Эффективный менеджер” смотрит со стены в сцене приговора “тройки” генералу польских войск. Зачем он то делал, – не знаю.
Le thème de l'inhumanité a été soulevé par le célèbre critique de cinéma kinanet [25]:
Подлинная опасность ленты Вайды, которой испугались в нынешней России многие перестраховщики, заключается как раз в человеческом измерении политической трагедии, не заканчивающейся выяснением всех обстоятельств случившегося в Катыньском лесу.
…
Мы ж привыкли поклоняться лживым кумирам, фальшивым идеалам, а главное – любить не отеческие гробы, а могилы вождей и их прихлебателей на Красной площади. И потому пребываем в тоске по прежнему величию, которое тоже было дутым, поскольку имело своей основой кровь и насилие. Так люди ли мы, человеки ли?
…
Nous étions habitués à adorer des idoles mensongères, de faux idéaux, et surtout – à aimer non pas les tombes de nos pères, mais les tombeaux des chefs et de leurs parasites sur la Place Rouge. Et c'est pourquoi nous gardons la nostalgie de la grandeur passée, qui était surfaite, puisqu'elle avait son fondement dans le sang et la violence. Alors sommes-nous des hommes, des êtres humains ?
Le film paraît avoir fait effet. Après l'avoir vu, Elena Tokareva, rédactrice en chef du tabloïd “Stringer,” a publiquement déclaré qu'elle [26] [en russe] regrettait les critiques négatives publiées dans son magazine.
L'effet a été particulièrement marqué pour ceux des Russes qui n'avaient pas connaissance de l'affaire. Dans une optique sinon historique, du moins morale. Comme l'exprime [27] eli_prophet :
Я был приятно обрадован тем, что хоть и спустя 3 года после выхода, хоть бы и не по самому центральному каналу, но этот фильм был показан на государственном телеканале в пятницу (и не простую, а страстную пятницу), в самый прайм-тайм. Это не огромный шаг, но шаг достойный уважения. И мне кажется важным, чтобы как можно больше людей в нашей стране получили возможность посмотреть на события Второй мировой войны другими глазами, с другого ракурса.