- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Le génocide rwandais, 16 ans déjà

Catégories: Amérique du Nord, Australie, Etats-Unis, France, Rwanda, Droit, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique, Relations internationales

Le Rwanda a commémoré le 7 avril le 16ème anniversaire du génocide qui a coûté pas moins de 800.000 vies et traumatisé, jusqu'à ce jour, toute la région. Le génocide est commémoré non seulement pour garder vivante la mémoire des victimes mais aussi pour aider le pays à progresser dans l'esprit de l'unité et de la réconciliation. Les survivants du génocide se souviennent de ces 100 jours pendant lesquels l'humanité toute entière les a complètement et profondément abandonnés. Beaucoup d'entre eux s'impliquent dans le processus de reconstruction, par la création de réseaux soutenant la coexistence. A la suite de la récente visite du président français Nicolas Sarkozy à Kigali où, dans une conférence de presse commune avec le président Kagame, il a reconnu que “des erreurs” avaient été commises [1] en 1994, les blogueurs discutent de la signification de la Journée du Souvenir du génocide (les commémorations durent en fait une semaine) et de la complexité des relations internationales du Rwanda.

La survivante Tutsi Norah Bagarinka se rappelle [en anglais] comment elle a été interceptée par des miliciens [2]  mais a finalement dû son salut à l'un d'eux, qui se trouvait être son jardinier :

Il nous a prises à part, ma mère et trois autres dames, dans l'autre fourré. Arrivées là, il a pris des feuilles, m'a bandé la main, et nous a dit : ” Courez, courez, pour votre sécurité”. Et il s'est excusé.

Le projet Voices of Rwanda retrace les récits de vies de Rwandais – pas seulement des histoires sur le génocide, mais leur vie en général. Ce témoignage d'une survivante explique pourquoi elle se sent forcée de se souvenir [3] et de témoigner [en anglais] :

”Si je meurs sans avoir raconté mon histoire ici, ma lignée s'éteindra”

(Pour plus de détails sur Voices of Rwanda, lire l'article [4] sur The Hub at Witness [en anglais])

Le blogueur Mamadou Kouyate publie un article sur les souvenirs qu'a laissés à un groupe de soldats australiens de la force de maintien de la paix de l'ONU [5] le massacre de Kibeho [en anglais] :

“Beaucoup de vétérans se sentent très coupables de ce qui est arrivé parce qu'ils n'ont pas pu faire de leur mieux pour sauver des vies. Ils n'ont rien pu faire pour défendre ceux qui ne pouvaient se défendre eux-mêmes.”[..] “Il ne semblait demeurer que la puanteur du génocide et les enfants abandonnés par la guerre qui déambulaient, pathétiques, dans les rues, traumatisés par la mort et la destruction sous leurs yeux.”

La cérémonie de commémoration au stade Amohoro (Paix) a été suivie par 20.000 personnes dans une ambiance de recueillement et d'élévation. Sara Strawczynski donne une description de la Marche du Souvenir dans les rues de Kigali [6] [en anglais] :

Pendant les mois que j'ai passés au Rwanda comme volontaire pour Kiva, j'ai eu beaucoup de mal à réconcilier ce que je savais être arrivé avec ce que je vivais au quotidien. Kigali est une ville sûre, propre et belle. La campagne est luxuriante et superbe. [..] Ceci dit, les signes du génocide rwandais ne sont jamais loin sous la surface [..] nous avons dépassé deux groupes de prisonniers, facilement reconnaissables à leurs combinaisons roses, oranges et bleues. Les prisons du Rwanda regorgent de gens accusés et reconnus coupables de génocide et de crimes de guerre, et le taux d'incarcération du pays est l'un des plus élevés au monde.

Jenny Clover a assisté à une cérémonie de commémoration à l'église de of Nyamata [7] où 10.000 personnes ont été tuées [en anglais] :

L'église de Nyamata est remplie des vêtements de toutes les 10.000 personnes qui y sont mortes : chemises, robes, chaussettes, pantalons par milliers, empilés sur les bancs. Au bout d'un moment, ils commencent à se confondre en une masse unique, rien qu'un amoncellement boueux d'habits défraîchis, tirés d'un charnier où les assassins avaient tenté de dissimuler leur méfait. [..] Il reste beaucoup à dire sur le mémorial à Nyamata : les rangées après rangées de crânes soigneusement alignés dans la crypte froide, certains traversés par des coupures bien nettes de machette…

C'est la deuxième fois que Jenny Morse est au Rwanda pendant la Journée du Souvenir. Elle est déchirée entre “l'obligation d'y assister et l'envie irrépressible de rester à l'écart [8]“ [en anglais] :

Beaucoup marquent quelque chose qu'ils savent de mémoire ; d'autres se souviennent de la perte de leur famille, même s'ils étaient à l'étranger et n'ont pas été confrontés personnellement au génocide. Mais ceci n'est pas ma mémoire. Sans aucun doute, je passerai la plus grande partie de cette journée à penser à mes amis survivants, et à penser à la famille qu'ils ont perdue, qu'il me semble, à travers les histoires de mes amis, presque connaître moi aussi. Peut-être participerai-je à un moment de la journée avec ces amis. Ou peut-être pas. Cela fait souvent débat entre les mzungus ici s'il est importun que nous assistions à ces manifestations, ou au contraire, si ne pas y aller est un manque de respect. Je ne crois pas qu'il y ait de règle.

De nombreux blogueurs locaux ont aussi réagi aux relations complexes entre le Rwanda et la communauté internationale.

Stephane Ballong explique que la relation entre le Rwanda et la France [9] reste quelque peu tendue :

En août 2008, Kigali qui a rompu ces relations diplomatiques avec Paris, avait menacé de traduire en justice 33 personnalités françaises. Dans un rapport de 500 pages, les autorités rwandaises ont dénoncé l’implication du gouvernement français dans le génocide. Le document confirmait les responsabilités directes de treize politiciens et vingt militaires français dans ces tueries.

Christophe Ayad entre dans les détails de ces allégations [10] qui seront publiées dans un dossier appelé ” «La France au Rwanda» :

Dans «Là haut, sur la colline de Bisesero», Jean-François Dupaquier fait le récit des premiers jours de l'opération Turquoise -opération militaro-humanitaire controversée et destinée à «stopper les massacres»- à travers le témoignage long et détaillé de l'adjudant-chef Thierry Prungnaud, gendarme du GIGN. Il est envoyé en élément précurseur sous le commandement du COS (Commandement des opérations spéciales). Pendant plusieurs jours, il ne comprend rien à la situation. Et pour cause. Voici le tableau de la situation qu'on lui a dressé avant sa mission: «Les Tutsis exterminent les Hutus. Nous sommes venus pour les protéger, mettre fin aux massacres (…) Votre rôle est de vous informer de la situation sur le terrain, de voir où en sont les rebelles du FPR». C'est exactement le contraire de la réalité: les Tutsis sont massacrés par les Hutus et le Front Patriotique Rwandais (FPR) n'est en rien impliqué dans le génocide, qu'il cherche plutôt à stopper.

La France n'est pas le seul pays accusé d'avoir une part de responsabilité dans la tragédie rwandaise. Mamadou Kouyate publie sur son blog un article [11] de Michel Chossudovsky sur Global Research, affirmant que la guerre au Rwanda et les massacres ethniques faisaient partie de la politique étrangère des Etats-Unis [12]. [liens en anglais]

Toutes ces allégations et le traumatisme toujours palpable de la tragédie composent une scène diplomatique et politique très complexe au Rwanda. Les blogueurs du pays craignent de voir les tensions politiques enfler à nouveau à quelques mois des élections (prévues pour août 2010). Jean-Marie Vianney Ndagijimana écrit que le parti d'opposition, Les Forces Démocratiques Unifiées-Inkingi (FDU-Inkingi) a été sous pression à plusieurs occasions [13], à savoir par le refus de passeports, des enquêtes de police arbitraires et des menaces physiques.

=================================================================================

Abdoulaye Bah, [14] de Global Voices en français, a contribué à cet article en fournissant des liens. Sur les réactions des blogueurs à la Journée du Souvenir du génocide de 2009, lire l'émouvant article d'Elia [15])