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Thaïlande : Les blogueurs racontent les violents affrontements

Catégories: Asie de l'Est, Thaïlande, Manifestations, Politique

21 morts. 858 blessés.

C'est le nombre de victimes [1] [tous les liens sont en anglais] des violents affrontements entre les Chemises Rouges et les militaires en Thaïlande [dans la nuit du 10 avril 2010]. Les Chemises Rouges, qui manifestent depuis un mois dans les rues, réclament la démission du premier ministre Abhisit Vejjajiva, la dissolution du parlement et appellent à la tenue d'élections anticipées.

Tony Joh a collecté [2] les documents montrant la violente confrontation entre les manifestants et les militaires sur le pont  Phan Fa.

Voici un bref compte-rendu [3] par Tony de cet épisode sanglant :

Plus tôt dans la journée l'armée s'était emparée du pont Phan Fa et avait refoulé les manifestants, eh bien ce soir, ceux-ci ont décidé de reprendre leur position.

Au départ la situation était relativement calme, l'armée diffusant de la musique douce et apaisante pour essayer de maintenir le calme. Mais tout a changé en une poignée de secondes quand des tirs ont éclaté et que la foule a lancé l'offensive avec des bouteilles d'eau en plastique et des tiges de bambous.

Les militaires, dépassés par le nombre et comprenant sans doute qu'ils perdaient le contrôle, ont ouvert le feu sur la foule. Les gens se sont mis à courir et à s'accroupir pour se protéger, alors que le son des armes automatiques se faisait entendre au-delà du lieu de la manifestation. Rapidement, les manifestants se sont emparés d'armes plus puissantes et l'armée a subitement essuyé un tir de barrage de pierres et de cocktails Molotov.

Les militaires ont à ce moment-là décidé de battre en retraite et d'abandonner leurs chars et leur transports de troupes blindés aux chemises rouges, qui s'y sont attaqués avec des bâtons et des boucliers.

Nirmal Ghosh fut également témoin [4] de la violente confrontation :

L'armée avait étrangement mis en place un camion d'enceintes qui diffusaient à fort volume des tubes des années 70 avec l'espoir d'alléger l'humeur. Quand je suis arrivé sur place, on pouvait entendre “Raspoutine” de Boney M. Une trêve locale était négociée entre un manifestant et le commandant de l'unité militaire.

Malgré cela, les Chemises Rouges ont reçu de nombreux renforts à Ratchaprasong et à Rajadamnoen. A la tombée de la nuit, il semblait inévitable que la poussée de l'armée pour vider les lieux tournerait mal.

L'ambiance à Ratchaprasong, où la principale manifestation des Chemises Rouges se tenait, était calme voire bon enfant. Mais à Rajadamnoen, dans les environs de la rue du Monument de la Démocratie Khao San, les heures de blocage et les escarmouches ont dégénéré en méchantes batailles rangées à grande échelle, les troupes militaires tirant directement sur les chemises rouges avec des balles à blanc et des balles réelles.

Rue Khao San, une zone fréquentée par les touristes, la violence a aussi éclaté [5] :

Le compte Twitter de Journotopia [6] est à suivre : “Des barricades se mettent en place à Khao San. Les [Chemises] Rouges se préparent au retour des soldats. De nombreuses flaques de sang sur la route… N'écoutez pas les propos rassurants d'un gouvernement thaïlandais paralysé. Khao San est une place dangereuse. J'ai aperçu deux touristes blessés… Khao San est interdite d'accès, les Chemises Rouges sont partout. Ça ressemble à un champ de bataille… Des batailles rangées dans les rues autour de Khao San. Les touristes s'accroupissent pour se protéger. Un membre des Chemises Rouges avec un AK47. Scènes de chaos à Khao San. Les touristes me disent avoir vu d'horribles blessures, un vieil homme avait un œil sorti de son orbite.”

Une courte vidéo montre l'atmosphère tendue [7] rue Khao San :

Un lecteur a envoyé cet e-mail à New Mandala. Il y décrit l'impact des accrochages [8] entre les soldats et les manifestants :

En marchant en direction de la manifestation, j'ai remarqué qu'il régnait un air de rébellion, mais aussi de fatigue. Tous ceux qui s'éloignaient dans la direction opposée semblaient extrêmement fatigués, et beaucoup étaient sales, voire portaient des marques de coupures et de bleus. J'ai aussi remarqué ici et là des individus (dont une famille entière, enfants compris) qui semblaient avoir emporté des “souvenirs” comme des casques de policiers, des boucliers anti-émeutes et des matraques, ramassés sur le chemin.

Une colonne de véhicules de transport de troupes était installée dans l'une des rues adjacentes. Elle fut assaillie par des centaines de Chemises Rouges, qui littéralement découpaient à mains nues les véhicules. Parfois ils s'arrêtaient pour laisser une famille de la classe moyenne de Bangkok se prendre en photo devant les VTT, peut-être plaçant leurs enfants sur le toit pour une meilleure prise, mais cela ne durait jamais longtemps avant que les démolitions reprennent avec détermination.

Mais on n'avait pas besoin de preuves filmées pour se rendre compte de la violence qui avait eu lieu ici. Les portes de tous les commerces de la rue étaient mouchetées des trous laissés par les balles en caoutchouc. Les rues elles-mêmes avaient été transformées en une mosaïque de verre cassé, de pierres et autres débris. Et il y avait le sang.

Nicholas Day raconte son vécu au cours de l'émeute. Il donne aussi une description plus précise [9] des Chemises Rouges :

Si les balles étaient réelles ou à blanc, je l'ignore. Si elles étaient réelles, alors ils n'ont pas tiré en direction de la foule dans cet espace confiné, sinon un grand nombre de personnes seraient mortes. Nous n'avons pas beaucoup reculé, nous n'avons même pas reculé vers la rue Rajadamoen. Les gens ont cessé de battre en retraite et sont restés sur place, ou peut-être à une distance un peu moins risquée que précédemment. Les gens disaient que ce n'étaient pas des balles réelles. Ceux qui n'ont pas du tout bougé furent les membres du service de sécurité des Chemises Rouges qui sont restés sur le front des barricades. Ces gars doivent être soit fous soit vraiment déterminés et bien  disciplinés, voire un peu des deux.

J'ai appris quelques trucs au cours de ces dernières heures. D'abord que les gaz lacrymogènes sont vraiment insupportables ; ensuite que les soldats vont devoir en utiliser une sacrée quantité s'ils veulent déloger les Chemises Rouges de la rue Rajadamnoen.

Des blogueurs ont déjà mis en ligne des photos [10] des affrontements sanglants à Bangkok, au cours desquels des soldats ont été pris en otage [11] par les manifestations. Ils ont été relâchés [12] le lendemain.

Après avoir fait le tour des lieux, Thailand's Troubles conclut que les soldats ont tiré à balles réelles [13] pour disperser la foule :

L'affirmation du premier ministre que les troupes ont seulement tiré en l'air est incorrecte et pourrait être un mensonge pur et simple. Cela a encore été démontré que les troupes thaïlandaises sont mal commandées, mal équipées et mal entraînées pour gérer le trouble à l'ordre public sans faire appel à la force mortelle. Que les troupes aient mené l'assaut avec l'ordre de tirer sur les manifestants ou l'aient fait pour des raisons personnelles malveillantes, on ne le saura peut-être jamais. Mais envoyer des troupes sous-entraînées et mal dirigées, avec une faible expérience de tels désordres, dans une situation difficile et tendue, armées de balles réelles, est la meilleure façon de créer des problèmes.

Les responsables politiques thaïlandais voulaient que les manifestants cessent leurs rassemblements qui ont nui à l'économie, en particulier au secteur du tourisme. A cause de ces violents affrontements, l’impasse politique [14] risque de s'aggraver.