Des élections présidentielles et législatives se déroulent en ce moment au Soudan. En effet, les Soudanais étaient appelés à élire leur président et les députés de l’assemblée nationale. Les dernières élections au Soudan ont eu lieu il y a 24 ans [les liens sont en anglais].
Alors, qu’est-ce que cela fait de voter après tant d’années ?
« Je n’ai jamais voté de ma vie…» affirme Salva Mayardit, leader du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais (MLPS) :
Dimanche matin, Cde. Salva Kiir Mayardit, président du MLPS et chef du Gouvernement du Sud-Soudan, a mis son bulletin dans l’urne au bureau de vote de Kololo, situé non loin des ministères, à Juba Ouest (capitale du Sud-Soudan). Plus d’une cinquantaine de médias, nationaux et internationaux, ainsi que des équipes d’observateurs et des votants, étaient à portée de main pour le saluer.
Salva Kiir Mayardit montrant son index gauche tâché d’encre, au sortir du bureau de vote, a lancé à la foule :
« Je n’avais jamais voté de ma vie, et c’est un bon début pour le Soudan d’organiser des élections libres et pacifiques ».
Cde. Kiir est arrivé au bureau de vote à 8h précises du matin, mais a été contraint d’attendre un moment, le temps que les derniers détails au niveau du bureau, soient réglés. Quand finalement il a été en mesure de voter, il a dû le faire à quatre reprises, avec trois bulletins de votes à chaque étape, notamment pour la Présidentielle, les Législatives nationales, l’Assemblée législative du Sud-Soudan, et enfin pour l’assemblée de l’Etat (du Sud-Soudan).
Le site du MLPS écrit au premier jour du vote :
En ce premier jour d’élections au Soudan depuis 24 ans, les agents du MLPS déployés dans le Sud du pays font état de lenteurs, en ce qui concerne les votants et des responsables de bureaux de vote.
On a signalé des files d'attente devant plusieurs bureaux, parce que, soit l’on attendait que les responsables entament le processus, soit le matériel nécessaire manquait ou sa livraison par les agents de la Commission Nationale des Elections (CNE), continuait à se faire attendre.
Des agents du MLPS ont aussi rapporté que dans plusieurs Etats, il y avait du matériel électoral endommagé, des listes publiées en arabe – alors que la plupart des gens s’étaient faits enregistrer en anglais – des bulletins de votes qui manquaient aussi pour certains scrutins.
Certains rapports spécifiques se présentent comme suit :
A 12h, les rapports indiquent que les bureaux de votes sont encore en train d’être mis en place et le matériel continue à arriver ou à manquer, ce qui retarde considérablement le début du vote.
Des agents du MLPS observant les bureaux de vote à Juba n’ont aperçu aucun fonctionnaire électoral ce matin à Kator Sud (Circonscription N° 4) où les votants étaient amassés devant la Gyada Cooperative (casernes intégrées) sans aucun personnel électoral en vue.
Comme le vote se termine ce jour, l’atmosphère, de manière générale, semble calme et paisible, et les votants font la queue et attendent patiemment leur tour pour aller glisser leurs bulletins dans les urnes.
Pour les moins chanceux, frustration et confusion peuvent se lire sur leurs visages, quand ils n’arrivent pas à trouver leurs noms sur les registres placés dans chaque bureau de vote.
Dans un bureau de vote de la zone d’Hai Atlabara, un homme, désabusé, raconte qu’il lui a été demandé d’aller chercher son nom dans deux autres centres de vote, mais toujours sans succès pour lui.
Dimanche, le premier jour de vote, le Dr. Anne Itto, députée et Secrétaire Générale du MLPS pour la région du Sud, a dû voter tard dans l’après-midi, contrainte d’attendre que les bureaux de vote ouvrent dans sa circonscription d’origine, Pageri, à l’Est de l’Etat de l’Equateur. Elle a dû ensuite chercher son nom dans les différents registres, un exercice qui a pris des heures.
Le Dr. Anne Itto, députée et Secrétaire Générale du MLPS pour la région du Sud, partage sa première expérience de vote dans sa vie :
« J'ai trouvé sensationnelle l'idée d'avoir pu choisir le dirigeant que je préfère pour le prochain gouvernement. », a-t-elle affirmé.
Elle a par ailleurs appelé la Commission Nationale des Elections (CNE) à agir rapidement afin de résoudre les problèmes qui ont perturbé le premier jour des élections.
Pendant que les leaders du MLPS partagent leur joie d’avoir voté pour la première fois de leur vie, le blogueur Sudanese Thinker explique les raisons de son abstention :
Je ne voterai pas lors de ces élections.
Je ne le ferai pas parce que :
1. J’ai manqué de m’inscrire sur les listes électorales à temps et je ne le regrette presque pas, vu que je n’ai jamais vraiment cru aux prétendus « changements » qu’apporteraient ces élections. A cause de cela, je ne pourrai de toute façon pas voter, même si je change d’avis et en ai subitement envie.
2. D’éventuelles alternatives à Al-Bashir n’ont aucune chance de gagner.
3. Supposant que je me serais fait enregistrer sur les listes, et sachant qu’Al-Bashir gagnera ces élections de toutes les façons, je me serais plutôt abstenu que de voter pour lui.
4. Quelle que soit la « confiance » dans le processus électoral, exprimée par l’envoyé spécial des Etats-Unis au Soudan, ces élections ne seront pas justes et transparentes.
5. Même si je me trompe et que ces élections connaissent une niveau correct de transparence et d'équité, toujours est-il qu’il faut beaucoup d’argent aux candidats des autres partis politiques pour gagner, une chose qu’Al-Bashir et son parti ont en quantité, tandis que l’opposition est quasiment sans le sou, à l’exception du MLPS, qui lui est trop corrompu et divisé pour déjà se gérer convenablement lui-même.
6. Franchement, je n’ai que faire de la politique en ce moment. C’est sans espoir. J’ai été si déconnecté et indifférent de tout ce qui se passe, au point que je n’en vois plus l’intérêt. Vu ce qui se passe actuellement, le Soudan est un pays dans l'attente avec beaucoup de points d'interrogation devant lui.
Cecilia Wani est citée par Sudan Votes, et raconte les dernières élections qui ont lieu il y a 24 ans.
Cécilia Wani, 82 ans, a déclaré que lors des dernières élections, il y a 24 ans, son mari et elle n’y avaient pas participé. Selon elle, seuls les chefs et autres dépositaires de l'autorité avaient voté.
« Ne pas voter pour le bon gouvernement, signifie retourner à l’esclavage » dit-elle.
Elle a exprimé sa joie de prendre part à des élections démocratiques aussi historiques que celles-ci. Elle soutient le gouvernement qui améliorera le secteur de la santé. Elle aimerait aussi voir ses petits-enfants aller dans de meilleures écoles. « Ne pas voter pour le bon gouvernement, signifie retourner à l’esclavage », déclara-t-elle. « Je n’aimerais pas que mes petits-enfants rencontrent les mêmes problèmes que moi. »
Mais, lorsque les gens cherchaient leurs noms sur les listes électorales, certains se plaignaient du fait que les leurs n’apparaissaient pas. Le problème était que les numéros de série ne coïncidaient pas avec ceux des cartes d’électeurs qu’ils ont reçus en novembre dernier, pendant leurs inscriptions sur les listes. Et ceux qui ne savaient pas du tout lire, se retrouvaient abandonnés à eux-mêmes dans certains centres. Beaucoup d’entre eux n’ont finalement pas pu voter.
Hafiz Mohammed décrit la complexité du processus de vote au Soudan :
- Le nombre d'électeurs enregistrés est de 16.176.142, et on compte 10.230 bureaux de vote ; ce qui veut dire que la moyenne d'électeurs par centre est de 1.617. Si chaque votant prend une minute pour accomplir l’intégralité du processus (voter 8 fois si on est dans le Nord et 12 fois si on est au Sud), cela veut dire qu'il faudra environ 1617 minutes (27 heures) en trois jours de vote.
- Les centres ouvrent de 7h à 18h, ce qui veut dire, 11h par jour, c'est-à-dire 33h pour 3 jours de vote. Ceci n’est possible que si chaque votant ne prend qu’une minute pour compléter la procédure.
- Vu le déroulement des simulations de ces élections, organisées en présence de 700 agents formateurs des formateurs, je pourrais dire qu’une minute ne saurait suffire à personne. Même moi, je ne pourrais pas faire tout cela en une minute, bien que j’aie étudié les règles de déroulement des élections, et que j’aie également collaboré à la rédaction du manuel d’apprentissage et à la production de la vidéo de formation.
- Les membres de la CNE sont censés expliquer à chaque votant comment s’y prendre et rien que cela prend déjà plus d’une minute. Imaginez-donc qu’ils doivent le faire trois fois. Les votants doivent se présenter devant trois agents. Le premier vous donne 2 bulletins de vote pour l’élection du Président de la République et du Gouverneur de l’Etat. Le deuxième, 3 bulletins pour le vote des députés (les circonscriptions électorales, les listes des femmes et des différents partis politiques – à la représentation proportionnelle), et le troisième fera la même chose, mais pour l’élection de l'assemblée législative d'Etat. Imaginez combien de temps cela peut prendre. Au Sud-Soudan, il existe même un quatrième agent pour ce qui est l’élection de l’Assemblée législative du Sud Soudan.
- Dans le Nord, il existe 8 types de bulletin de vote, pour l’assemble nationale, et celle de l’Etat concerné, avec 3 couleurs et 3 symboles (carré, cercle, triangle) bien distincts, permettant ainsi de pouvoir faire la différence entre ceux de la circonscription électorale, la liste des femmes et celle des partis politiques.
- L’on a pu constater, pendant les simulations de vote dans l’Etat de Warap (au Sud), qu’une femme illettrée avait besoin de 3 heures pour remplir les 12 bulletins de vote, contre 20 minutes pour un étudiant en fin de cycle de l’Université de Khartoum.
- La difficulté pour les illettrés est de se souvenir des couleurs, des différents symboles de chaque bulletin et donc des différents symboles des candidats et différents partis politiques.
- J’expliquais le processus à une femme illettrée de 60 ans, ce qui m’avait d’ailleurs pris près d’une heure, pour qu’à la fin , elle me dise que tout cela était trop compliqué pour elle de se souvenir de huit papiers différents et qu’elle se contenterait bien de voter 2 fois, au lieu de 8.
Sur son blog Les oiseaux de Twitter peuvent-ils voler jusqu’au Soudan ? Ibrahim Elbadawi jette un regard sur le rôle des médias sociaux au Soudan. Il se sert de leçons tirées du cas de l’Iran (la présidentielle de 2009). Il conclut que « l’on peut s’attendre à un usage limité des médias sociaux pour la diffusion d’informations sur les élections… »
Le groupe Facebook « Girifna » qui est un lieu de rencontre pour ceux qui refusent de voter pour l’actuel président Al-Bashir, tout comme le groupe officiel de campagne du président, ont eu de la peine à attirer ne serait-ce que 5.000 membres !
Alors pour conclure, je peux dire que, vu le contexte actuel, on devrait s’attendre à un usage limité des médias sociaux pour ce qui est du partage de la diffusion des informations liées à ces élections, contrairement à cette mobilisation massive sur la toile observée dans le cas de l’Iran. La seule chose pouvant inverser la donne serait par exemple, une crise grave et un intérêt plus accru de la scène internationale !
Je crois que le problème que j’ai soulevé plus haut est important et mérite qu’on s’y attarde. Mais, je crois surtout que, pour un jeune Soudanais comme moi, il y a des problèmes bien plus importants, et qui méritent bien plus d’attention que les décisions d’Obama ou les prochaines élections. Mon vrai problème, s’agissant des médias sociaux en ligne est le suivant : comment pouvons-nous faire en sorte que ces médias promeuvent la bonne gouvernance et engendrent des changements sociaux au Soudan ?
Nous avons rencontré quelques projets de médias sociaux en rapport avec les élections au Soudan. Ibrahim mentionne Girifna dans son billet. Girifna, qui signifie « j'en ai marre », est un groupe de militants pour le droit de vote au Soudan. En plus d’avoir un compte sur Facebook, ce mouvement est également présent sur YouTube et possède même un site web :
L’ « électionnaire » soudanais est un quizz qui compare vos points de vue sur 30 thèmes de débats, et donne le classement des 16 principaux partis politiques pour ces élections d’Avril 2010. Une fois le questionnaire complété, un classement récapitulatif vous montre à quel point vos préoccupations cadrent avec les programmes des partis politiques.
Le Soudan vote ! Mais de quel parti êtes-vous ? Quels sont les vraies positions de ces partis politiques ? Examinez les programmes des principaux partis et découvrez celui qui correspond le mieux à vos idées ! Tout ce que vous avez à faire c’est de répondre à ces 30 questions.
Sudan Vote Monitor est un projet pilote dirigé par l’Institut Soudanais de Recherche et Politique et l’Asmaa Society en collaboration avec d'autres organisations de la société civile soudanaise et soutenu par eMoksha.org et Ushahidi.com. Ce projet se sert du site Ushahidi pour la collecte de données sur ces élections via des SMS et e-mails :
Le but de cette initiative est d’utiliser les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour soutenir l’observation et l’élaboration de rapports transparents sur le déroulement de l’élection jusqu’à la publication des résultats. Au cours des trois dernières années, les organisations de la société civile, dans divers pays, ont réussi, grâce à l’usage des TIC à soutenir la tenue d’élections justes et crédibles.
Tout ceci est rendu possible par l’usage de logiciels libres et le soutien des volontaires d’Ushaidi, une plateforme permettant à n’importe qui de rassembler des données via SMS, e-mail ou web et de les visualiser sur une carte ou une chronologie.
Ci-dessous, on trouvera le Rapport préliminaire du 1er jour émis par Sudan Vote Monitor.
Rapport Préliminaire de Sudan Vote Monitor : Jour 1.
Le Centre Soudanais d’observation des élections a conclu que, le lancement a été un véritable succès avec un total de 52 rapports en ligne dans 12 catégories différentes, et 106 SMS depuis 253 localités à travers le Soudan. Il n’y avait aucun rapport de problèmes d'accès au système et toutes les opérations étaient normales.
Voici quelques statistiques en date du 11 Avril 2010 :
Rapports en ligne : 52 au total
2 – Discours enflammés
11- L’accès au vote
12 – Les troubles (violences incluses)
15 – Tripatouillage des votes
1 – Campagne illégale
5 – Harcèlement des votants
6 – Ce qui s’est bien passé
Messages (SMS) : 106 au total
2 – Discours enflammés
5 – L’accès au vote
3 – Les troubles (violences incluses)
11 – Tripatouillage des votes
6 – Campagne illégale
6 – Harcèlement des votants
63 – Ce qui s’est bien passé
10 – Non classé
Le projet a un compte sur YouTube.
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