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Paraguay : Répandre la langue guaraní par les blogs

Catégories: Amérique latine, Paraguay, Langues, Médias citoyens, Peuples indigènes, Technologie

Au Paraguay, où seulement 3% de la population a accès à Internet [1] [espagnol] et où la langue autochtone, le guaraní [2] [en français] est parlé par 88% de la population – c'est l'une des langues officielles du pays -, Mirta Martínez a trouvé une opportunité que personne d'autre n'avait vue. Journaliste, professeur de langue guaraní, elle est devenue la première et unique blogueuse en guaraní [3] au monde, attirant des lecteurs non seulement du Paraguay, mais du monde entier.

Mirta Martínez [4]Mirta Martínez

Le guaraní est la langue des indiens Guaraní [5] [en français], une communauté autochtone du Paraguay, également présente dans certaines régions d'Argentine, du Brésil et de la Bolivie. Le guarani ne s'est pas répandu dans tous ces pays, mais il reste la langue la plus parlée au Paraguay, avec l'espagnol  (amené par les Espagnols lors de leur invasion de l'Amérique du sud). La communauté guarani est maintenant très réduite, mais la plupart des Paraguayens ont hérité de sa langue. Il y a encore quelques année, le guarani était considéré comme une langue parlée uniquement par les pauvres et les gens de la campagne. C'est en 1992 seulement, à l'occasion d'une réforme de l'éducation, qu'il a été rendu obligatoire à l'école, où les cours sont dispensés en guaraní et en espagnol.

Photo courtesy of Mirta Martínez [6]Photo de Mirta Martínez

Mirta Martinez pensait qu'Internet serait un très bon support pour répandre la langue guarani. Elle a présenté un projet à ses supérieurs chez ABC Color, le plus grand quotidien national : offrir une version en guarani du site du journal [7] et publier un blog en guarani. Le projet a été accepté. Aujourd'hui, des lecteurs du monde entier, fascinés par cette très belle langue, prennent directement contact avec Mirta via son blog, ABC Rogue. [8]

Voici un entretien avec cette journaliste visionnaire :

Global Voices : Vous êtes la première personne à bloguer en guarani…

Mirta Martínez : Oui, et cette année, cela fera dix ans que je publie des informations en guarani pour la version en ligne du journal, appelée Marandu (Nouvelles). Depuis octobre 2008, nous avons le premier et unique blog en guaraní. Beaucoup de sujets sont abordés sur ce blog, vous trouverez des billet sur le président américain Barack Obama et le président du Paraguay Fernando Lugo, qui ont tous deux surpris tout le monde en se faisant élire…Nous abordons aussi les sujets santé, comme le virus H1N1. Tout sujet qui m'intéresse et dont je pense qu'il peut être d'intérêt général.

Je peux vous assurer que les lecteurs de ce blog le considèrent comme le leur.

C'est une anecdote, mais l'an dernier, Oscar Uberti, un lecteur franco-paraguayen, est venu au Paraguay. C'est l'un des lecteurs assidus de mon blog ABC Rogue. Il est ingénieur à la retraite, et il s'intéresse beaucoup à la langue guarani ; alors, il a commencé à rédiger un dictionnaire guaraní des termes techniques utilisés par les ingénieurs. Il lit donc le blog pour apprendre et pratiquer la langue avec d'autres, depuis la France.

GV : Alors que la majorité de la population parle le guaraní, pourquoi selon vous existe-t-il seulement un blog d'informations en guaraní ?

MM : D'abord, il faut toujours se former, surtout aux outils des nouvelles technologies qui créent de nouveaux espaces pour répandre une langue. Il faut également être capable d'écrire, avoir des compétences de journaliste et aimer cela. Écrire pour un journal demande beaucoup de sacrifices, car c'est très chronophage et la famille doit collaborer, en accordant sa confiance et son équilibre. Je suis en train d'achever mon Master de langue guaraní, je fais partie de la première promotion, nous sommes trente étudiants, parmi lesquels des poètes, des journalistes ou des enseignants.

GV: Qui sont les lecteurs de votre blog, les Paraguayens ou les étrangers ?

MM : Ceux qui lisent mon blog sont surtout à l'étranger, ce sont des étudiants dans des universités au Japon, aux États-Unis, à Kiel et Mayence (Allemagne), des étudiants au Canada. Des Paraguayens aussi, qui vivent en Espagne, au Brésil, et au Paraguay, des gens qui aiment cette langue et des étudiants qui sont eux-mêmes guaranis. Des gens qui sont aussi surpris de trouver ce blog, car c'est une rareté. Personne ne pouvait imaginer que cela puisse être fait.

GV : Pensez-vous que le nombre de blog en langue guarani augmentera ?

MM : Je crois qu'ils augmenteront, il y a beaucoup de gens qui l'écrivent très bien, et des bons journalistes qui ont étudié le guarani et sont capables de publier des blogs, mais jusqu'ici, ils ne se permettent pas de le faire. Il semble que je sois la seule qui ne craigne pas de faire des erreurs.

C'est juste une question de prendre son courage à deux mains et de s'y mettre. Cela me rendrait très heureuse, car c'est un espace donné à une langue que beaucoup ont honte de parler ou d'avoir comme langue maternelle. Et ils n'ont pas saisi la richesse qui émane de l'expression des mots, qui sont le teko (essence) de l'être humain.