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Pakistan : Internet face au défi des langues pakistanaises

Catégories: Pakistan, Langues, Médias citoyens, Technologie, Le futur des NTIC pour le développement

[Liens en anglais]  Aujourd'hui, le Pakistan semble être le parfait candidat pour une croissance rapide de la pénétration d'Internet. Le pays a connu une explosion [1] de la radio FM, satellite et de la télévision par câble, déclenchée par des mesures législatives autorisant les sociétés privées à posséder des média. L'utilisation des téléphones portable a aussi atteint des niveaux phénoménaux avec plus de 90 millions d'abonnés. Avec une classe moyenne estimée à 30 à 40 millions [2] de personnes, dans un pays qui compte 180 millions d'habitants, Internet devrait connaître une croissance équivalente.

Plusieurs facteurs handicapent cependant cette expansion. Ils sont structurels, comme les pannes d'électricité à répétition, et sociaux, et relèvent particulièrement de l'expression écrite. L'illettrisme concerne environ 50% de la population pakistanaise, mais alors que la plupart des Pakistanais comprennent l'ourdou, moins de 10% de la population le parlent et l'écrivent comme leur langue maternelle.  Des langues locales comme le sindhi, le punjabi, le pashto et le balochi, ainsi que régionales comme le seraiki et le kashmiri sont les langues maternelles de la majorité de la population, tandis que l'anglais est la langue officielle du gouvernement.

Cette fragmentation des langues nationales a des conséquences sur l'utilisation d'Internet.  Aucune langue ne satisfait les besoins de tous les internautes pakistanais pour la lecture en ligne et la création de contenus.  L'anglais demeure donc l'option la plus usitée pour l'expression en ligne. Adnan Rehmat de Intermedia Pakistan [3] explique dans un entretien que l'anglais est une langue “d'ambition”, un marqueur distinctif d'éducation et d'accès à de meilleurs revenus, car l'anglais permet d'accéder à une communauté linguistique internationale. De plus, plusieurs langues pakistanaises régionales comme le punjabi sont surtout des langues orales et n'ont donc pas de solides cultures écrites.

Fouad Bajwa approfondit [4] la question en parlant de la gouvernance d'In [5]ternet [5] :

Un problème fondamental pour la pertinence de l'Internet local comme des technologies mobiles au Pakistan a été l'existence de contenus en ligne locaux et la capacité de rendre ce contenu local accessible à la communauté pakistanaise au sens large, au Pakistan et dans le monde entier, sur les différentes plateformes technologiques disponibles.

Il y a eu peu d'efforts concertés pour créer des polices informatiques unicodes [6] [en français] pour les textes en pakistanais. Nastaliq [7], la police la plus courante pour l'ourdou, n'est pas encore totalement adaptée au langage informatique unicode. De manière générale, pour écrire en ligne, on utilise soit des polices de la langue arabe comme celles relativement répandues de la BBC [8] et de Google [9], soit des images (NdT: photos de mots ou de pages imprimées sur papier) qui font office de texte.

Il n'y a pas encore de police de caractères acceptée comme standard dans les média traditionnels ou les blogs d'informations en ligne. Beaucoup de média traditionnels au Pakistan utilisent encore des images, ce qui oblige à composer le texte sur une plateforme différente et rend difficile l'utilisation de liens hyper-texte, comme on peut le voir dans cette édition récente du Daily Jang online [10] :

[11]

Capture d'écran du Daily Jang online , mai 2010

Le gouvernement pakistanais donne peu de recommandations pour l'utilisation des langues en ligne.  Ahmad Shahzad de Bytes for All [12] relève dans un entretien que l'Autorité Nationale Pakistanaise de la Langue manque de ressources, de connaissances du paysage numérique et de la conscience de l'urgence et de la priorité qui devrait être accordées à l'expansion de la langue pakistanaise en ligne.

Un certain nombre de projets pour résoudre ce problème ont été mis en œuvre durant la dernière décennie.  Le plus complet est peut-être celui du Centre de Recherche du Traitement de la Langue Ourdou du National University of Computer & Emerging Sciences (CRULP), à Lahore. Le directeur du centre, le Professeur Sarmad Hussain [13], travaille depuis 2002 à adapter la police Nastaliq à l'unicode. Les chercheurs décrivent leur objectif comme “mener des recherches pour l'évolution des calculs de modèles pour l'ourdou et les autres langues régionales pakistanaises.” Leurs projets développent des polices de caractères, adapte à la langue locale des programmes informatiques populaires ou des applications en ligne comme Microsoft Word, Firefox et Open Office, et des scripts de traitement pour les caractères qui peuvent être utilisées dans toutes les langues pakistanaises.

Ils travaillent aussi sur la reconnaissance optique de caractères, des outils de traitement de la parole comme des lecteurs d'écran pour les utilisateurs illettrés ou mal voyants, des outils de traitement de texte comme les correcteurs d'orthographe et les traductions assistées par ordinateur, des bases de gestion de contenus (Content Management System) en Nastaliq et des scripts pour les technologies sur terminaux mobiles.

Avec son projet de PAN localisation [14], le CRULP travaille aussi à développer la programmation en langues locales pour une douzaine de langues sud-asiatiques dont l'ourdou, le pastho et le bangla (Bangladesh). Le projet vise à développer des outils pour l'adaptation locale des applications.

Ces scripts et leur diffusion, comme la disponibilité de systèmes de gestion des contenus en ourdou et les outils de traitements des langues, ont été capitaux pour faire de l'ourdou une langue fonctionnelle pour la création de contenus en ligne.

De nouveaux outils existent maintenant pour faciliter la transition de l'anglais à l'ourdou, dont l'outil de translitération de l'ourdou [15] de Google et l’applisignet [16] des outils de Dynamic Language, qui gère la translitération de l'ourdou en anglais et en hindi.  Syed Ghulam Akbar, le créateur de l'applisignet, explique ses motivations dans un billet [17] sur le blog pakistanais scientifique STEP [18] :

La principale motivation pour le développement de cet outil n'était pas actuellement d'écrire en ourdou. En fait, il y a déjà beaucoup d'outils et d'applications qui permettent aux utilisateurs de taper en ourdou soit en utilisant un clavier spécial soit grâce à un script de translitération en alphabet latin. Ce qui m'a inspiré, c'est la volonté de créer un moyen simple de convertir le contenu roman de toutes les pages web en script ourdou pour le rendre plus lisible.

Les progrès conjugués des scripts, des applications et des plateformes en ourdou feront progresser une culture de création de contenus en ourdou en ligne.  Cependant, le délai pour leur diffusion implique que l'anglais va continuer à être la langue de choix sur le Web pakistanais.

On pourrait y remédier de plusieurs façons, comme par la large diffusion des outils disponibles et de leurs applications, le soutien aux médias traditionnels et citoyens pour les faire découvrir, s'informer à leur sujet, et les utiliser de manière créative, et la création de passerelles et des réseaux entre les communautés.  C'est pour cette raison que Fouad Bajwa veut créer [4] une encyclopédie ourdou en ligne :

Avec le temps, cela deviendra un environnement où convergeront les nouvelles connaissances, sous formes de textes, de fichiers audios et visuels utiles pour la conscience sociale et économique, l'éducation, des ressources et bases de connaissances utilisables dans différents domaines, l'éducation supérieure, les concours, des ressources pour les experts et des ressources illimitées en ourdou.

Mais pour le moment, il n'existe pas de communauté Wikipedia en ourdou, peu d'agrégateurs de blogs en ourdou, (comme http://urdublogs.co.cc/ [19]), de possibilités techniques pour les média traditionnels de produire des textes qui pourraient être indexés en ligne et recherchés, de médias en ligne en langage unicode et un manque de plateformes et d'applications en ourdou pour la téléphonie mobile.