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La Guinée s'apprête à élire son président

Catégories: Guinée, Élections, Médias citoyens
Le despote Lansana Conte est mort en décembre 2008 après avoir gouverné la Guinée d'une main de fer pendant 24 ans. Sitôt après, le capitaine Moussa Dadis Camara [1] s'emparait du pouvoir par un putsch. Et le 28 septembre 2009 eut lieu un atroce massacre [2] dans un stade, lors d'un rassemblement de protestation contre les velléités de Camara de briguer la présidence, alors qu'il avait initialement promis de ne pas le faire, avant de changer d'avis. Le New York Times [3] a rapporté (en anglais) :
“…bien que de nombreux secteurs des forces de sécurité aient été impliqués, c'est la garde présidentielle des “Bérets Rouges,” sous la conduite d'Abubakar “Toumba” Diakite, qui a été particulièrement responsable des violences, à l'arme à feu, au couteau et à la baïonette, violant en série les civils qui fuyaient, tuant au moins 157 personnes (selon le rapport de l'ONU) et en blessant au moins 1.200, non seulement dans le stade mais aussi parmi ceux qui fuyaient dans les rues”.
“Les soldats, dont beaucoup de la garde présidentielle, ont fait irruption dans le stade et ont ouvert le feu à bout portant sur les milliers de personnes venues là dans une ambiance de carnaval, dansant et priant. Une fois à court de munitions, les troupes ont attaqué les civils avec des poignards, des baïonnettes, des gourdins et même des catapultes, a indiqué le rapport. Les gens couraient en tous sens, et ceux qui s'arrêtaient pour secourir les blessés étaient abattus.”
Le 3 décembre 2009, Camara tomba sous les coups de feu d'Abubakar “Toumba” Diakite et fut évacué par avion au Maroc pour y être soigné. Le 12 janvier Camara fut ramené du Maroc au Burkina Faso.
Camara, son adjoint Konaté et Blaise Compaoré, Président du Burkina Faso, se rencontrèrent à Ouagadougou et se mirent d'accord sur douze principes permettant à la Guinée de revenir en six mois à un régime civil. L'accord stipulait que l'armée ne contesterait pas les résultats de l'élection présidentielle et que Camara resterait en exil. Le 21 janvier 2010, Jean-Marie Doré [4] (en anglais), le chef de la coalition d'opposition, appelée les Forces Vives, devint Premier Ministre d'un gouvernement de transition de six mois, chargé de tenir les élections et composé de  3 groupes de “10 ministres, à parts égales pour la junte militaire, l'opposition et les régions du pays”, comme l'explique le New York Times [4].
Un espoir mêlé d'inquiétude a accueilli en Guinée l'annonce de l'élection présidentielle prévue pour le 27 juin 2010. Ces élections sont déjà célébrées comme historiques, les premières élections libres en Guinée depuis l'indépendance en 1957.
Sur 36 candidatures enregistrées auprès de la Cour Suprême, 23 hommes et une femme ont été validés et figureront sur les bulletins de vote de la présidentielle.
Le blog Le jour de Guinée [5] donne la notice biographique de chacun des candidates.
La campagne électorale a déjà démarré. Selon Jeune Afrique [6] :
“Les candidats n’ont d'ailleurs pas attendu l’ouverture officielle de la campagne – le 17 mai – pour commencer la chasse aux électeurs. Dès la fin de mars, les posters des présidentiables étaient placardés dans Conakry : murs, poteaux, arbres, quasi aucun support n’est épargné. Beaux jours en tout cas pour les colleurs d’affiches. « En une seule journée, la semaine dernière, j’ai fait plus de 100?000 francs guinéens [environ 15 euros] », se réjouit Jean Soumah, chômeur de son état. Les imprimeries locales sont débordées. Émissions interactives, interviews des candidats, caravanes, tee-shirts, matchs de football, meetings, agences de communication surbookées : il n’y en a plus que pour la présidentielle.”
Qui sont les candidats ?
“Il y a les favoris –Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré  –, les challengers – François Fall et Lansana Kouyaté –, et pléthore de seconds couteaux. Parmi eux, quelques figures bien connues, comme Ousmane Bah, ennemi juré de Cellou Dalein Diallo?; Aboubacar Somparé, le candidat du Parti de l’unité et du progrès (PUP) de l’ancien président Lansana Conté; Mamadou Sylla, riche homme d’affaires dont le staff est convaincu qu’il sera « à la Guinée ce que Reagan a été à l’Amérique »; Ousmane Kaba, dissident du parti de Sidya Touré; Kassory Fofana, ancien ministre des Finances de Lansana Conté, qui se définit comme le candidat de la transparence ; l’ancien fonctionnaire international-Almamy Ibrahima Barry, qui n’est pas peu fier d’être le seul Guinéen à avoir osé déclarer sa candidature en 2008 sous Conté.
Alpha Condé, patron du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), persécuté par Conté et longtemps en exil, a fait un retour triomphal le 10 avril à Conakry, où il a été accueilli par une foule énorme (plus de 1 million de personnes, selon son parti). Son principal fief est la Haute-Guinée. ” Il est vu en martyr », admettent quelques-uns de ses rivaux à la magistrature suprême.”
Parmi les candidats figurent aussi trois proches alliés de Dadis Camara qui ont été impliqués dans le massacre du stade : Boubacar Barry, Papa Kolie Kouroumah and Bouna Keita.
Fixer la date au 27 juin n'a pas été une mince affaire, et les Guinéens n'excluent pas que les élections puissent être reportées.
Un billet du blog de Sylvie K [7] laisse entendre que la date du 27 juin ne sera pas respectée.
“De nombreux signes laissent présager un éventuel report de l'élection présidentielle prévue pour le 27 juin 2010.
En effet, le Général Sékouba KONATE et certains de ses proches sont entrain de souffler le chaud et le froid: d'une part, mettre tout le monde en confiance pour le respect de la date du 27/06/2010; et d'autre, se servir du nom des forestiers pour faire planer une menace sur le processus de transition en cours.
La réalité est qu'ils ne veulent pas quitter le pouvoir et pour ce faire, il faut trouver des boucs émissaires bien entendu dans le milieu naturel du Président Dadis CAMARA.
En lieu et place des préparatifs de l'élection présidentielle pour respecter la date indiquée et avoir les résultats des élections libres, transparentes et acceptées de tous, nous assistons à une machination diabolique destinée à mettre en cause la concorde, l'unité nationale et la cohésion sociale.
Il est vrai que nous avons toutes et tous hâtes d'amorcer le changement, est-ce une raison pour nous faire avaler n'importe quoi? Je réponds non. Nous voulons d'une démocratie sans violence, oui c'est possible. Il suffit pour cela dans le contexte actuel, à défaut de la tenue d'une conférence de réconciliation nationale, d'éviter la tenue de tout propos susceptible d'entraver une transition apaisée souhaitée par tous.”

Une anxiété dont se fait l'écho Guinee50 qui met en doute, non pas l'empressement des militaires à lâcher le pouvoir, mais le processus électoral [8] :

“Mais, est-ce vraiment possible pendant que les principaux acteurs impliqués à savoir les partis politiques, rejettent le fichier électoral entaché de fraudes pré-électorales ainsi que tant d'autres irrégularités?
Rien n'est sûr encore. La CENI ne fait que trébuchér et le plus gros risque que l'on minimise aujourd'hui- s'il y a report du scrutin – c'est bien la santé du Président de la transition: le Général Sékouba Konaté. C'est une préoccupation majeure qui doit être prise en compte car c'est la seule garantie pour la réussite de la transition. A chaque fois qu'il effectue un déplacement à l'étranger il reçoit des soins ce qui justifie d'ailleurs ses longs séjours.
Nous ferons bien si ce décret résistera aux contestations fondées dans une certaines mesures sur de éléments essentiels d'une élection crédible, transparente et acceptable.Ce qui est sûr à lumière de ce décret, c'est la volonté du Général à céder le fauteuil. Le moins sûr est la capacité de la CENI à présenter d'ici la date prévue, une liste acceptable même si celle-ci n'est pas complète car elle ne sera jamais.”
Cependant un autre  commentateur sur le blog de Sylvie [9] est révolté et n'accepte pas que les élections soient tenues à n'importe quel prix :
“Pauvre de nous,nous n'avons plus que nos yeux pour pleurer !
Selon mes informations la population à n'zérékoré avoisinerait les 800 000 habitant.Ce président à la solde de la françafrique qu'on veut nous imposer pour finaliser le bradage de la guinée est tout simplement révoltant.Il parait :”Qu'il vaut mieux une election imparfaite à une election reportée. C'est tout dire ! Je suis tout simplement outrée d'entendre de tels propos.Que Dieu protège la guinée et les véritables patriotes qui se battant pour le rayonnement de cette belle nation que nous aimons tant.Amen !”
D'autres électeurs font part de leur soif de candidats “propres”.
“je doute de la moralité des candidats qui n'ont jamais travaillé pour l'administration et qui se reclament avoir les mains propres.on ignore tout de leur passé, la plupart d'entre eux n'ont pas occupé de grands postes; donc rien ne prouve s'ils sont propres ou pas,en plus quelle expérience de l'Etat ont-ils? où etaient-ils pendant que les autres se faisaient bastonner par les fous de Dadis le 28 septembre? on apprend pas à diriger une fois arrivé au pouvoir. le plus important pour moi,c'est de servir le pays et en sortir les mains propres. je voterai pour un homme dans cette situation”.
Dadis Camara conserve des partisans qui s'inquiètent de son sort [10], le capitaine putschiste de Noël, sous les yeux de qui a eu lieu le massacre du stade, victime lui-même d'une tentative d'assassinat, et maintenant convalescent en exil au Burkina Faso.
“…quel sort réserve-t-on au capitaine Moussa Dadis Camara président de la république et président du CNDD ?
Cet homme que nous soutenons depuis janvier 2009, victime injuste d’une tentative d’assassinat le 03 décembre 2010 ; et aujourd’hui en exil forcé au Burkina-Faso. Par le bon vouloir de la France de Sarkozy ; et la volonté de Kouchner.
C’est pour réclamer haut et fort son retour dans son pays, ici et maintenant que nous sommes rassemblés ce matin criant notre colère et notre indignation face au silence complice des autorités guinéennes et l’indifférence de la communauté internationale.
Cosignataire des accords de Ouagadougou, il nous paraît incongru et injuste que celui-là même qui est le père de cette transition pacifique, soit absent du territoire national. Source de frustrations pour ses milliers de partisans que nous sommes, humiliés à travers leur idole Dadis Camara. “
La France, elle-même accusée d'ingérence et de vouloir installer son homme dans une Guinée riche en pétrole, maintient qu'elle ne soutient personne [11] en particulier.
“Ce scrutin historique n'appartient qu'aux Guinéens. La France, aux côtés de ses autres partenaires, apporte toute sa contribution pour soutenir le processus électoral. Elle ne soutient aucun candidat.”
Sur Guinée50 [12], un appel est lancé à voter sans considérations ethniques.
“La Guinée, c'est Nous les Jeunes. Ensemble,Refusons en bloc tout Vote Ethnique ce jour Historique du 27 juin”