Mexique : Deux morts sur la frontière, en dix jours

Les Mexicains sont sous le choc après les morts inattendues de deux de leurs compatriotes sous les coups de la Border Patrol des Etats-Unis [la police des frontières], dans deux incidents distincts intervenus à moins d'un mois de distance : Anastacio Hernández [les liens sont en espagnol], un ouvrier mexicain qui vivait en Californie depuis 20 ans, a été roué de coups au poste-frontière de San Ysidro-Tijuana, et Sergio Adrián Hernández, 15 ans, a été tué par balles sur la frontière El Paso-Ciudad Juárez . La similitude des deux décès a fourni aux médias citoyens un nouveau terreau pour évaluer les actions du gouvernement mexicain vis à vis des Etats-Unis en matière de migrations et de politique étrangère.

Le quotidien La Jornada a rapporté qu'Anastacio Hernández a été roué de coups le 28 mai par la Border Patrol au poste-frontière de San Ysido-Tijuana, après avoir été interpellé parce qu'il n'était pas en possession d'une autorisation de séjour. C'était un travailleur mexicain qui vivait en Californie depuis 20 ans, où il avait fondé une famille. La Jornada indique aussi qu'une vingtaine d'agents de la Border Patrol ont fait usage tant de force physique que de tasers contre l'ouvrier, provoquant sa mort cérébrale ; le lendemain, Anastacio décédait.

La violente agression contre Anastacio Hernández a été enregistrée en vidéo sur un téléphone portable par un étudiant californien présent à ce moment au poste-frontière. La vidéo peut être visionnée sur YouTube. L'étudiant, qui selon CNN Mexico témoignera dans l'affaire d'Anastacio, a déclaré à la presse que ce dernier était menotté pendant tout ce temps et n'avait résisté à aucun moment aux agents de la police des frontières.

Border US-Mexico. Photo by PhillipC. Used following a Creative commons license. Taken from http://www.flickr.com/photos/flissphil/5883071/

Frontière entre les USA et le Mexique. Photo sur Flickr de PhillipC. Utilisée sous licence Creative commons.

Le sort de Sergio Adrián Hernández a de nombreux points communs avec celle d'Anastacio, à cette exception près qu'il se trouvait en territoire mexicain lorsqu'il a été tué. CNN Mexico a rapporté que le 7 juin, Sergio et trois autres individus lancèrent des pierres sur les agents de la Border Patrol après avoir été surpris se faufilant à travers la frontière. Dans la bagarre, la police a tué Sergio d'une balle dans la tête, invoquant la “légitime défense”.

Un clip d'une émission d'actualités reprend une vidéo montrant Sergio et les autres tenter de franchir la frontière et la riposte de la Border Patrol.

Ces deux morts reflètent la tension entre le Mexique et les Etats-Unis après la loi anti-immigration controversée S.B. 1070, approuvée fin avril par l'Etat américain de l'Arizona. Cette loi dispose que, sur une suspicion raisonnable qu'un individu réside illégalement aux Etats-Unis, “une tentative raisonnable” doit être effectuée par les services de police pour déterminer la situation de l'individu au regard des règles d'immigration. Le projet de loi ayant été très critiqué pour conduire à des contrôles au faciès, des modifications ont été apportées à sa formulation, de façon à ce que la police ne puisse considérer la race, la couleur ou le pays d'origine comme un facteur d'application de la loi.

Méditant sur les deux heurts entre ressortissants mexicains et agents de la Border Patrol, le blogueur Franz d’El Arcangelino estime que les relations entre les deux pays sont une question épineuse :

El hecho de que los americanos estén respondiendo de esta manera nos habla de que se está radicalizando la protección fronteriza de los vecinos hasta las consecuencias más severas.

Le fait que les Américains réagissent de cette manière nous indique que la protection frontalière de notre voisin se radicalise jusqu'aux conséquences les plus sévères.

Bien que le gouvernement mexicain ait condamné les actes qui ont provoqué la mort d'Anastacio et Sergio, et ait exigé une enquête exhaustive sur les faits, les Mexicains constatent que la réaction de leurs représentants face à la question de l'immigration reste complaisante et faible, comme le reproche le blogueur TRC :

A la luz de estos indignantes acontecimientos no nos queda más que preguntarnos ¿hasta cuándo mantendrá la SRE [Secretaría de Relaciones Exteriores] una política exterior condescendiente (por no decir agachona)? ¿Cuándo se tomará una represalia pacífica pero contundente contra los EUA por los actos de racismo y discriminación que viven día a día los mexicanos de los más bajos estratos sociales que radican en la frontera norte? ¿Cuándo entenderá Patricia Espinosa [Secretaria de Relaciones Exteriores] que un “tibio” comunicado no es una reacción suficiente ante la sistemática y reiterada violación de derechos fundamentales contra mexicanos por parte del país vecino?

A la lumière de ces événements honteux, il ne nous reste plus qu'à nous demander jusqu'à quand le SRE (Secrétariat aux Relations extérieures) aura une politique extérieure complaisante (pour ne pas dire soumise) ? Quand prendra-t-on des mesures de rétorsion pacifiques mais douloureuses contre les USA pour les actes de racisme et de discrimination subis jour après jour par les Mexicains des couches sociales inférieures installés sur la frontière nord ? Quand Patricia Espinosa [Secrétaire aux Relations extérieures] comprendra-t-elle qu'un “tiède” communiqué de presse n'est pas une réaction suffisante devant la violation systématique et répétée des droits fondamentaux des Mexicains par le pays voisin ?

D'autre part, le blogueur Daniel Muñoz croit que ce qui est arrivé à Sergio, tué sur le territoire mexicain, change complètement la donne dans le cadre de la politique étrangère du Mexique vis à vis des Etats-Unis :

Creo que el gobierno mexicano debe hacer a niveles internacionales, lo que comúnmente conocemos como un “señor pancho”, si la violación a nuestra frontera y peor aún, el asesinato de un civil en suelo mexicano, no es motivo para levantar la voz, entonces resignémonos a ser el eterno patio trasero norteamericano, aquel concepto que Aguilar Zinser inventó acertadamente siendo embajador de la ONU.

Je pense qu'il faut que le gouvernement mexicain fasse au niveau international, ce qu'on appelle communément du “boucan”, si la violation de notre frontière, et pis encore, le meurtre d'un civil sur le sol mexicain, n'est pas motif à élever la voix, alors résignons-nous à être l'éternelle arrière-cour des Etats-Unis, ce concept créé avec tant d'à-propos par Aguilar Zinser quand il était ambassadeur de l'ONU.

Pour le blogueur Roberto de La borla del Hombligo, la mort de Sergio est un rappel de tous les jeunes menacés par les balles des trafiquants de drogue dans leur propre pays et de leurs voisins, la Border Patrol:

No, Sergio no murió cruzando la frontera, Sergio murió en su país y ahora su país tendrá que ver por él.

Non, Sergio n'est pas mort en passant la frontière, Sergio est mort dans son pays et maintenant son pays devra répondre de lui.

Et pour conclure sur la tendresse qu'ont les Mexicains pour la parodie et l'humour même dans les pires situations, l'utilisateur Twitter Miguel Burgos (@burdolab) s'est joint à la protestation sous le hashtag #MurderPatrol (“patrouille de meurtres”), en évoquant la mort de Sergio par la parodie d'une parole biblique :

El que esté libre de #murderpatrol que arroje la primera piedra

Que celui qui n'a jamais #murderpatrol jette la première pierre

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