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Brésil : Belo Horizonte improvise une plage dans une ville de montagne

Catégories: Amérique latine, Brésil, Arts et Culture, Idées, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Quand, à la fin de l'année dernière, la mairie de Belo Horizonte [1] a publié un décret bannissant toutes manifestations de quelque nature que ce soit, sur l'une des places les plus populaires de la ville, elle ne s'attendait certainement pas à créer une “beach life” dans une ville perchée sur les montagnes de l'intérieur brésilien.

Belo Horizonte est la capitale de l'état du Minas Gerais [2]dans la région Sud-Est du Brésil. Bien loin de la côte, cernée par les montagnes, la ville est  dotée d'une vie culturelle très animée qui accueille toutes les sous-cultures et les contre-cultures qui coexistent et s'expriment sous les formes les plus variées de loisirs et les événements les plus divers. La Praça da Estação [3] [en anglais] (Place de la gare) est une des lieux les plus populaires pour ce type de rassemblement.

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Photo sur Flickr de João Perdigão, Licence CC

C'est ici que, littéralement, la ville est née, puisqu'il s'agit du site de l'ancienne gare centrale, qui servait de “porte d'entrée” aux personnes et aux matériaux pendant la construction de Belo Horizonte au 19e siècle. La voie ferrée est encore utilisée par tous ceux qui arrivent des régions Ouest et Nord de la ville et elle dispose d'une ligne jusqu'à Vitória, capitale de l'état voisin de l'Espírito Santo. L'ancien bâtiment de la gare a été transformé en Musée des Arts et Métiers [5] attirant les touristes dans le centre ville. L'immense place en face de la gare a été rénovée ces dernières années et possède même, désormais, deux engageantes fontaines, au raz du sol, afin de pouvoir être facilement débranchées quand il y a beaucoup de monde. La Praça da Estação est aussi le point de départ de la Critical Mass [6] de Belo Horizonte et le lieu principal du populaire festival annuel Arraial de Belô, ainsi que d'autres spectacles et concerts qui illuminent la vie sociale des Belorizontinos. Ou illuminait ?

En décembre dernier, dans un décret publié par le maire de la ville [7] [en portugais, comme les liens suivants], la place a été condamnée à devenir un espace vide dans le but de garantir la sécurité publique en limitant les rassemblements au strict minimum, et préserver ainsi le patrimoine public. Immédiatement, cette décision a rencontré une forte opposition des citoyens, pour qui la place est un espace essentiel de la vie culturelle de la ville, et qui, en tant que contribuables, ont participé à sa rénovation. Des blogueurs ont discuté de la nouvelle loi, émettant l'hypothèse que le décret était un premier pas sur le chemin d'une “gentrification”, [8]en vue des jeux olympiques de 2014.

Une manifestation surnommée Vá de Branco [9] (Vas-y en blanc) a été organisée le 7 janvier, rassemblant une cinquantaine de personnes qui cherchaient des réponses à leurs questions :

Porque a Secretaria de Segurança Patrimonial não propôs um debate com a população sobre a depredação na Praça da Estação?
Porque os eventos foram proibidos na Praça da Estação e não na Praça do Papa?
Porque poucas pessoas entram no Museu de Artes e Ofícios que fica na Praça da Estação?
Qual é o maior espaço central para eventos gratuitos em Belo Horizonte? Quais foram as depredações dos últimos eventos?

Pourquoi le bureau de la sécurité patrimoniale n'a-t-il pas proposé à la population de débat sur la dégradation de la Place de la gare ?
Pourquoi les manifestations culturelles ont-ils été interdites sur la Place de la gare et pas sur la Place du pape ?
Pourquoi le musée des Arts et Métiers, qui est situé sur la place de la gare, est-il si peu fréquenté ?
Quel est le plus grand espace central pouvant accueillir des manifestations culturelles gratuites à Belo Horizonte ? Quelles ont-été les dégradations observées lors de ces dernières manifestations ?

C'est à l'occasion de cette rencontre que s'est affirmée la nécessité d'un mouvement populaire, indépendant de tous partis, en faveur d'une culture locale et gratuite [10]. Et des discussions qui s'en suivirent est née une nouvelle idée : rendez-vous sur la place, tous les samedis, avec son pique-nique, à boire, des serviettes de plage et des parasols, des tam-tams et des guitares, en maillots de bains ou en shorts. En bref, faire de la place une plage en plein centre-ville. Une idée qui s'est répandue par les réseaux sociaux sur Internet et a été adoptée par les citoyens [11].

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Photo sur Flickr de Luiz Navarro, Licence CC

Depuis lors, la Praia da Estação (Plage de la gare) est devenue le terminus obligé dans le circuit habituel des promeneurs urbains du samedi. Une protestation tranquille, pleine d'humour, mais néanmoins ferme [13], un acte de désobéissance civile qui fait le bonheur des vendeurs ambulants ainsi que des bars autour de la place. Les fontaines, normalement branchées à 11h et à 17h pile, restent étrangement fermées le samedi, mais à l'occasion, les manifestants organisent une collecte dans le but de faire venir un camion citerne pour arroser tout le monde.

D'autres tentatives pour faire bouger la ‘Plage de la gare’ sont les Eventões ou Grands Événements [14], un appel à la population à organiser des “événements de n'importe quelle nature” sur une place où ils ont prétendument été interdits. Les Eventões ont rassemblé des centaines de personnes et ont été la cause de quelques tensions lorsque la police est intervenue pour empêcher les gens d'installer des sonos. Le premier Eventão s'est terminé avec les ‘estivants’ occupant la rue et bloquant la circulation, jusqu'au non moins populaire Viaduto (Viaduc), à quelques pâtés de maisons de la place, lieu bien connu pour abriter les Duels de MC de Belo Horizonte tous les vendredis soirs.

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Photo Eventão, Licence CC

Le blog Praça Livre BH [16] est devenu plus qu'un blog informatif sur tout ce qui se passe à “la plage”. Les thèmes abordés se sont étendus à la rénovation urbaine, aux expulsions et occupations (par exemple de terrains abandonnés) et une solidarité s'est établie avec d'autres mouvements populaires du Brésil, comme celui des étudiants de Florianopolis, en lutte pour la gratuité des transports publics. Et certains des estivants qui protestent de manière détendue le samedi prennent les choses au sérieux pendant la semaine et participent aux audiences publiques de la mairie. La première a eu lieu le 24 mars [17]. En dépit de l'absence de quelques hautes autorités du pouvoir local – tel que le maire Márcio Lacerda [18], le président de la fondation pour la culture locale, Taís Pimentel, le secrétaire à l'administration locale, Fernando Cabral, et le président de la Belotur (la compagnie touristique de la ville) Júlio Pires – les manifestants ont pu faire part de leurs préoccupations sur l'utilisation des espaces publics, financés par l'argent public, au chef du cabinet régional, Ângela Maria Ferreira, qui représentait les représentants absents du conseil municipal.  Elle leur a assuré que la situation était temporaire.


Plage de la gare – Audience Publique – Video Protest [17]

De fait, le décret a finalement été abrogé le 4 mai. Mais avec une altération. Les manifestations culturelles sur la place sont désormais assujetties à une taxe minimum de 9000 [19]R$ [19] ( [19] 4113 €), [19]ce qui ne permet que les événements sponsorisés par le secteur privé :

Tal medida materializada pelos decretos 13.960 e 13.961 e editada na ultima terça-feira 4 de maio,  pretende dar aos espaços públicos o mesmo tratamento dos “salões de festa”, pode?

Une telle mesure matérialisée par les décrets 13.960 et 13.961 et éditée mardi 4 mai prétend donner aux espaces publics le même traitements qu'aux salles des fêtes, est-ce possible ?

Et c'est ainsi, on le dirait bien, que la place accueillera la Coupe du monde virtuelle; sponsorisée par Coca-Cola. Snacks et bars, toilettes chimiques, écrans géants, services de sécurités et les inévitables billetteries vont prendre possession de la place, et les discussions à propos de l'usage qu'en fait la mairie vont reprendre de plus belle. Les citoyens de Belo Horizonte se demandent à présent [19] si tel est le futur de leurs espaces publics : contrôle de qui a y accès ou pas et utilisation payante.

Essas intervenções se definem por moldes dos velhos projetos característicos de todas as modernas cidades erguidas sob os pressupostos unitários do capitalismo: limpeza de aspecto fundamentalmente classista, projetos infra-estruturais de custos estratosféricos, restauração de pontos turísticos e outros.

Ces interventions sont définies sur le modèle des vieux projets caractéristiques de toutes les villes modernes construites selon les présupposés unitaires du capitalisme: propreté d'aspect fondamentalement représentatif d'une certaine classe sociale, projets aux coûts stratosphériques des infrastructures, restauration des lieux touristiques et autres.

De telles préoccupations vont à l'encontre des débats actuels ayant lieu de par le monde, quant à la fonction des espaces publics. En prévision de la prochaine coupe du monde en 2104, organisée par le Brésil, et des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016, les Brésiliens commencent, dès aujourd'hui, à percevoir les premiers signaux d'une politique publique de rénovation urbaine et de spéculation, importée de l'étranger comme faisant partie de cette tendance globale du pouvoir à augmenter le contrôle exercé sur la population mondiale. Au Brésil, de telles préoccupations [20] se font déjà sentir et sont dénoncées dans certaines villes, plus spécialement à Rio et São Paulo [21].

Invariavelmente, as olimpíadas dão início a uma blitzkrieg contra pobres e moradores de rua, criando um verdadeiro estado de exceção. Zonas da cidade são praticamente fechadas a quem não tiver ingresso, as ruas são socialmente higienizadas e a polícia passa a agir com truculência animalesca contra os não convidados para a festança de gringo que vamos montar.

Invariablement, les Jeux Olympiques sont l'occasion d'une blitzkrieg contre les pauvres et les sans-abris, donnant lieu à un véritable état d'exception. Certaines zones de la ville sont pratiquement fermées à qui n'a pas son ‘ticket d'entrée‘, les rues sont socialement aseptisées et la police commence à agir avec une truculence animale contre les non-invités à la fête des ‘gringos‘ (toute personne non-originaire d'Amérique du Sud) que nous allons organiser.

Ainsi, même s'il n'y a pas de place pour la serviette d'un amateur de plage sur la place pendant la prochaine Coupe du Monde, le mouvement praça livre continue à lutter pour des espaces publics libres, et demande sur son blog, si le nouveau décret pourrait, lui aussi, être abrogé, de la même manière que celui qu'il a remplacé [22]. La réponse s'enracine dans une mobilisation populaire et la question devient : jusqu'où ce mouvement va-t-il amplifier, et combien d'autres semblable vont naître, au Brésil, durant les dix prochaines années ?