- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Pérou : la blogosphère commémore Bagua

Catégories: Amérique latine, Pérou, Médias citoyens, Peuples indigènes

[Liens en espagnol sauf mention contraire] Un an après les affrontements tragiques de Bagua [1] [en français], où 34 personnes ont officiellement perdu la vie (dont 23 policiers) – des sources indépendantes parlent d’un nombre de victimes bien plus important -, les Péruviens expriment leurs ressentiments sur les blogs : souffrance au souvenir de ces événements,  frustration devant une affaire qui n’a toujours pas été élucidée, désenchantement face aux mesures politiques prises par le gouvernement qui semblent favoriser les grandes entreprises plutôt que les individus.

[2]

Marche en souvenir de Bagua. Photo de Juan Arellano, publié avec sa permission.

De nombreux articles [3] des médias péruviens [4] traitent de ce drame et de la façon dont le gouvernement et la population en général devraient assumer et reconsidérer leur opinion sur les communautés indiennes d’Amazonie. En outre, des manifestations se sont déroulées dans la localité de Bagua [5] ainsi qu’à Lima [6] afin de commémorer les morts de l’année dernière. Mais voyons les réactions sur les blogs. Silvio Rendon du blog Gran Combo Club décrit ce qu’il s’est passé et s’exprime sur les manifestations dans A un año del 5J en Amazonas [7] (Un an après le 5J en Amazonie) :

Hace un año señalé que estaríamos ante la revolución amazónica de 2009 [8]. Y lo estuvimos, sólo que fue una revolución amazonense más que amazónica. En Amazonas desacataron una autoridad que consideraban arbitraria, tomaron comisarías y el local del partido gobernante, tomaron y mataron rehenes, fueron ametrallados desde el aire y finalmente fueron derrotados militarmente. La población de Bagua Grande se levantó al enterarse del desalojo policial en Siempre Viva (lo que Lima prefieren llamar la Curva del Diablo) … La de Amazonas fue una revolución triunfante pues logró que el gobierno derogara los decretos de la selva, o más precisamente, logró que el gobierno de los Estados Unidos gestionara que el gobierno peruano derogara los decretos de la selva.

Il y a un an, je prédisais que nous allions être confrontés à la révolution amazonienne de 2009 [8]. Ce fût le cas, mais on a assisté à une révolution en Amazonie plutôt qu’à une révolution amazonienne. En Amazonie, ils ont chassé un dirigeant qu’ils considéraient comme partial, l’ont remplacé par des officiers d’intendance et, à l’endroit où le parti au pouvoir s’était réuni, ils ont capturé et tué des otages. Ils ont été abattu depuis des avions et ont été finalement vaincus par l’armée. Les habitants de Bagua Grande se sont réveillés en trouvant Siempre Vivo (à Lima on se plait à l’appeler la Curva del Diablo) sans policiers… L'Amazonie a été une révolution qui a réussi car elle a été réalisée afin que le gouvernement abolisse les décrets sur la jungle, ou, plus précisément, de façon à ce que le gouvernement des États-Unis intervienne pour que le gouvernement péruvien abolisse les décrets sur la jungle.

Le fin du billet est très instructive, avec des faits et des comptes rendus en provenance de Bagua même. Un autre article enrichissant a été écrit par Antonio Peña Jumpa sur le blog Derecho y Desastre (Droit et Désastre) où il donne une vision juridique [9] du conflit :

El Derecho es el medio y el fin para resolver conflictos. Sin embargo, a la fecha, las autoridades del Estado no han emitido un informe jurídico uniforme sobre los acontecimientos para alcanzar una solución. Cuando menos hay 3 informes. Pero también existe una gran dificultad para que nuestras propias autoridades (Congreso y Poder Judicial) coincidan en identificar constitucional y legalmente a los responsables o los autores intelectuales de los sucesos. Mientras se carezca de sanciones efectivas a los responsables, el Derecho de los muertos y heridos permanecerá en duda y es probable que las víctimas o sus familiares no cesen de reclamarlo.

Le droit constitue les moyens et la fin pour résoudre des conflits. Cependant, à ce jour, les autorités de l’état n’ont pas publié de rapports juridiques homogènes sur les événements afin de trouver une solution. Il y a au moins trois rapports. Mais nos propres autorités (le Congrès et le pouvoir judiciaire) éprouvent une grande difficulté à se mettre d’accord pour identifier constitutionnellement et juridiquement les responsables ou les têtes pensantes de ces émeutes. Tant que des sanctions efficaces ne sont pas prises contre les responsables, les droits des victimes décédées ou blessées resteront en suspens, et il est probable que les victimes ou les familles ne cesseront de les réclamer.

Paco Baradales, un avocat et blogueur de la région de Loreto [10] – région peu habitée mais la plus grande du Pérou, faisant partie intégrante de la forêt amazonienne – préfère se placer [11] dans une perspective régionale :

nosotros, los amazónicos, los olvidados por el Perú oficial. Un drama que viene de siglos, apenas visibilizado, incomprendido o ignorado por quienes tienen el deber de descubrir procesos de integración. … Creer que la tragedia se debe a arrestos de “ciudadanos de segunda clase” es no querer entender que la Amazonía es un todo de múltiples visiones y formas de entender el mundo, algunas muy lejanas a la mentalidad occidental, que tienen no sólo el derecho sino la obligación de ser integradas al país.

Nous, les amazoniens, les oubliés des représentants péruviens. Une tragédie d’un siècle à peine visible, incomprise et ignorée par ceux qui ont le devoir de s’occuper de politiques d’intégration… Croire que cette tragédie est le fruit des arrestations de « citoyens de seconde zone » marque une absence de volonté à comprendre que l’Amazonie forme un tout, avec de multiples facettes et façons de comprendre le monde, dont certaines sont totalement différentes de la mentalité occidentale. Elles ont non seulement ont le droit mais aussi l’obligation d’être intégrées au sein du pays.

Par ailleurs, le blogueur de Trabador Sin Suerte (Le Troubadour Malchanceux) n’est pas très optimiste sur la situation actuelle et écrit [12]:

Bagua no ha servido para un acercamiento entre el Perú oficial y el real, simplemente ha servido para corroborar qué, a pesar de las optimistas cifras macro-económicas, de las inversiones rebosantes, de ese aroma a primer mundo que emiten las vitrinas de los Centros Comerciales, seguimos siendo una República Bananera, donde los recursos naturales se rematan debajo de la mesa, las leyes se modifican para beneficiar al poderoso, nos gobierna un presidente asesino reincidente en matar ilusiones.

Bagua n’a pas servi d’événement rassembleur du Pérou d’en haut et du Pérou d’en bas ; il a seulement confirmé que, malgré des chiffres macro-économiques optimistes, malgré des investissements à profusion, malgré l’odeur de Premier Monde sortant des vitrines des centres commerciaux, nous sommes toujours une république bananière, où les ressources naturelles sont négociées sous le manteau, les lois sont modifiées au profit des puissants, et nous sommes gouvernés par un président récidiviste quand il s'agit de briser les espoirs .

Le blogueur d’Agenda Multicolor (Agenda Multicolore) a perdu ses illusions sur la société péruvienne, et exprime son point de vue dans un billet appelé Bagua [13]:

El 05 es un año de las muertes en Bagua. Todos seremos amazónicos nuevamente, gritaremos que la selva no se vende y grafitearemos “resistencia amazónica” en las paredes… Al menos un año después tengan la amabilidad de enterarse bien, al menos por respeto a los muertos o por el miedo a la muerte. Esta no es tu oportunidad para la lucha de clases, su “guerrilla” estuvo compuesta por madres e hijos mal alimentados que dejaron sus casas para ver la muerte. Tampoco es esto un ataque zurdo a tu querida empresa meditado por Hugo Chávez manipulando a pobre infelices analfabetos. Esto es más grande […] Nos odiamos y nos matamos. Sistemáticamente, institucionalmente, históricamente.

Le 5 [juin] marque la première année depuis les meurtres de Bagua. Nous serons tous des amazoniens une fois de plus, nous crierons que la jungle ne peut être vendue et nous allons taguer « Résistance Amazonienne » sur les murs… Au moins, dans un an, ayez la courtoisie de vous tenir bien informés, au moins par respect pour les morts ou pour ceux qui craignent de mourir. Ce n’est pas une opportunité pour la lutte des classes, sa « guérilla » est composée de mères et d’enfants mal nourris qui ont quittés leurs maisons pour voir la mort en face. Ce n’est pas une attaque de gauchistes contre votre business bien-aimé, comme avait prémédité Hugo Chavez en manipulant les pauvres illettrés mécontents. C’est pire que cela […] Nous nous détestons et nous entretuons. Systématiquement, institutionnellement, historiquement.

Pour finir, un point de vue plus positif, de Santiago, au Chili.  Colectivo Plaza de Armas décrivent [14] sur le blog Peruanos en Chile (Péruviens au Chili) la façon dont ils commémorent l’anniversaire, en concluant avec une idée pour résoudre les problèmes qui ont suivis les émeutes de Bagua :

El Taller de Marinera “Plaza de Armas” que se reúne los sábados en la entrada del metro Dorsal rindió homenaje a los policías y comuneros muertos en el baguazo. Antes de iniciar su sesión se pusieron velas en el suelo que a pesar de ser de día brillaron en el alma de cada uno. Entre baile y baile cada uno de los asistentes dijo algo sobre sus deseos para la amazonía en particular y para nuestra patria en general. La idea general es que los pueblos originarios deben dejar de ser dominados por un régimen que mantiene el espíritu de la colonia y comenzar a ser ellos quienes gobiernen.

L'association « Plaza de Armas », qui s’est réunie le samedi 5 juin à l’entrée de la station de métro Dorsal, a rendu hommage aux policiers et anonymes qui ont trouvés la mort à « el baguazo ». Avant que cette commémoration commence, ils ont disposé des bougies sur le sol qui ont brillé dans l’âme de chacun, même si c'était à la lumière du jour. Entre les danses, tout ceux qui ont assistés à la cérémonie se sont exprimés sur leurs souhaits pour l’Amazonie en particulier et pour notre pays dans son ensemble. L’idée générale est que les peuples indigènes ne doivent plus être dominés par un régime qui maintient l’esprit colonial et qu’ils ont besoin de se gouverner eux-mêmes.