Dans les 16 années qui ont suivies l’accord de cessez-le-feu qui a mis fin au conflit opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour le contrôle du territoire du Haut-Karabakh, les tentatives répétées pour négocier un traité de paix définitif n'ont pas abouti.[lien en anglais sauf mention contraire]
Cependant, depuis un an et demi, des réseaux sociaux et des blogs offrent de nouvelles perspectives pour ceux qui prennent part à des initiatives de gestion et de résolution du conflit, bien que l’utilisation de ces nouvelles technologies dans un tel domaine reste marginale dans cette région géographique.
Par ailleurs, malgré ces nouvelles opportunités, beaucoup d’articles parus sur la Toile en rapport avec le conflit restent pessimistes, provocateurs, et sont parfois plus destinés à perpétuer un sentiment d’hostilité entre les deux camps qu’à tenter d'y mettre fin. Néanmoins, dans deux billets écrits cette semaine sur le blog personnel du responsable pour le Caucase de Global Voices, une jeune Azerbaïdjanaise et une jeune Arménienne se sont vues offrir l’occasion d’exprimer leur propre opinion sur le conflit ainsi que de raconter leur expérience personnelle.
De tels témoignages paraissent rarement, voire jamais, dans les médias locaux, mais les blogs et les autres technologies pourraient-ils maintenant leur offrir la possibilité d’être entendus ? Dans le premier billet, Zamira Abbasova, une réfugiée azérie d’Arménie de 25 ans, raconte en détails son expérience. Cette étudiante, qui étudie désormais la gestion de conflits aux États-Unis, a pris contact pour la première fois avec Global Voices en octobre, après y avoir suivis les événements du Caucase.
Je suis née en 1984 à Vardenis, et quatre plus tard, ma famille entière ainsi que mon entourage ont dû fuir l’Arménie vers l’Azerbaïdjan à cause des déplacements massifs de population. J’avais seulement quatre ans lorsque j’ai quitté l’Arménie, mais en y repensant, je ne sais pas si c’est une bonne chose ou pas comme je suis incapable de me souvenir de tout ce que j’ai laissé derrière moi. Néanmoins, je me souviens de notre maison, de notre jardin, du terrain de jeu, de mes amis, de mon pommier, et du coq que j’aimais tant.
Après notre arrivée en Azerbaïdjan, je rêvais souvent de notre maison et de marcher dans les ruines de notre village. Cependant, à un moment, tout disparaissait. Malgré tout, ma famille n’a jamais perdu l’espoir de rentrer chez nous, un jour. Nous pensons que deux voisins qui ont co-habités ensemble pendant des siècles se réconcilieront, même si le mal ne les a jamais quittés et leur chuchotent toujours des mots haineux.
[…]
J’ai ressenti des sentiments et des émotions mitigés lorsque j’ai rencontré pour la première fois des Arméniens. Je me suis fait plein d’amis, j’ai parlé ouvertement avec eux, et écouté leur point de vue. Depuis, à chaque fois que je vois un Arménien, que ce soit dans la rue ou en société, je ressens comme un lien avec eux et leur pays dans lequel je suis née, je rejette l'idée « qu’ils devraient être mes ennemis ». C’est le pouvoir du « bien » sur le « mal », que nous avons trop longtemps ignoré.
Cette guerre a fait de moi une partisane de la paix bien que je sois nouvelle ici. Cependant, mon combat est plus compliqué, car d’un côté je dois aider ceux qui sont en conflit, et d’un autre côté je dois m’aider moi-même.
Ce billet a beaucoup ému et a été partagé par des Arméniens sur leur page Facebook ainsi que sur les pages d’autres internautes qui ont vécu ce genre d’expériences dans cette région. Déjà disponible en anglais, azerbaïdjanais, russe et espagnol, un des nombreux lecteurs l’a bénévolement traduit en arménien tandis qu’une Arménienne réfugiée en Azerbaïdjan, que Global Voices avait déjà mis en contact avec Zamira Abbasova, a affirmé dans un commentaire laissée sous le billet qu’elle s’était sentie “inspirée”.
Merci à vous deux de partager cette histoire bouleversante. Je pense que je vais aussi écrire sur notre cas (celui de Zamira et mon expérience) sur mon blog. Ce billet m’a inspirée pour faire cela. Encore une fois, merci beaucoup.
Le jour suivant, cette jeune femme de 22 ans, récemment diplômée en Arménie, a écrit son propre billet [en anglais, azerbaïdjanais et russe] sur le conflit qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdjan et les relations crispées avec la Turquie. Elle a également publié une vidéo d’un rassemblement appelant à la paix dans la région du Sud-Caucase. Marine Ejuryan raconte comment elle a été plus d'une fois critique envers ses voisins éloignés d’Arménie, mais elle s’est maintenant investie dans de nombreuses activités transfrontalières pour encourager le dialogue entre les deux pays.
“Pour ceux d’entre vous qui me connaissent, mais qui ne me connaissaient pas quand j’étais encore une étudiante de première année ou de deuxième année, vous allez être probablement surpris d’entendre qu’il y a à peine quatre, je faisais partie des jeunes Arméniens qui criaient des slogans anti-turcs et anti-azerbaïdjanais durant des événements commémoratifs. J’étais aussi celle qui écrivait des articles pour le journal de l’université avec des titres comme « Le grand canular : l’Azerbaïdjan ».
En prenant du recul, lorsque je me rappelle mes années « sombres », je sais que c’était simplement une période où j’étais en quête de moi-même, cherchant à déterminer mon idéologie personnelle et à trouver mon propre chemin dans la vie. Je peux supposer qu’il y a beaucoup d’autres jeunes gens et d’adolescents dans nos pays qui sont aussi passés par là et qui ont finalement fini par être là où ils sont aujourd’hui.
Et maintenant, à peine diplômée d’une maîtrise en relations internationales, je suis devenue quelqu’un qui comptent parmi ses amis des dizaines de Turcs et d'Azerbaïdjanais. Parmi eux, je dois dire que certains sont des amis très proches. Je suis aussi quelqu’un qui écoute de la musique turque et azerbaïdjanaise, lit des livres d’auteurs de ces deux pays, et qui soutient des initiatives sincères qui mèneront à la paix et à une résolution du conflit qui séparent les autres.
Également disponible en arménien, en azerbaïdjanais et en russe, ce billet s’est à nouveau avéré très populaire, et pas seulement en Azerbaïdjan. Une multitude de jeunes Azerbaïdjanais partagent ce lien sur Facebook et certains l’ont même ajoutée comme amie sur ce même réseau social. Sans surprise, Facebook a été cité comme un outil précieux pour la constitution d’un réseau et pour la communication transfrontalière dans le billet.
Le Blog Öner a republié la version azerbaïdjanaise du billet d’Ejurvan.
Dialoq.
Bizim önümüzdə olan yeganə yoldur. Dialoq mənim vəziyyətimdə Azərbaycanlılar ilə ünsiyyət tapıb bir çox məsələyə dair fikrimi dəyişdirən yeganə yol idi. Danışmaq və irəliləmək. Əməkdaşlıq etmək və irəliləmək. Yalnız bu mövqe ilə bir çox həssas məsələlər həll oluna bilər. İllər əvvəl bir kitabda oxuduğum və həmişə yaddaşımda saxlayacağım aşağıdakı cümləni indi sizinlə paylaşmaq istəyirəm.
“Münaqişədə olan tərəflərin “hər şeyi” əldə edə bilməyəcəkləri fikri həqiqətdir. Lakin bu həqiqət siyasidir. Humanist mövqeyi nəzərindən isə, hər iki tərəf hər şey əldə edə bilər. Əgər bu “hər şey” qəti sülhdürsə”.
Dialogue.
C’est le seul moyen avant nous, juste comme cela fut le cas pour moi lorsque, parlant avec des azerbaïdjanais, j’ai changé mon opinion sur une multitude de choses. Parler et aller de l’avant. Coopérer et aller de l’avant. Ce sera seulement avec cette approche que l’on pourra trouver des solutions fondamentales sur les autres affaires sensibles. D’ailleurs, j’ai toujours cette phrase en tête que j’ai lue dans un livre il y a quelques années de cela, et que je voudrais la partager avec vous dès à présent :
« Penser qu’aucun des deux pays en conflit ne peut « tout » obtenir est juste. Mais cette justesse est, pour ainsi dire, politique. D’un point de vue humanitaire, les deux camps peuvent tout avoir, puisque ce « tout » signifiera la paix finale ».
Ce point n’a pas été oublié par la jeune activiste et réalisatrice italienne Letizia Gambini, qui travaille en ce moment à un film documentaire sur l’activisme de la jeunesse arménienne, azerbaïdjanaise et géorgienne ainsi que sur le blog de son voyage, The Story of a Brilliant Idea (L’histoire d’une idée brillante). Elle a aussi posté sur Twitter ses réactions sur le billet de Marine Ejuryan.
“Quand je lis quelque chose comme ça, je crois que tout est possible. Même la Paix Suprême.”
Micael Bogar, une connaisseuse aguerrie du Sud-Caucase, autrefois directrice de programme à l’Université Américaine, qui étudie l’utilisation des nouveaux médias dans un conflit (voir l'interview de Global Voices ici), se demande dans ses commentaires laissés sous les deux billets s’ils ne s’inscrivent pas dans le début de quelque chose de plus important dans la région.
Néanmoins, malgré la grande popularité des commentaires sur les deux billets, provenant de part et d’autres des deux pays en conflit, on ne peut pas dire qu’ils reflètent l’opinion majoritaire. De plus, si l'on tient compte des inquiétudes grandissantes pour la liberté des médias dans chacun des deux pays, il est aussi possible que l’activisme de ces internautes soit pris pour cible. Cependant, même si le côté négatif l’emporte actuellement sur le côté positif, on peut prévoir des jours meilleurs, comme l’atteste un commentaire d’un lecteur d’Azerbaïdjan.
Je trouve que ce billet a illuminé ma journée, voire ma semaine. Je pense que nous, la jeunesse de ces deux pays, pouvons entamer ce difficile et long processus de réconciliation entre nos nations, et enfin commencer à se pencher sur les vrais problèmes plutôt que de s’entre-déchirer.
Dans un précédent billet sur le nouveau site Caucasus Edition, Flying Carpets and Broken Pipelines (Édition du Caucase, Tapis Volants et Oléoducs Détruits), la blogueuse Arzu Gevbullaveva rappelle le contexte et commente la réalité dont beaucoup estiment qu’elle doit changer.
Nous avons construit de grands murs autour de nous-mêmes, en nous nous nourrissons, nous et nos enfants, de normes et de valeurs qui sont parfois figées, nous changeant en robot. Nous nous sommes enfermés sur nous-mêmes à un moment où nous devrions être en mouvement et devrions rechercher un avenir meilleur.
Il est temps de se réveiller, il est temps de commencer à casser les stéréotypes et sortir de notre zone de confort.
Dans deux commentaires adressés aux auteurs des deux billets, Liana Aghajanian, blogueuse de Ianyan, se dit d’accord avec elles et pense qu’une telle approche pourrait être fructueuse.
Zamira, je suis très émue par votre histoire et apprécie les perspectives que vous développez. J’espère que vous pourrez partager davantage d’histoires de votre passé ainsi que de votre prochain voyage – je pense que ce genre d’histoires forme une base sur laquelle les conflits peuvent vraiment s’appuyer pour évoluer. Merci.
[…]
C’était magnifique et même important ; je sens que cette façon d’écrire, de dialoguer et de partager son expérience peut vraiment contribuer au changement. Marine, merci d’avoir partagé votre histoire.
Bien sûr, de telles voix sont sans doute en minorité dans les deux pays, surtout en terme d’activisme sur Internet, mais de nouveaux outils technologiques permettent au moins de leur offrir une meilleure visibilité. Étant donné le niveau actuel des débats sur le conflit, ou même le manque de débat, une telle évolution est sans précédent. C’est particulièrement sensible sur Facebook où le nombre de partage des liens et de commentaires positifs ont de loin éclipsé ceux faits sur les blogs ou autres sites internet.
Global Voices va continuer à garder un œil attentif sur les évolutions de l’utilisation des nouveaux médias sociaux dans le conflit Arméno-Azerbaïdjanais. A suivre.
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