Que signifie le fait d'être indien ? Priya Ramani est rédactrice en chef de Mint Lounge [en anglais comme l'ensemble des liens du billet sauf mention contraire], le magazine publié tous les week-ends par le quotidien économique Mint, et son récent article, dans lequel elle fait part de son sentiment de ne pas être vraiment indienne, a provoqué un débat en ligne animé.
Bien qu'écrit de manière humoristique, en mettant l'accent sur des comportements indiens stéréotypés, l'article de Ramani ne pouvait qu'enflammer les passions :
Depuis quelques temps, je suis de plus en plus persuadée de ne pas être une Indienne. (…) Je n'aime (ou ne comprends) aucun des feuilletons à l'eau de rose qui passent actuellement à l'écran. Je ne hausse jamais le ton en parlant à ma bonne, à mon courtier ou à un quelconque ami pendant un film. Je laisse toujours les gens sortir de l'ascenseur avant de m'y engager. Je ne pense pas que les cinéphiles de Mumbai soient obligés de se mettre debout pour pouvoir voir Shrek (ou n'importe qui d'autre) sur grand écran. Je ne ressens aucune fierté – juste de l'agacement à l'idée que mes pop-corn refroidissent – quand je suis obligée d'écouter Lata et Asha interpréter une version au ralenti de l'hymne national qui précède la moindre projection de film à laquelle j'assiste dans ma ville natale. (…) Je ne pense pas que nous soyons le plus formidable peuple de la terre. Je ne comprends pas nos sentiments de fausse fierté et nationalistes. Toute cette période de battage médiatique autour de « Jai Ho » ? Je n'ai jamais saisi.
Le célèbre blogueur Greatbong réagit aux propos de Ramani, selon lesquels les Indiens ne sont pas les gens les plus formidables de la terre :
Bien sûr que nous ne le sommes pas. Aucun pays ne l'est. Et pourtant, tout le monde affirme l'être. Si je recevais un dollar chaque fois que quelqu'un déclare à la télévision américaine, y compris de très brillants intellectuels tels Obama ou des éditorialistes appartenant aux meilleurs journaux du monde (et je ne fais pas référence aux présentateurs de Fox News), qu'« il ne fait aucun doute que l'Amérique est la plus grande de toutes les nations » ou use de semblables hyperboles, j'aurais pu m'acheter un billet pour entrer dans n'importe quel parti politique majeur et disputer une élection indienne. Le patriotisme tapageur dont font preuve les desis lors d'un match de cricket, et qui nous amène à entonner « Ooh Aaah India » est tout aussi scandaleux, une pilule du bonheur aussi vide que sont vierges de calories les produits vendus par les sponsors de ces slogans.
Greatbong poursuit :
Cependant, être fier de son pays n'est pas conditionné au fait de penser qu'il est le meilleur ni qu'il est infaillible. En fait, le patriotisme consiste à accepter nos erreurs (et nous en comptons beaucoup, dont quelques-unes sont citées par Mme Ramani). Mais il ne faut pas pousser le raisonnement à l'extrême car alors, on perd de vue ce que ce que nous avons fait de bien. Et lorsqu'on en arrive là, on cesse de tenter de le préserver. Quand je dis que je suis fier d'être un Indien, je veux dire que je suis fier du pluralisme culturel de ce pays et de sa tolérance intrinsèque à l'égard des voix contraires. (…) L'esprit d'acceptation indien est quelque chose qu'on ne relève pas souvent dans quelques-uns des pays « les plus libres du monde ». (…) Malheureusement, nous progressons rapidement sur un chemin d'intolérance et de rivalités, par lequel nous deviendrons le reflet du Pakistan, caractérisé par un sectarisme de la pire espèce. Si un jour cela se produit, alors oui, je me poserai des questions au sujet de mon identité en tant qu'Indien. Mais jusqu'à ce que cela arrive, il est vital, en tout cas pour moi, de reconnaître non seulement ce que nous déplorons, mais aussi ce que nous approuvons, afin de rester ancré entre les extrêmes que sont l'auto-flagellation et l'excès d'optimisme et de zèle.
Le blogueur Shan commente ainsi le billet de Greatbong :
L'article [de Mme Ramani] reflète une bonne part de ce que nous pensons, mais gâche tout par la suite en assimilant certaines caractéristiques à l'« indianité ». Personne, pas même de plus grands et meilleurs philosophes et sociologues qu'elle, n'a jamais été capable de définir l'indianité. Cela n'empêche pas notre dame de pester contre tout ce à quoi elle peut penser. Un style médiocre. Une pensée encore plus faible.
Le blogueur liberalcynic laisse cet autre commentaire :
Ce qui me dérange le plus à propos de cet article, ce n'est pas que toute sa théorie de non-Indienne soit bancale, mais le ton donné à l'ensemble. Que de condescendance !
Arindam est pour sa part en colère :
Je ne sais pas quelles sortes d'illusions un peu d'argent, une éducation occidentale et une réelle chance peuvent apporter aux gens. La vraie ironie, c'est qu'il parlent de l'Inde et de ses habitants, envers lesquels ils ne ressentent que honte, si tant est qu'ils ressentent quelque chose. Je perçois la même intonation bêtement condescendante dans la diatribe de Priya Ramani. C'est incroyable comme ces personnes font preuve de peu de retenue – devoir se lever pour l'Hymne National – ne parlons pas d'en être fier – est douloureux pour leur arrière-train gonflé par le lard. Leur tolérance à l'égard d'un autre Indien est de l'ordre de zéro, mais ils baveraient tout en remuant de la queue devant un invité étranger lors d'un dîner au club. En réalité, la vision qu'a Priya Ramani de l'Indien stéréotypé est un point de vue occidental ; elle fait l'apologie de l'Occident sans jamais perdre contenance – et elle ment comme une arracheuse de dents lorsqu'elle dit que le blanc n'est pas sa couleur de peau favorite.
La blogueuse Manasa Malipeddi, de Bangalore, estime que l'article de Priya Ramani était brillant, mais elle revient sur quelques-uns des points évoqués par la journaliste :
Elle n'écrit rien qui signifie qu'elle n'est pas indienne. (…) Nous ne sommes pas le peuple le plus formidable de la terre. C'est vrai, seul un fanatique affirmerait le contraire. Elle n'a jamais compris le sens indien de la (fausse) fierté, selon ses termes, pendant la période « Jai Ho ». Je suis d'accord, Jai Ho n'est pas ce que A. R. Rahman a fait de mieux. J'aimerais également dire que Slumdog Millionaire n'est pas un film indien, mais un film qui parle de l'Inde fait par un étranger, et nous ne sommes pas obligés d'être fiers qu'il ait remporté des Oscars. Mais cela ne fait-il pas plaisir qu'avec cette chanson, A. R. Rahman ait propulsé la musique contemporaine indienne (que, selon moi, l'auteur apprécie puisqu'elle n'aime pas la version lente de l'hymne national) sur la scène internationale ? Pourquoi ne pourrions-nous pas en être heureux et fiers ? (…) L'auteur ressasse les mêmes stéréotypes que véhiculent les étrangers à propos des Indiens, et tente de se les approprier. Elle n'y parvient pas. Cela ne veut pas dire qu'elle n'est pas indienne.
Raj, un blogueur de Chennai, fait part de sa suspicion à l'égard du patriotisme en général.
Je suis d'accord avec elle en ce qui concerne le tapage et l'incessante proclamation de patriotisme dans lesquels nous continuons de nous complaire. Quand Sachin marque des « runs » au cricket, il ne le fait pas pour lui-même, mais il donne tout ce qu'il a pour sa patrie. Quand Amitabh joue un rôle, l'argent est la dernière chose à laquelle il pense ; il contribue à accroitre la gloire du pays et à faire que le drapeau continue de flotter au plus haut. Tous les matins, ces types se réveillent avec le besoin de dire quelque chose de patriotique sur leur blog ou sur Twitter. (« Ma caste ? Je suis indien. ») Comme Shaw l'a noté, le patriotisme est la conviction déraisonnable que votre pays est le meilleur parce que vous y êtes né. Être né en Inde relève d'un hasard d'ordre génétique. Il suffit de l'accepter comme un fait et d'avancer. Il n'est pas nécessaire d'en être fier, ni de le regretter.