Côte d'Ivoire : le blogueur et journaliste Théophile Kouamouo écroué avec son équipe depuis le 13 juillet

Le mardi 13 juillet, le blog du journal ivoirien Le Nouveau Courrier annonçait que le journal avait été perquisitionné par la police après avoir publié le même matin la première partie d'une enquête de fond, dont la publication devait s'étaler sur toute la semaine, sur des faits de corruption au sein la filière du café et du cacao en Côte d'Ivoire ( article).

[…] le journal a publié aujourd’hui, à sa une, un dossier exclusif au sujet de l’enquête sur les détournements dans la filière café-cacao titré : « Le livre noir de la filière café-cacao, comment les barons ont pillé l’argent des planteurs ».

Le boom que ce dossier a créé au sein du lectorat ce matin a mis en branle les services du procureur de la République Tchimou Raymond. Sur instruction de celui-ci et sans aucun mandat de perquisition, des commissaires et lieutenants de la police criminelle ont débarqué à la rédaction de Le Nouveau Courrier avec pour mission, disent-ils, de récupérer le document de base ayant servi à la rédaction de l’article. Après avoir fouillé tous les ordinateurs de la rédaction, ils ont finalement emportés avec eux un ordinateur portable au lieu du fameux document.

Après la perquisition dans les bureaux du Nouveau Courrier, qui n'a rien donné, le directeur de la publication Stéphane Guédé, le directeur de la rédaction Théophile Kouamouo et le rédacteur Saint Claver Oula ont été arrêtés pour avoir refusé de révéler leurs sources.

Le Nouveau Courrier est un quotidien d'information qui a commencé à paraitre en Côte d'Ivoire il y a moins de deux mois, le 25 mai, avec l'objectif d'offrir aux lecteurs une nouvelle approche de l'actualité et des enquêtes fouillées. Le directeur de la rédaction Théophile Kouamouo est l'un des blogueurs les plus connus d'Afrique francophone. Il a également reçu, avec son épouse Nadine Tchaptchet-Kouamouo – également journaliste –  une bourse Rising Voices pour son projet Abidjan BlogCamps destiné à former des blogueurs en Côte d'Ivoire. Citoyen français, d'origine camerounaise, ancien correspondant du quotidien français Le Monde, il vit à Abidjan depuis plus de dix ans et est respecté comme journalisme et professeur en école de journalisme, en Côte d'ivoire et à l'étranger. Il se décrit lui-même comme un “serial entrepreneur”. L'une de ses entreprises qui a connu le plus de succès est la plateforme de blogs ivoirienne Ivoire-Blog.

Des blogueurs et des journalistes ont témoigné leur soutien à Théophile et à l'équipe sur une pétition en ligne demandant leur libération immédiate, ainsi que sur Twitter, et sur un groupe Facebook où sont publiées les dernières informations. C'est par ce groupe que nous avons appris que les trois journalistes étaient en garde à vue depuis mardi matin, et toujours interrogés afin de révéler leurs sources. Que le vendredi 16 juillet, ils ont été présentés à un juge. Il semble qu'ils aient été ensuite transférés  à la MACA (Maison d'Arrêt Centrale D'Abidjan. Le créateur de la page Facebook, le blogueur ivoirien Manasse Dehe, a écrit aujourd'hui samedi :

il n'est plus question de les libérer , c'est là le problème. mais de trouver laquelle des fautes ils ont commis; c'est déjà décidé qu'ils doivent payer pr kkchose qu'ils n'ont pas fait. maintenant les …avocats luttent pour que ce qu'on va leur coller, soir la
plus petite des infractions : genre flagrant délit
Appelle le Président de la Republique à réagir sur ton mur ! Car lui qui est homme de Justice; il peut sortir les 03 journalistes du nouveau
courrier de cette souffrance qu'ils ne méritent pas !!!!

Saint-Clavier Oula in his cell today

Voici la dernière mise à jour sur le compte Facebook du  Le Nouveau Courrier :

Théophile Kouamouo, Saint-Clavier Oula, Stéphane Bahi sont actuellement enfermés dans une cellule pleine à craquer. Attendant leur tour devant le juge. Oula est très affaibli. Il a commencé une grève de faim et refuse aussi de prendre ses médicaments…

Depuis que la nouvelle de leur arrestation a été diffusée, mardi 13, les journalistes ont reçu de nombreux témoignages de soutien de confrères et de blogueurs en Côte d'Ivoire et à l'étranger.

Reporters sans frontière a diffusé un communiqué le 14 juillet :

Ce sont des méthodes que Reporters sans frontières n’avaient pas observées en Côte d’Ivoire depuis de nombreuses années. L’accusation de vol ne tient pas la route. Il est important de garder à l’esprit que la protection des sources est un principe fondamental de la pratique du journalisme, principe qui a tout son sens dans une affaire aussi sensible que celle de la filière café-cacao.

Sur la page Facebook, des confrères ont souligné que le premier article du code officiel d'éthique des journalistes ivoiriens publié par le Ministère de la communication ( lire ici) fait référence au droit des journalistes à garder le secret sur leurs sources :

Tout journaliste doit revendiquer les droits suivants :
Article 1 : La protection de ses sources d’information.

Ce matin (le 17 juillet) le Groupement des entreprises de presse ivoiriennes (Gepci) a publié un communiqué qualifiant l'arrestation d'atteinte à la liberté d'expression en Cote d'Ivoire :

Emprisonner des journalistes pour les contraindre à violer leur propre déontologie en livrant leur source d'information n'est pas acceptable. Surtout que la loi 2004-643 du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse n'autorise plus qu'un journaliste soit privé de sa liberté pour des faits, en rapport direct avec l'exercice de son métier, tels que ceux reprochés aux responsables et aux journalistes du quotidien Le Nouveau Courrier.

Le portail de journalisme citoyen Avenue225, qui couvre l'affaire depuis mardi, a annoncé que les syndicats de la presse se sont engagés à publier le reste de l'enquête sur les filières du café et du cacao s'ils n'étaient pas libérés aujourd'hui 17 juillet.

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