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Chili : Isabel Allende aura-t-elle le Prix National de Littérature ?

Catégories: Amérique latine, Chili, Arts et Culture, Littérature, Médias citoyens

Isabel Allende [1], la romancière de La maison aux esprits [2] et de La Isla bajo el mar (Island Beneath the Sea), [3] [en anglais; pas encore traduit en français] entre autres, compte parmi les écrivains sud-américains les plus célèbres et les plus lus. Cette année, elle est candidate au Prix national chilien de Littérature [4], décerné par le gouvernement [5] [fr], le ministère de l'Education [6], et le Conseil national de la Culture et des arts [7], ce qui a suscité le débat parmi les critiques littéraires, les écrivains et les Chiliens ordinaires [ces liens sont en anglais sauf mention contraire].

Isabel Allende est née au Pérou lorsque son père y travaillait comme diplomate ; ce dernier avait pour cousin Salvador Allende [8], le président renversé par le putsch d’Augusto Pinochet [9] en 1973. Isabel Allende vit à présent en Californie. Comme l'indique le Latin American Herald Tribune [10] [en anglais], “Ses livres ont été traduits dans plus de deux douzaines de langues et se sont vendus à 51 millions d'exemplaires.” Cependant, des critiques, et même des lecteurs, estiment que sa popularité n'est pas un motif suffisant pour lui décerner le prix.

[11]

Isabel Allende sur TED 2007, du compte Flickr advencap, sous licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 2.0 Generic

Elizabeth Subercaseaux [es] [12], une journaliste et écrivaine, pense que Mme Allende mérite le prix, et explique ainsi les arguments de ceux qui le lui contestent :

Dos son los argumentos que suelen esgrimir unos pocos escritores chilenos para negarle el Premio Nacional de Literatura a Isabel Allende: que es una escritora de tono menor y que sus libros son best-seller, insinuando que ella se ha entregado al mercado.

(….)

En Chile a Isabel Allende la hemos tratado mal, hay a su alrededor una envidia que da vergüenza. La primera vez que se presentó para este premio la insultaron, y hace poco salió un pequeño escribidor por ahí diciendo que premiarla sería como premiar a una hamburguesa. Vergüenza para él.

El Premio Nacional de Literatura es un premio que da el Estado, todos nosotros. Y si hay alguien de quien debemos estar orgullosos es de Isabel Allende, una escritora con sobrados méritos literarios que además posee una estatura moral e intelectual que ningún personaje de nuestro país tiene en la actualidad.

Il y a deux arguments utilisés par quelques écrivains chiliens pour refuser le Prix national de littérature à Isabel Allende : qu'elle est un écrivain mineur et que ses livres sont des best-sellers, insinuant qu'elle s'est vendue au marché.

(…)

Au Chili nous n'avons pas bien traité Isabel Allende, et il y a dans son entourage une envie qui inspire la honte. La première fois qu'elle s'est présentée pour ce prix on l'a insultée, et, il y a peu, un écrivaillon est apparu pour dire que la primer serait comme primer un hamburger. Honte à lui.

Le Prix National de Littérature est une récompense décernée par l'Etat, nous tous. Et s'il y a quelqu'un dont nous devrions être fiers, c'est d'Isabel Allende, une auteure aux mérites littéraires largement suffisants et qui possède une stature morale et intellectuelle que n'a aucun personnage actuel de notre pays.

Le blog Alaraco Bocasuelta [es] [13] décortique lui aussi les opinions de ceux qui ne veulent pas voir le prix décerné à Mme Allende :

Que se discuta la calidad de los candidatos a dicho premio es perfectamente lícito, aunque en estricto rigor ha de ser el Jurado, quien dirima el asunto.

Pero lo que llama la atención es la odiosidad que levanta Isabel Allende en ciertos críticos

(….)

Tan manifiesto es el tono insidioso de ciertas opiniones respecto de nuestra escritora, que pareciera que el éxito ajeno – más aún si aquél es internacional -, en Chile, es un pecado imperdonable.

Il est parfaitement licite de discuter de la qualité des candidats au prix, encore qu'en toute rigueur ce soit l'affaire du jury.

Mais ce qui retient l'attention, c'est la haine que suscite Isabel Allende chez certains critiques.

(…)

Le ton insidieux de certaines opinions sur notre écrivaine est si manifeste, qu'on dirait que le succès des autres – encore plus s'il est international – est au Chili un péché impardonnable.

[Note – Les lecteurs ont fait remarquer que le blog ci-dessous apporte un soutien satirique au gouvernement] Les auteurs du blog pro-gouvernemental Los Libros Buenos [es] [14] (Les bons livres), [14] énumèrent les raisons pour lesquelles ils n'aiment pas Mme Allende. Parmi celles-ci, plusieurs sont d'ordre politique et se situent dans le cadre du débat lancé sur la “reconstruction” du Chili après le tremblement de terre de 2010 par le nouveau gouvernement du président de droite Sebastián Piñera [15]. Voici, par exemple, une de ces raisons :

Su carácter “entretenido”. Se habla mucho de que los libros de Isabel Allende son “entretenidos”. Aunque nosotros valoramos la entretención, creemos que el delicado momento nacional requiere seriedad. Seriedad para trabajar por un Chile nuevo. Trabajar por una cultura reluciente y enchapada de futuro. Los libros de Isabel Allende propenden a la evasión del lector, y no a la difusión y el abrazo de valores, que son el tejido más sensible de una sociedad en forma. No queremos más de eso. No necesitamos más de eso. La patria no necesita más de eso

Ses livres sont “divertissants”. On dit beaucoup que les livres d'Isabel Allende sont “divertissants.” Bien que nous appréciions le divertissement, nous croyons que le moment national délicat requiert le sérieux. Le sérieux pour travailler à un Chili nouveau. Travailler pour une culture brillante et plaquée d'avenir. Les livres d'Isabel Allende tendent à l'évasion du lecteur, au lieu de la diffusion et de l'adoption des valeurs, qui sont le tissu le plus délicat d'une société en formation. Nous ne voulons pas plus que cela. Nous n'avons pas besoin de plus que cela. La patrie n'a pas besoin de plus que cela.

Les utilisateurs chiliens de Twitter sont aussi intervenus dans le débat. Leonardo Zuñiga (@Guileo) [16] pense qu'elle mérite le prix, mais Sebastián Salazar (@sebsalazar) [17] n'est pas d'accord :

no estoy ni ahi con Isabel Allende y el premio Nacional de Literatura…ademas es como q a la JK Rowling le entregaran el simil britanico

Peu m'importent Isabel Allende et le prix National de Littérature…mais en plus c'est comme si on donnait l'équivalent britannique à JK Rowling.

Sebastián Gómez (@SebastianGomezA) [18] dit qu'il écrit mieux qu'Isabel Allende, et Alejandro Torres (@alejanbarrett) [19]n'apprécie pas qu'elle se soucie autant du prix. Avec la même préoccupation sur l'insistance apparente de sa candidature, Henry Northcote (@henrynorthcote) [20] se demande :

Cual será la agencia de comunicaciones de Isabel Allende. Su lobby para el premio nacional literatura es muy evidente.

Quelle est l'agence de communication d'Isabel Allende ? Son lobby pour le prix national de littérature est très évident.

Tania Soledad Opazo (@Cosalina) [21] écrit qu'elle est lassée des plaintes d'Isabel Allende de ne jamais obtenir le prix, alors que Monica (@monicasanhueza) [22] demande pourquoi le Chili ne le lui a pas encore accordé :

Por que les cuesta tanto darle el premio nacional de literatura a isabel allende? Nadie es profeta en su tierra.

Pourquoi ça leur coûte autant de donner le prix national de littérature à Isabel Allende ? Nul n'est prophète en son pays.

Pour conclure, le journal citoyen El Obervatodo [es] [23] a publié l'opinion d'Iris Aceitón, une femme qui se présente en ces termes : “Je ne suis pas une artiste, une journaliste ou une universitaire (…) je suis de ces femmes qui lisent beaucoup moins qu'elles ne voudraient. Les livres sont aussi, par leur prix, le privilège de quelques-uns.” Elle évoque l'identification avec ce qu'écrit Isabel Allende, et dit :

Soy la heroína, valiente, luchadora e imperfecta de cada una de tus novelas. Soy esa mujer chilena que te agradece porque has sabido contarle al mundo los desgarros de tu patria. .

Isabel Allende, en el nombre de las mujeres simples de este Chile nuestro, yo te concedo inapelablemente el Premio Nacional de Literatura.

Je suis l'héroïne vaillante, combative et imparfaite de tous vos romans. Je suis cette femme chilienne qui vous est reconnaissante parce que vous avez su raconter au monde les déchirures de votre patrie.

Isabel Allende, au nom des femmes simples de notre Chili, je vous accorde sans appel le Prix National de Littérature.