Guinée : Enfin une date pour le second tour de l'élection présidentielle

C'est avec soulagement que les Guinéens ont appris le 9 août que le Président de la transition, le général Sekouba Konate avait signé le décret du second tour de l'élection présidentielle, le fixant au 19 septembre.
La date était initialement prévue aux environs de la mi-juillet, puis pour le premier week-end d'août, mais suite aux contestations de 23 des 24 candidats au premier tour, il a fallu à la Cour Suprême plus de temps que prévu. Celle-ci explique sa décision sur le retard et la proposition de la nouvelle date à la CENI (Commission électorale nationale indépendante), comme le rapporte guineeenligne.net :

En Guinée, la Cour suprême, plus haute instance judiciaire du pays, autorise la CENI, la Commission électorale nationale à proroger le délai fixé par la loi pour organiser le second tour de l’élection présidentielle. La Loi guinéenne stipule que le second tour doit avoir lieu 14 jours après la proclamation officielle des résultats du premier tour qui s’était tenu le 27 juin dernier. Les résultats n’avaient été officialisés que le 20 juillet et le second tour aurait dû se tenir le 4 août.
C’est après une crise de confiance entre la CENI et quelques candidats au premier tour du scrutin présidentiel du 27 juin dernier que cette institution a tenu à faire une mise au point portant sur des accusations de vol de bulletins, de détournement d’urnes et de manipulations de chiffres.

"L'attente devant le bureau de vote en Guinée" Photo UNDP sur Flickr CC Attribution licence générique 2.0 CC

L'un des candidats les plus virulents était Sidya Toure, arrivé troisième au premier tour. Les partisans du chef de l'UFR (Union des Forces Républicaines) ont expliqué sur leur page Facebook :

Nous rejetons ces résultats, qui ne reflètent nullement la sanction des urnes. Il ne s’agit pas de remettre en cause le processus mais l'UFR entend épuiser toutes les voix de recours que lui confère la loi avant de reconnaitre les résultats du scrutin..

Radio-Kankan a aussi rapporté que ses supporters avaient organisé une manifestation publique :

Le lundi 5 juillet, des femmes de tout rouge vêtues, se réclamant de l’UFR de Sidya Touré, un des candidats malheureux à la présidentielle du 27 juin, sont descendues dans les rues de certains quartiers de la capitale pour protester contre ce qu’elles qualifient de manipulation frauduleuse des résultats dont leur leader serait victime

Sidya Touré a lui-même tenu des propos acerbes contre le Président par intérim, qui a été si contrarié par ces attaques qu'il a menacé de renoncer à son poste de chef du gouvernement de transition.

Un autre ancien premier ministre, Lansana Kouyate, arrivé quatrième au premier tour, a également fait des remarques critiques contre la CENI, au travers de son porte-parole, Zalikhatou Diallo. Voici ses paroles, rapportées par Magbana sur le blog Guineaoye [en anglais] :

Nous avons trouvé une fraude massive à Conakry à ses municipalités — Matam, Ratoma, Matoto — et à Siguiri et Kankan,” deux villes de Haute Guinée, a déclaré Zalikhatou Diallo, directeur de campagne de Lansana Kouyate, chef du Parti de l'Espoir pour le Développement National (PEDN).
A Conakry, Matam, Matoto et Ratoma, des urnes ont disparu (le soir) pour réapparaître au matin. Il y a aussi eu bourrage des urnes” dans les bureaux de vote, a-t-elle dit.
A Kankan, Mme Diallo a affirmé qu'il y aurait eu de faux bureaux de vote et qu'à certains endroits on aurait compté plus de bulletins que d'électeurs inscrits. Elle a aussi ajouté qu'à Sigiri, il y avait eu “fraude et bourrage des urnes ainsi qu'intimidation des électeurs et exemples de votes multiples”.

Le 2 août, le professeur Alpha Condé a adressé une lettre au président par intérim, qui a été reproduite sur le blog guineelibre.com et co-signée par les dirigeants des partis qui le soutiennent, lui demandant de renvoyer purement et simplement le président de la Commission électorale nationale indépendante, son directeur de la planification et de suivi des opérations. Dans cette lettre, le professeur Condé et les chefs de partis de son bord avancent les arguments suivants :

Il nous paraît dès lors inadmissible, voire scandaleux que la CENI n'ait fait aucune diligence pour transmettre à la Cour Suprême les procès-verbaux des circonscriptions électorales aussi importantes que celles de Kankan, Mandiana Lola Ratoma et Matam, alors que cette transmission est en l'espèce de droit et lui incombe, qu'il y ait ou non contentieux électoral.

Ces réclamations ont été suivies d'actions en justice contre le directeur de la planification de la Commission électorale nationale indépendante El Hadj Boubacar Diallo. Selon l'information diffusée par ondes-guinee.info, M. Diallo devait comparaître devant le Tribunal de première instance de Dixinn le 12 août pour répondre de ces accusations.

Le Premier Ministre de transition, M. Jean-Marie Doré, ancien porte-parole du Forum des forces vives (groupement de partis d'opposition, de syndicats et d'associations de la société civile), avait lui aussi exprimé ses réserves sur les déficiences de la CENI et la date du deuxième tour. Le blog conakrynews.net rapporte l'opinion du premier ministre sur les imperfections du processus électoral à ce jour et ce que la CENI devrait corriger en vue du second tour :

Pour fixer la date du deuxième tour, Jean-Marie exige que « des actes qui corrigent dans les faits les insuffisances, les lacunes constatées et les dérives survenues lors du premier tour, soient posés pour que chacun se dise que le maximum ait été fait afin que l’élection soit transparente. Car la transparence des élections suppose que tous les actes prévus par la loi soient posés ».

Toutes ces plaintes contre la CENI ont suscité des inquiétudes dans la communauté internationale, qui suit avec une attention particulière la suite des événements en Guinée depuis les violences de septembre 2009 perpétrées par l'armée contre la population civile.

De nombreuses personnalités africaines se sont rendues à Conakry pour convaincre les acteurs politiques de poursuivre le processus électoral : J. Ping, Président de la Commission de l'Union Africaine, Amadou Toumani Touré du Mali, Blaise Compaoré du Burkina Faso, Abdoulaye Wade du Sénégal. Même le Président des Etats-Unis Barack Obama a pressé le 7 août les Guinéens d'assurer le succès de leur première élection présidentielle libre en tenant un second tour dans le calme.

Sur Guineaoye, M. Compaoré exhorte la CENI à tenir le second tour aussi rapidement que possible. Il explique que si on laisse beaucoup de temps et d'espace entre deux tours de scrutin, de nouvelles complications peuvent surgir et perturber le processus électoral ; la Guinée montre la voie aux autres pays et ne devrait pas laisser l'occasion lui glisser entre les doigts.

Et pourtant, la Guinée frôle la catastrophe si l'on considère les divisions entre les principaux acteurs politiques. Les résultats du premier tour ont montré que les électeurs se sont prononcés en fonction de leurs groupes ethniques plutôt que sur les programmes des candidats. Les alliances entre les anciens candidats ont divisé le pays en deux camps qui vont se polarisant chaque jour.

Amdy résume la situation en ces termes :

La tendance que revêt la campagne de ce second tour me semble avoir tourné à la division manifeste du pays en bons ou en mauvais citoyens, c'est selon le bord où l'on se place. Cette division risque d'être plus profonde que jamais. Formuler ce genre d'opinion, en ce moment en Guinée, ne rencontrera que scepticisme de certains acteurs principaux.

Les déficiences de la CENI résultent surtout de l'organisation insuffisante, du manque de formation des agents électoraux et du fait que les partis politiques n'ont pas correctement joué leur rôle. Pour une meilleure préparation du second tour, le site guineelive.com informe que la CENI prend les dispositions suivantes :

IFES, il faut le noter, est chargée par la commission électorale nationale indépendante (CENI) de donner  une formation complémentaire aux membres  des bureaux de vote pour le 2e tour de la présidentielle afin de corriger les dysfonctionnements notés lors du scrutin du 1er tour L’objectif visé est de permettre aux membres des bureaux de vote d’assurer convenablement leurs rôles et responsabilités et de pouvoir conduire parfaitement les techniques des opérations de vote.

La directrice d'IFES (la fondation internationale pour les systèmes électoraux), Elizabeth Cote, précise :

Au total pour ce second tour, 45 000 agents de bureau de vote seront formés  pour le 2e tour pour un budget total équivalent à celui du premier tour (trois milliards 700 millions de GNF)

Il revient maintenant à tous les partis de jouer le jeu et de former leurs représentant pour garantir que les Guinéens élisent leur président sans contentieux de la part des prétendants.

[Pour plus d'informations sur les élections guinéennes, voici un panorama des événements depuis la mort de Lansana Conté jusqu'au lancement du processus électoral, et un tour d'horizon du premier tour du scrutin].

2 commentaires

  • Disons simplement que ce billets est complet. Il nous permet de cerner tous les contours de l’évolution de la politique guinéenne dans ces derniers mois particulièrement marqués par les contestations des résultats du premier tour et l’incertitude sur la tenue du match final.

    Espérons que la CENI ne répète plus les mêmes erreurs.

  • Guinée50, au point où on est Guinée dans le processus électoral, personnellement je crains plus les conséquences du comportement ambigu du Premier Ministre Jean-Marie Doré et du dérapage verbal des deux camps qui s’opposeront le 19 septembre lors du second tour. J’aurais aimé voir, par exemple, sur leur site web autre chose que des attaques réciproques ou les compte-rendus des réceptions toujours grandioses, d’après eux, dans les différentes régions du pays, et plus sur la formation de leurs agents électoraux.

    Pour ce qui est de l’organisation matérielle du “rush” final du processus, M. Pathé Dieng, directeur des opérations techniques de la CENI a expliqué lors de sa conférence de presse tenue le 18 août, à la maison de la presse à Coleah, ce que son institution et le Ministère chargé de l’administration du territoire sont entrain de faire sur le terrain.

    La création dans les 33 préfectures du pays de cellules préfectorales de gestion des élections comprenant le Secrétaire général de l’administration de la préfecture, le président de la CENI, le trésorier préfectoral, le commandant de la gendarmerie et commissaire de la police (là où ça existe) et du correspondant préfectoral de la presse, est des garantie non négligeable pour des élections transparentes du point de vue de leur gestion, si tout le monde remplit son rôle effectivement.

    Mais en face d’une telle organisation qu’est ce que les deux camps nous disent quant à leur préparation pour assurer des élecions non contestables?

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