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Brésil : Indiens, Internet et Interculturalité

Catégories: Amérique latine, Brésil, Environnement, Idées, Médias citoyens, Peuples indigènes, Technologie
Surui woman [1]

Photo de Lorena Medeiros sur Flickr, publiée sous licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 2.0 Generic

L'idée communément partagée dans l'inconscient collectif brésilien, qui veut que l'Indien cesse de l'être dès lors qu'il (ou elle) adopte les coutumes et techniques héritées de l'Occident, est battue en brèche par la pratique, qui voit les villages indiens utiliser de plus en plus fréquemment l'informatique précisément pour défendre avec plus d'efficacité leur style de vie et leur culture indigènes.

Sur le blog Taqui Pra Ti [2] [en portugais, comme les liens suivants], un article du professeur José Bessa Freire, coordinateur du Programme d'études indigénistes (Université de Rio de Janeiro) [3] et chercheur au Programme de troisième cycle sur la Mémoire Sociale (UNIRIO) [4] discute de l'appropriation par les Indiens des médias sociaux en ligne et de l'utilisation des contenus multimédias pour favoriser la socialisation, revendiquer leurs droits et affirmer l'identité indigène dans le cyberespace:

No Brasil, índios de diferentes línguas e etnias foram estimulados a usar a Internet por organizações governamentais e não governamentais. Embora a situação ainda seja bastante precária, inúmeras das 2.698 escolas indígenas existentes nas aldeias, frequentadas por mais de duzentos mil alunos, foram dotadas de computadores. Ali onde isso não foi possível, os computadores dos postos de saúde da Funasa foram disponibilizados dentro dos Pontos de Cultura no Programa Governo Eletrônico [5] – Serviço de Atendimento ao Cidadão.

Au Brésil, les Indiens de différentes langues et ethnies sont encouragés à l'utilisation d'Internet par les organisations gouvernementales et non gouvernementales. Bien que les projets soient encore balbutiants, un très grand nombre des 2.698 écoles indigènes existant dans les hameaux, fréquentées par plus de 200.000 élèves, ont été équipées d'ordinateurs. Et là où cela n'a pas été possible, les ordinateurs des postes de santé de la Funasa ont été mis à disposition dans les centres culturels dans le cadre du Programme Gouvernement Electronique – Service au Citoyen [5].

Avec un accès accru aux ordinateurs, les premiers sites internet indiens ont surgi en 2001. Selon Eliete Pereira, du Centre de recherche Atopos de la Faculté des Arts et de la Communication de l'Université de São Paulo [6], la présence indienne sur internet est encore assez irrégulière [7]. Sur une carte qu'elle a dressée de la participation indienne à internet [7], elle a rencontré trois types de sites : les sites personnels, les sites d'ethnies et ceux d'organisations indigènes.

Les détenteurs de sites personnels utilisent internet de façon innovante pour présenter la production indienne individuelle. Dans cette catégorie, par exemple, on rencontre les sites des écrivains Daniel Munduruku [8] et Eliane Potiguara [9], sur lesquels ils présentent leurs livres et dialoguent avec leurs lecteurs. On y trouve aussi les blogs de grands leaders indiens comme Ailton Krenak [10].

Les sites d'ethnies ont été créés avec l'intention d'apporter une plus grande visibilité nationale et internationale par la diffusion des arts, de l'artisanat, des motifs graphiques, des récits et des langues, aux différents groupes ethniques. Tel est le cas des Baniwa [10], des Ashaninka [11] et de tant d'autres qui, après avoir pris part aux discussions sur l'accès indigène à l'informatique et à internet en 2005 à Rio de Janeiro, et à la suite du lancement du portail internet des Peuples de la Forêt [12], se sont mis à faire usage de ces outils numériques dans le cadre des projets pédagogiques à base interculturelle soutenus par le Ministère de l'Education et de la Culture (MEC) [13] et des ONG comme, par exemple, l'Institut Socio-Environnemental [14].

Enfin, les sites de différentes organisations indigènes sont présentés en ligne par les institutions représentatives de différents groupes ethniques, dont la compétence peut être locale, régionale ou nationale, et qui sont associées à la lutte pour les droits à la terre, l'éducation bilingue et la santé des populations indiennes. Ces sites constituent des instruments de revendication et d'action politique. C'est le cas, par exemple, de la Coordination des Organisations Indigènes de l'Amazone Brésilienne (COIAB) [15], les Indiens en ligne [16] et la Fédération des Organisations Indigènes du Rio Negro (FOIRN) [17].

Les Suruí, l'informatique et la forêt pluviale amazonienne

Exemple de réussite d'une action politique centrée sur l'utilisation des technologies numériques, l'initiative d’Almir Narayamoga Suruí [18] [en anglais], chef de la tribu Gamebey des Indiens Suruí [19] qui vivent dans le village indigène de Sete de Setembro dans l'Etat de Rondônia. La forêt a toujours joué un rôle important dans la vie des Suruí, du point de vue tant culturel qu'économique, raison pour laquelle la tribu dirigée par Almir est engagée dans la reforestation et le combat contre la déforestation de ses terres ancestrales au moyen d'outils comme Google Earth et le GPS.

Lors de sa première consultation en 2007, Almir a recherché son village sur les images par satellite de Google Earth. C'est là qu'il a immédiatement remarqué à quel point le territoire de son peuple était menacé par la destruction effrénée de la forêt environnante. Pourtant, en même temps qu'il s'inquiétait de ce qu'il voyait, il perçut également que la solution était juste sous ses yeux ; l'internet pouvait donner visibilité et force à la culture Suruí.

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Images du territoire Surui vu sur Google Earth [22]

Un partenariat entre Google Action publique [23], le bras social de Google, et l’association indigène Metareil [24] fut signé peu après en 2008. Le premier résultat concret de ce partenariat [22], ce qu'on a appelé la carte culturelle, a été mis à la disposition des internautes utilisant Google Earth, y compris des internautes Suruí. Avec l'assistance technique d’ACT-Brasil [25], la carte a été élaborée à partir des informations recueillies en collaboration avec les anciens et érudits parmi les Suruí, connaisseurs de l'histoire et des caractéristiques du territoire tribal.

Pour Almir, la relation qu'ont développée les Suruí avec l'internet, cet “instrument de l'homme blanc”, est une tentative innovante pour faire en sorte que le “contact” renforce, au lieu de corrompre, la culture et le mode de vie des autochtones. Dans le cas des Suruí,leur premier contact [26] avec la culture et la société d'inspiration européenne du Brésil a eu lieu en septembre 1969 :

[Há] apenas 40 anos os primeiros homens brancos penetraram em nossa floresta. Cheios de esperança, recebemos estes visitantes com a intenção de estabelecer relações de paz com o mundo externo. Contudo, nossa esperança para o futuro se deparou com imensa tragédia. Apenas dois anos depois do primeiro contato, a população Suruí diminuiu de 5.000 pessoas para 290. Além de muita gente nossa morrer devido a doenças novas para nós, nossa cultura foi ameaçada de extinção por causa da morte de nossos anciãos. Aos 17 anos, assumi o papel de chefe. Hoje, busco apoio do mundo externo, com esperança renovada.

Il y a à peine 40 ans que les premiers hommes blancs pénétrèrent dans notre forêt. Pleins d'espoir, nous avons reçu ces visiteurs avec l'intention d'établir des relations de paix avec le monde extérieur. Toutefois, notre espérance pour l'avenir a été réduite à néant dans une immense tragédie. A peine deux ans après le premier contact, la population Suruí diminua de 5.000 à 290 personnes. Outre la mort de tant de gens de maladies qui nous étaient inconnues, notre culture fut menacée d'extinction à cause de la mort de nos anciens. A l'âge de 17 ans, j'ai assumé le rôle de chef. Aujourd'hui, je cherche l'appui de monde extérieur, avec un espoir renouvelé.

Selon l'ONG Aquaverde [27], les Suruí ont été des “précurseurs” et “un exemple” pour les autres peuples indiens dans la lutte efficace contre l'invasion et la destruction de leurs terres, mais

[e]ste sucesso ainda é frágil e ameaçado, precisa se consolidar, mas o desmatamento não progride mais nas terras Suruí. Infelizmente, várias áreas foram profundamente afetadas pela falta da floresta. No entanto, os Suruí conseguiram se libertar da dependência dos madeireiros, voltar às suas atividades tradicionais e desenvolver novas, tais como: piscicultura, cafeicultura e artesanato.

ce succès reste fragile et menacé, il a besoin d'être consolidé, mais au moins la déforestation ne progresse plus sur les terres Suruí. Malheureusement, diverses zones ont été profondément affectées par le défaut de forêt. Néanmoins, les Suruí sont parvenus à se libérer de la dépendance envers les exploitants forestiers, pour retourner à leurs activités traditionnelles et en développer de nouvelles, comme la pisciculture, la caféiculture et l'artisanat.

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Carte culturelle Surui

Une deuxième initiative a été la formation à l'informatique d'une vingtaine d'Indiens au siège de l'association à Cacoal. Un troisième pas initiera l'étape plus ambitieuse du “partenariat ” pour l'utilisation des ressources d'internet : combattre la déforestation de la réserve Sete de Setembro en temps réel. Pour y arriver, les Suruí recevront des smartphones équipés du système Android de Google, qui leur permettront de saisir sur le fait des actions de déforestation, en publier les images sur internet et les envoyer au monde et aux autorités compétentes.

La notion de perte de l'identité indigène, résultat de l'adoption des technologies numériques perd ainsi son fondement. Au contraire, les Suruí prétendent renforcer leur droit à préserver, aussi intacte que possible, leur relation avec la terre et la culture héritées de leurs ancêtres.

Voir la vidéo : Echanger les arcs et flèches contre des ordinateurs [29]