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Maroc : pour l'adoption de l'anglais comme deuxième langue

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Maroc, Langues, Médias citoyens

[Liens en anglais ou en arabe] Dans une récente interview à African Writing Online, Laila Lalami [1], une écrivaine marocaine-américaine analyse [2] son éducation. Laila Lalami a grandi en parlant l'arabe marocain, mais ce n'est que lorsqu'elle est devenue adolescente qu'elle “a finalement découvert les romans marocains, écrits par des auteurs marocains et traitant de personnages marocains.” Avant tout parce que Laila Lalami a fréquenté une école française lors de son enfance. Elle dit :

Le français a été la première langue par laquelle j'ai découvert la littérature, en commençant par des BD comme Tintin et Astérix, ensuite les romans pour adolescents comme ceux d'Alexandre Dumas, jusqu'aux classiques comme Victor Hugo.”

Cependant, Laila Lalami a publié son premier roman, Secret Son, en anglais après un doctorat en littérature à l'université de la Caroline du sud.

L'expérience de Laila Lalami est assez fréquente au Maroc. Saïd Bellari [3], qui écrit sur le blog Moroccoboard.com, propose l'élimination progressive de la langue française et l'introduction de l'anglais comme deuxième langue officielle du Maroc. Dans son essai, il introduit un concept néologique sous le terme anglais de “disliteracy[NdT : d'une portée plus vaste que sa traduction stricte, désalphabétisation]

Cela veut dire que les Marocains parlent  la mauvaise langue entre eux-mêmes, et avec le reste du monde. A cause de cela, nous ne parvenons pas à nous insérer dans le courant de la mondialisation, et nous nous isolons de plus en plus du développement d'autres régions du monde comme l'Asie du sud-est. Juste pour être clair : je ne veux pas dire par là que nous devrions arrêter de parler arabe au Maroc. Allah yastar (que Dieu me pardonne) ! Pas du tout, peut-être au contraire devrions nous le parler  davantage. Je veux dire par là que nous devrions nous libérer du français le plus vite possible. Parallèlement, nous devrions donner à l'anglais une nouvelle impulsion dans tous les aspects de la vie de la société marocaine et lui accorder la place de seconde langue au Maroc. Le français ne devrait même pas être ni troisième ni quatrième langue d'ailleurs. Ce changement d'un pays francophone à un pays “arabo-anglophone” devrait ouvrir une ère nouvelle de l'Istiqlal (indépendance).”

La langue est une composante importante dans la formation d'une société. Les sociétés se forment sur la base de valeurs communes et l'un des objectifs est de créer un moyen de communication pour s'épanouir. Saïd Bellari écrit que c'est une forme d'auto-destruction pour la société marocaine que de continuer à utiliser le français comme deuxième langue :

Chaque académicien, scientifique, entrepreneur, artiste, écrivain, docteur, politique ou autre personnalité ayant un rôle prééminent dans la société marocaine reconnaitra facilement que le français est encore patron de l'univers marocain. Depuis plus de 50 ans, la France a toujours réussi à donner l'illusion au Maroc que nous avons besoin de garder des liens historiques et culturels avec elle.

Bien que 55 ans se soient écoulés depuis l'indépendance du Maroc, l'influence de la France est encore évidente. La langue est un moyen d'affirmation de soi utilisé pour exprimer son identité sociale. Chaque langue a ses propres sons, gestes, expressions faciales et ses accents. Elle est aussi accompagnée d'un lourd héritage. Pour le cas du Maroc, Saïd Bellari écrit :

Consciemment, mais surtout inconsciemment, le français comme lingua franca de la société marocaine nous rappelle que nous avons été esclaves, que nous sommes dépendants, que nous sommes en retard, que nous sommes incapables et que nous restons un peuple de second rang, ou pour être plus clair : ce que les racistes veulent que vous pensiez de vous-mêmes. Des êtres de second rang : j'ai moins de valeur, suis moins capable.

Outre une clarification de l'identité nationale, l'usage plus répandu de l'anglais nous ouvrira les portes du monde de la science et de la technologie. Hicham [4], qui blogue sur Bla Francia, décrit le retard de la sphère scientifique. La dépendance de la langue française, plus particulièrement dans les domaines de la formation et  de la recherche en sciences, ne semble pas apporter beaucoup d'avantages au Maroc. Hicham fournit les statistiques suivantes :

- 50% من الطلبة المسجلين في السنة الأولى يغادرون الجامعة قبل نهاية السلك الأول، دون الحصول على أية شهادة،
– 9,3 هو معدل عدد السنوات التي يستلزمها الحصول على شهادة الإجازة (أربع سنوات جامعية بالوثيرة العادية)،
– أقل من 10% من الطلبة المتخرجين فقط يحصلون على شهادة الإجازة في ظرف أربع سنوات، *

- 50% des étudiants inscrits en première année d'université abandonnent leurs études avant la fin du premier trimestre, sans l'obtention d'aucun certificat.

- 9.3 : c'est le nombre d'années en moyenne pour obtenir un Master (il faut normalement quatre ans),

- moins de 10 pour cent des étudiants inscrits obtiennent leur diplôme en quatre ans.

Les coûts élevés des études sont un autre facteur déterminant dans ce pourcentage bas de finalisation des études, mais  il aussi vrai que :

أزيد من نصف طلبة السنة الأولى في كلية العلوم لا يفهمون درس العلوم الملقن باللغة الفرنسية
Plus de la moitié des étudiants en première année de la Faculté des sciences ne comprennent pas les leçons en français.

Le français domine au Maroc, mais de nombreux étudiants ne le pratiquent pas avec assez d'aisance pour pouvoir participer activement au monde scientifique quand le français en est la première langue. Afin de remédier à cette situation, le blogueur – qui cite un article de Khaled Sami sur le besoin de documentation scientifique en ligne  en arabe- , suggère:

إصلاح الدراسات الجامعية الراهن يخصص نصف السنة الأولى من التعليم الجامعي لتعلم اللغات وتقانات التواصل وهو ما يعني بالواضح، في حال كليات العلوم، تعلم اللغة الفرنسية. إلا أن هذا الإجراء، على صعوبة إثبات جدواه، ذو كلفة عالية، فمجرد توفير الأساتذة الأكفاء بقدر كاف أمر بعيد المنال، ناهيك عن واقعية تعلم اللغة في أربعة أشهر
La réforme actuelle du premier cycle universitaires réserve la moitié de la première année à l'étude des langues et des technologies de la communication, ce qui signifie automatiquement, dans les facultés de science, l'apprentissage du français.
Cependant, pour cette procédure, il est difficile de procéder à une  étude de  faisabilité, le coût en est élevé, la disponibilité d'enseignants qualifiés est déjà très floue, sans parler du fait qu'apprendre une langue en quatre mois est peu réaliste.

Organiser des cours intensifs de français est une façon d'apaiser la situation, mais Hicham pense que les universités devraient permettre aux étudiants d'explorer le monde scientifique dans leur propre langue, l'arabe. Cela ne change rien au fait que le grand nombre de publications scientifiques et de références sont en anglais sur Internet et que les conférences internationales et les organisations scientifiques utilisent l'anglais bien plus que l'arabe ou le français.

Dans son essai, Saïd Bellari poursuit en soutenant que la généralisation de l'usage de l'anglais comme deuxième langue au Maroc conduira à :

un véritable mouvement populaire qui parlera de volonté, d'auto-détermination, d'expression personnelle et d'une nouvelle confiance, d'espoir et d'optimisme pour le futur. C'est l'effort collectif du peuple pour prendre en mains les destinées du Maroc (Laraki) en arrêtant de regarder constamment dans le rétroviseur pour commencer à regarder vers l'avant,  l'horizon 2050 et au-delà, dans le seul intérêt de nos enfants et de nos petits-enfants.

Si l'anglais devenait la deuxième langue officielle, il est certain que de nombreuses nouvelles opportunités tant sociales qu'économiques s'ouvriraient aux habitants du Maroc.