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Liban : Où on reparle des disparus de la guerre civile

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Liban, Action humanitaire, Droits humains, Guerre/Conflit, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique
[1]

Avec la permission de Le Liban

Vingt ans ont passé depuis que les factions belligérantes libanaises ont déposé les armes. Sitôt après, tous les griefs et souvenirs de la sanglante guerre civile libanaise furent balayées sous le tapis.

L'amnistie fut promptement (auto-)accordée aux seigneurs de la guerre du pays, il y eut des poignées de main, et les près de 150.000 morts de la guerre furent à leur tour oubliés.

Les familles libanaises furent laissées au deuil silencieux de leurs morts et disparus. Le problème, évidemment, est qu'on ignore le nombre exact de Libanais morts ou actuellement disparus à la suite de la guerre civile, parce qu'aucune enquête officielle crédible n'a jamais eu lieu. Les estimations des ONG chiffrent les disparus à environ 17.000.

Les élites politiques du Liban ont refusé avec constance les commissions de réconciliation d'après-guerres ou les enquêtes sur les crimes de guerre qui sont devenues, ces dernières années, la marque de fabrique des opérations de l'O.N.U. dans les Balkans et au Rwanda. Sur la multitude de jours fériés publics et religieux au Liban, pas un seul n'est consacré à la commémoration des morts de la guerre.

Il est évident que les poids lourds politiques de Beyrouth et les média ont choisi d'oublier la brutale guerre civile libanaise, et contraignent les familles endeuillées à faire de même. Malheureusement, pour beaucoup, les souffrances de la guerre ne sont pas si aisées à balayer.

Ceci explique pourquoi une petite manifestation tenue à Beyrouth les 3 et 4 septembre de cette année pour les disparus de la guerre est passée complètement inaperçue dans les média, au milieu des chamailleries quotidiennes entre factions libanaises chicanières.

Ce n'est que lorsqu'un blogueur est tombé par hasard sur une affiche de la manifestation quelque temps après que l'information a filtré.

Le blogueur franco-libanais Frenchy explique sur son blog, Le Liban [1], pourquoi les média évitent les sujets concernant les griefs de la guerre civile :

Le visuel rappelle également le nombre de disparus de la guerre, 17 514, il ne s’agit pas seulement des libanais disparus en Syrie mais aussi en Israël et d’un point de vue interne, par l’intermédiaire de nos milices bien libanaises. Ainsi, on pourrait mieux comprendre le boycott médiatique et notamment de la presse locale, il ne s’agit pas d’accuser seulement la Syrie comme d’habitude mais tout le monde, chose inacceptable.

Qu’on mette actuellement sur les bans des accusés, Israël, les Palestiniens dans la première partie guerre civile libanaise, que certains tentent aujourd’hui d’implanter et que cela soit nos dirigeants actuels, nos « saigneurs » de guerre ayant racheté leur virginité sans même nous demander grâce à nos lois d’amnésie… non, en plus il faut boycotter, ne pas en parler dans les colonnes d’une certaine presse libanaise.

Les mentions des morts et disparus de la guerre civile du Liban sur la blogosphère restent sporadiques, un reflet des attitudes de la société en général à l'égard du passé refoulé. Mais l'incapacité à traiter les plaies ouvertes est un gage d'avenir instable, et, sans surprise, le Liban a connu tout sauf la stabilité depuis la fin de la guerre civile en 1990.

La blogueuse Sietske in Beiroet [2] a commenté le sujet en avril [ [3]en anglais] [3] :

Le 13 avril est venu et passé, date du début officiel de la guerre civile libanaise.

Un jour de travail ordinaire. Non que je veuille plaider pour un jour férié de plus. Nous avons des tas de jours fériés ici, et nous venons d'en avoir un nouveau [4] ajouté à cette pléthore de fêtes & commémorations. Nous fêtons (avons fêté) la libération du Sud (pendant un temps). Nous avons même fêté/ commémoré (selon le côté où on se trouve) l'assassinat de Hariri le 14 février 2005 (pendant un temps).

[5]

Avec l'autorisation de This Is Beirut

Mais s'il y a un jour dont on devrait se souvenir, c'est bien le 13 avril. J'ai demandé à mon fils s'il savait ce que ce jour avait de particulier. Il ne savait pas. “Un jour de malchance ou quoi, parce que c'est le 13 ?” En effet, de malchance.

Mon fils peut vous dire quand était la 1ère guerre mondiale, et la 2e. Il en sait un peu sur la guerre du Vietnam. Mais il ne peut pas vous parler de la guerre civile libanaise. Et ce n'est pas faute d'en discuter même dans notre foyer. Mais y a-t-il quelqu'un qui en parle vraiment ?

C'est une journée où nous devrions commémorer toutes les victimes /les disparus de la guerre (civile). Pourtant nous ne le faisons pas.

Aux Pays-Bas nous nous souvenons des victimes de la 2ème guerre mondiale le 4 mai (dodenherdenking) et c'était il y a 65 ans ! En France et en Angleterre ils se souviennent toujours des pertes de la première guerre mondiale le 11 novembre (Armistice) ; il y a presque 100 ans !

J'ai visité une exposition, DISPARUS & ET DANS UN OCÉAN D'OUBLI, qui commémore le 35e anniversaire du début de la guerre civile au Liban avec les photos de ceux qui sont disparus pendant cette guerre.

Mais j'ai été étonnée qu'il n'y en ait pas plus. Et vous savez la meilleure ? Même à l'exposition, ils ne vous disent pas combien il y en a d'accrochées. ‘Des centaines d'individus,’ dit la brochure. C'est combien, ‘des centaines’ ? Deux cents ? Neuf cents. Et d'après des articles que j'ai écrits par le passé, je sais qu'il y en a dans les 2.000 qui ont disparu en 1982 sur des mandats d'arrêt en blanc signés par certains juges. Et cela inclut-il les Palestiniens, comme ceux de la Quarantaine ? Nous avons un ami qui y a perdu son frère ; et il était Libanais. Je ne crois pas que sa photo y était.

Combien y a-t-il exactement de disparus. La population ne peut-elle pas enregistrer de réponse à cela ?

Un certain nombre ont disparu aux mains des Syriens, mais un nombre énorme a purement et simplement ‘disparu’. Ils sont tombées aux mains de la mauvaise milice au mauvais moment. Certains pour une rançon, d'autres par vengeance, un certain nombre a été ‘arrêté’ par ceux qui étaient qui étaient au pouvoir à l'époque, et il y en a qui ont juste été pris entre deux feux, et ne furent jamais réclamés, parce que personne ne pouvait plus tenir le compte.

Fait tragique, en mai dernier, une mère qui campait à Beyrouth depuis quatre ans en signe de protestation, en quête de réponses sur ses enfants perdus dans la guerre, a été tuée dans un accident de la circulation. Nihil Declaro [6] notait [ [3]en anglais] [3] :

Pour des gens comme Audette, toute vérité divulguée sur la guerre viendra trop tard. Elle aura vécu 1.495 jours sous sa tente contestataire, ayant renoncé aux commodités d'un vrai logement pour braver la chaleur des étés et les bourrasques en compagnie d'autres personnes ayant perdu des membres de leurs familles.
Mais en mai dernier elle a été tuée par un chauffard alors qu'elle traversait la rue près de sa tente [7].
A ses obsèques, sous la tente, plus de 100 amis se sont réunis pour lui rendre un dernier hommage.
Ils étaient aussi venus transmettre un message au gouvernement : Audette avait passé les 25 dernières années à rechercher des nouvelles de ses enfants et est morte sans avoir rien trouvé.

Malgré les souhaits du contraire, la guerre civile du Liban reste une affaire non résolue. Pour la majorité des Libanais, qui y ont perdu des proches, l'amertume continue à suppurer sous la surface.

Vous trouverez plus d'informations sur la campagne pour les morts et disparus de la guerre du Liban sur le site internet de [8] UMAM D&R.