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Timor oriental: Un passé toujours présent

Catégories: Asie de l'Est, Timor, Droits humains, Guerre/Conflit, Histoire, Médias citoyens
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Regina Magalhaes (à gauche) avec son fils, Fidelis, employé des Services Jésuites aux Réfugié au Timor Oriental Son mari Manuel a été tué dans les violences qui ont suivi la demande d

Nous avons passé au peigne fin toute la région de Bobonaro et sommes allés à maintes reprises à Batugade et à Palaka où, selon des rumeurs, les corps étaient enfouis. Nous avons seulement trouvé quelques fragments éparpillés en différents endroits. Il y a eu un cas où nous avons trouvé un crâne très loin d'un corps décapité supposant qu'il appartenait à la même personne. En dépit de tout ce qui a été retrouvé, beaucoup, y compris mon propre père et des amis n'ont pas été trouvés. Pire, cela fait onze ans et nous ne savons toujours pas ce qui s'est vraiment passé.

Fidelis Magalhães a écrit les mots poignants ci-dessus  marquant le onzième anniversaire de la Consultation Populaire organisée par les Nations Unies [2], laquelle aboutit au vote de 78% de la population pour son indépendance de l'Indonésie. Ceci mit fin à une occupation qui durait depuis 24 ans et avait entraîné la mort de plus de 150 000 personnes. Cependant, dans un paroxysme de violence organisée  et mise en oeuvre par l'armée indonésienne et ses mandataires timorais, plus de 1500 personnes furent tuées avant, pendant et après le vote. Les victimes et leurs familles n'ont encore guère réussi à faire leur deuil [les liens sont en anglais].

L'histoire de Fidelis, présentée par la weblist du Réseau d'Action pour le Timor oriental [3] (RATO), a généré un intérêt considérable au Timor. Il parle du meurtre de son père, Manuel Magalhães [4], qui fut un des leaders en chef du mouvement indépendantiste dans la région de Bobonaro (à la frontière avec l'Indonésie) [5]. Magalhães fut assassiné avec ses compagnons indépendantistes [6] le 9 Septembre 1999 comme Chega, le rapport final de la Commission d'Accueil, de Vérité et de Réconciliation [7] l'indique :

selon le Procureur général adjoint pour les crimes graves, le 9 Septembre, le Sergent timorais M147 (…) (à Maliana, capitale de Bobonaro) fut informé par un villageois qu'un groupe de personnes qui s'était échappé de l'enceinte de police avait été découvert sur la rive du fleuve.  (…). Le Sergent M147 ordonna alors à un groupe de la milice Dadurus Merah Putih de l'accompagner à Mulau. Dans cette opération, 13 indépendantistes furent tués. Les victimes étaient : Lamberto de Sá Benevides, Abilio Marques Vicente, Augusto dos Santos Marques, José Barreto, Pedro Luis, Lucas dos Santos, Luis Soares (Luis dos Santos), Jeroni Lopes, Domingos Titi Mau, Manuel Magalhães, Carlos Maia, Ernesto da Coli et Paul da Silva. Les neufs premiers, de Lamberto de Sa Benevides à  Domingos Titi Mau, reçurent l'ordre du Sergent M147 de s'agenouiller et de lever les mains. Le  Sergent M147 les abattit un à un avec un fusil automatique. Les quatre autres furent capturés et tués séparément. Manuel Magalhães et Ernesto da Coli furent chacun abattu puis poignardé. Carlos Maia fut mortellement poignardé et Paulo da Silva reçut plusieurs balles alors qu'il tentait de se rendre. Manuel Magalhães était un leader du Conseil national de la résistance timoraise (CNRT) et Carlos Maia un éminent militant indépendantiste. Tous les corps, à l'exception de celui de Paul da Silva, furent portés à la plage de Batugade. Sur l'ordre de deux chefs du Saka Loromonu les corps furent aussi jetés à la mer.

Le même rapport dit aussi que seuls les corps et les restes de trois victimes furent découverts et enterrés mais ce ne fut pas le cas de Manuel Magalhães.

Selon un article de presse [8], Magalhães savait que ses activités indépendantistes pouvaient lui être fatales : “Dans sa dernière conversation, le 26 Août 1999, avec son fils aîné, Nivio, âgé de 19 ans, il dit au jeune homme, “Si je meurs, je ne veux pas que vous vous vengiez. Je veux que vous construisiez un pays pacifique.”” Quelques jours après le dixième anniversaire de la mort de  Magalhaes, l'année dernière, sa fille Ivete Liete Oliveira, se demandait [9] :

la justice, est-ce trop demander ?  (…) Nous ne devrions pas oublier purement et simplement le passé parce que c'est le passé qui nous a conduit là où nous en sommes aujourd'hui.

Maintenant c'est au tour du plus jeune fils, Fidelis, un ancien conseiller du Président et Prix Nobel Jose Ramos-Horta, qui étudie à présent à Londres. Il fut un des premiers à plaider pour une réconciliation nationale en 1999, ” encourageant les gens dans diverses parties du pays, dans diverses communautés à se réconcilier, à vivre sans haine et dans le respect des droits des autres.” Dans sa note, il affirme que l'autre aspect de la réconciliation est “d'apprendre un jour ce qui s'est vraiment passé et de retrouver les restes de ceux que nous aimons” comme il l'explique :

Pour moi, la question n'est pas la vengeance et je ne souhaite même pas de l'arrestation des généraux indonésiens. Ce que je veux c'est que le gouvernement timorais presse l'Indonésie de nous apprendre ce qui s'est passé et nous aide, si possible, à retrouver les restes. En ce moment, pour beaucoup de familles de victimes, il n'y a encore aucun deuil convenable. On leur a dit de se réconcilier avec les miliciens et de pardonner aux Indonésiens mais jusqu'à présent, leur propre Etat semble totalement incapable de demander ne serait-ce que la vérité et l'identification des charniers. Tout paraît être dominé par le pragmatisme.

Photo from the memorial to Manuel Magalhães and those killed in the police station at the beach of Batugade, by Flickr user Rusty Stewart shared under a CC Attribution - Non-Comercial - Share Alike license [10]

Photo du mémorial à Manuel Magalhães et aux tués de la station de police sur la plage de Batugade, sur Flickr par Rusty Stewart, publiée sous licence CC Attribution – Non-Comercial – Share Alike

Tandis que Fidelis avec l'aide d'amis “emmenaient les familles de victimes pour fouiller chaque endroit que nous soupçonnions de quelque importance,  (…) nous recueillions des informations des communautés locales concernant toute exécution ou lieux de sépulture possibles puis nous fîmes des recherches en de nombreux endroits pendant presque deux ans.” Il presse maintenant l'Etat timorais d'agir :

L'Etat timorais semblait être incapable d'obtenir quelque information que ce soit du gouvernement indonésien concernant ce qui s'est passé et la localisation des restes. Les seules choses que j'ai trouvées et qui appartenaient à mon père furent son pantalon et une carte d'immatriculation moto à demi brûlée (selon certaines sources lui et douze ou treize autres furent dévêtus, mis en pièces et jetés dans l'océan) Mais même le pantalon que j'avais plus tard remis à l'Unité des crimes graves des Nations Unies je n'ai pas réussi à le récupérer après toutes ces années. L'année dernière, j'ai été convoqué par l'équipe d'enquête sur les crimes graves et elle m'a remis deux photos du pantalon et de la carte avec ces mots de consolation que le vrai pantalon et la vraie carte ne pouvaient m'être encore retournés car l'enquête était toujours “en cours”.
Pour conclure, un leader de la jeunesse a menacé de me frapper pour avoir organisé la célébration de la journée internationale des droits de l'Homme en 2000. Ce qu'il a dit vaut la peine de s'en rappeler : “vous êtes un traître, vous trahissez vos propres amis et votre propre père. Les soi-disant droits de l'Homme sont simplement un moyen pour nous de pardonner et de ne pas nuire à ceux qui nous ont nui. Les morts seront oubliés. Les Nations Unies et le gouvernement oublieront.” J'espère encore qu'il n'avait pas raison….  Mais peut-être c'est juste parce ce que je suis un optimiste invétéré.

“Quelques pensées du Passé…”  par Fidelis Magalhaes posté sur Facebook ( le dimanche 12 Septembre à 18:56) est cité dans cet article avec son autorisation.