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Maroc : Protester contre la torture, partout

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Algérie, Maroc, Cyber-activisme, Droits humains, Guerre/Conflit, Jeunesse, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique

Les responsables marocains se sont levés comme un seul homme cette semaine, défilant devant les caméras pour exprimer leur extrême indignation après l'arrestation et la torture présumée de Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud [1] par le Front Polisario [2], le mouvement séparatiste soutenu par l'Algérie qui conteste la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental [3]. Mustapha Salma, un ancien chef de la police du Front Polisario et dirigeant de haut rang était accusé de trahison par le mouvement séparatiste après avoir publiquement fait l'éloge du plan d'autonomie [4] [en arabe], proposé par les Marocains pour résoudre ce conflit vieux de trente ans. L'affaire Mustapha Salma ne peut guère passer inaperçue car elle est occupe tous les médias du Maroc ; ses photos s'étalent à la une des journaux locaux. Les médias officiels ont condamné le Polisario et ses soutiens algériens au motif qu'ils ont bafoué le droit de Mustapha Salma à la libre expression et par crainte qu'ils ne soit exposé à la torture. (Mustapha Salma aurait depuis été relâché [5].)

[6]Tandis que cette affaire soulève des préoccupations légitimes sur la violation des droits humains par le Front Polisario et le régime algérien, des blogueurs se sont indignés de l'indifférence des médias traditionnels locaux et du gouvernement marocain pour le sort d'un jeune Maorocain, Fodeil Aberkane. C'est l'histoire plus locale, mais beaucoup plus horrifiante d'un jeune homme, dont le droit humain le plus fondamental, le droit à la vie, a été nié.

Cette victime avait 37 ans, et sa mort brutale dans un commissariat de police de la vieille cité de Salé, près de la capitale Rabat, est pour de nombreux blogueurs, qui se souviennent des années de plomb [7], la période sombre du règne de Hassan II, lorsque les brutalités et les tortures perpétrées par les agents publics étaient une réalité effroyable avec laquelle devaient vivre les Marocains.

Fodeil est arrêté le 11 septembre 2010, et accusé de consommation de cannabis. Après 48 heures passées derrière les barreaux, un juge décide de le relâcher. Quelques jours plus tard, Fodeil retourne au commissariat pour demander à ce qu'on lui rende ses objets personnels : une motocyclette et un téléphone portable. Une altercation s'ensuit et Fodeil se retrouve de nouveau en prison, accusé d'”insulte à agents dans l'exercice de leur fonction.” Deux jours après, il est transféré à l'hôpital central de Rabat où son décès est constaté. Il n'y a aucun doute pour la famille et les amis de Fodeil sur l'origine de cette fin tragique [8] : les brutalités et la torture par la police. Une enquête est ouverte, mais aucune incrimination n'a été jusqu'à présent conclue contre les individus supposés impliqués dans la  mort de Fodeil Aberkane.

L'histoire a accaparé l'attention des blogueurs et militants sur Internet, car elle survient dans un climat de déclin de la liberté de la presse dans le pays [9] et parce que comme nous le rappelle l'auteure et blogueuse Laila Lalami [10] [en anglais], elle n'est pas un incident isolé :

Fodail Aberkane n'est pas une exception. Au cours des dernières années, des allégations de torture ont été émises à maintes reprises contre la police au Maroc. Il y a deux ans, Zahra Boudkour, une étudiante de 21 ans originaire de Marrakech, a été arrêtée pour avoir pris part à une manifestation d'étudiants. Elle a été dénudée et battue, mais nul n'a dû rendre de comptes pour les violences qui lui ont été infligées. Lors de ses démêlés avec la police de Marrakech, un autre étudiant, Abdelkebir El Bahi, s'est fait jeter par la fenêtre d'un dortoir au 3ème étage. Il est maintenant dans une chaise roulante pour le restant de ses jours. Boudkour et El Bahi ont été maltraités et torturés à cause de leurs idées et de leurs idéaux. Fodail Aberkane essayait de récupérer sa mobylette.

Bill Day, écrivant [en anglais] sur thé à la menthe est du même avis [11] :

Parce que les victimes ne sont pas des célébrités, elles souffrent et meurent sans que les médias occidentaux s'en aperçoivent — loin des yeux, loin du coeur. Pendant que le royaume a rompu très ouvertement avec les “Années de plomb,” au long desquelles il y avait une pratique générale de la torture envers les dissidents politiques sous le roi Hassan II, les incidents comme ceux rapportés par L. Lalami sont un contrepoint glaçant au visage lumineux de prospérité affiché par le régime actuel, et surtout si on les apparie avec la répression en cours de toute presse libre.

Le blogueur et militant Najib Chaouki [12] [en arabe] a créé un groupe Facebook appelé “Nous sommes tous des victimes de la torture,” [13] dans le préambule duquel il appelle à ce que les “auteurs de ce crime soient poursuivis avec diligence.”

Le blogueur Larbi dénonce les deux poids, deux mesures du gouvernement marocain [14]. Il écrit :

Si ce gouvernement, avait une seule once de dignité, il devrait différer le plus tôt possible les assassins de Fodail Aberkane devant la justice ne serait-ce que pour ne pas mourir du ridicule. Quant à la torture, on oserait même pas penser qu’elle cessera un jour, tant qu’au Maroc , elle est apparemment éternelle.

Une pétition en ligne pour “Mettre fin à la torture et à la violence policière au Maroc,” [15] a déjà réuni plus de 300 signatures.

Des blogueurs et usagers de Twitterers ont partagé et diffusé des images comme celle-ci.

[16]

Makhzen est le terme générique désignant les institutions du pouvoir marocain.

Le blogueur et juriste Ibn Kafka propose sa lecture [17] des raisons de la persistance de la torture au Maroc :

La torture est […] un instrument de pouvoir dont le régime marocain ne tient pas à se passer, mais dont il tient seulement à limiter les effets nocifs sur sa réputation, nationale et internationale. En l’absence de contre-pouvoirs politiques et institutionnels sérieux en interne, ce sont principalement les retombées médiatiques et diplomatiques externes qui pèsent sur les choix sécuritaires du makhzen.

Quant aux médias occidentaux, explique le blogueur…

[Ils] ne s’intéressent au Maroc qu’à travers l’optique orientalisme-islamisme-terrorisme – et dans cette optique, Fodail Aberkane ne remplit pas de fonction utile.

Les prérogatives excessives et incontrôlées confiées à la police conduisent souvent à un usage arbitraire de la force, comme Riad Essebai l'écrit sur Robin des Blogs [18] :

Aberkane n'est ni le premier, ni le dernier à être la victime d'un système, où l'agent de la force publique peut être, à la fois, juge et arbitre. Ce pouvoir “absolu”, est le véritable criminel dans cette affaire, et c'est cela qu'il faudra combattre.

aboulahab, écrivant sur le blog du C.J.D.M. [19] (Cercle des Jeunes Débiles Marocains) exhorte à hausser la voix :

[L]’Histoire retiendra tout type de profil, sauf le profil bas. Assez de bassesse. Le Maroc a besoin de grands hommes, qu’ils se manifestent. Sommes-nous déjà une civilisation de fonctionnaires asservis et de citoyens muets ?