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Chili : Natividad Llanquileo, voix des grévistes de la faim mapuches

Catégories: Amérique latine, Chili, Droit, Jeunesse, Manifestations, Médias citoyens, Peuples indigènes

En septembre, son nom a explosé sur le net : Natividad Llanquileo [1], la porte-parole des détenus Mapuche [2] de la prison d'El Manzano à Concepción, au Chili [3]. Elle a 26 ans et est étudiante en droit. Le blog Ukhamawa [4] [en espagnol, comme tous les liens suivants sauf mention contraire] la décrit ainsi :

Hasta antes de asumir como vocera, Natividad sufría de pánico escénico. Y hoy son pocos los que creen que se ruborizaba cada vez que tenía que hablar en público o daba una prueba oral en su carrera, la que congelara a causa de la huelga de hambre. ‘Pero de un día para otro se me acabó la timidez’, confiesa. Esto, luego de que se vio enfrentada a participar en foros, vociferar con megáfono en diversas marchas, dar entrevistas y negociar de igual a igual con ministros y subsecretarios.

Avant de devenir porte-parole, Natividad souffrait d'un trac insurmontable. Et aujourd'hui, on a du mal à croire qu'elle rougissait à chaque fois qu'elle parlait en public ou passait un oral pendant ses études, elle se serait pétrifiée devant une grève de la faim. “Mais du jour au lendemain ma timidité a disparu”, a-t-elle confessé. Cela, depuis qu'elle s'est vue confrontée à prendre part à des forums public, à vociférer au mégaphone en diverses marches, donner des entretiens et négocier sur un pied d'égalité avec ministres et sous-secrétaires.

Sur Facebook, elle est suivie par un groupe d'hommes et de femmes, “Yo también admiro a Natividad Llanquileo” [5] [Moi aussi j'admire Natividad Llanquileo] et un compte Twitter a été ouvert il y a peu (@NATIVIDADLLANQU) [6], sur lequel elle remercie tous ceux qui la suivent ainsi que ses informations sur la situation des Mapuches [7] :

Gracias a todos los que han solidarizado con nuestros hermanos, sus familiares y sus comunidades. Natividad Llanquileo.

Merci à tous ceux qui se sont solidarisés avec nos frères, leurs familles et leurs communautés. -Natividad Llanquileo.

Les images de la grève de la faim mapuche [8] à peine publiées [en français], la réaction du cyberespace ne s'est pas fait attendre. Les organes des média et les réseaux sociaux de nombreux pays ont été émus par l'image de cette jeune fille et sa voix ferme expliquant la grève de la faim, les revendications des prisonniers et la dignité des Mapuches. Le journal numérique cubain Juventud Rebelde [9] a publié sa photo en grand format.

[10]

Natividad Llanquileo. Photo de Miguel Méndez, compte flickr Méndez_vision, avec sa permission.

En pleine tension de la grève de la faim, des voix comme celle de Ulises de Laire (@udelairep [11]) se sont fait entendre :

si me permiten una frivolidad, que guapa es Natividad Llanquileo, la vocera y hermana de algunos de los chicos mapuches en huelga de hambre.

Si vous me pardonnez une frivolité, comme elle est belle, Natividad Llanquileo, c'est la porte-parole et la soeur de Mapuches en grève de la faim.

Felipe Morales (@washingmaquina [12]) déclare :

Con todo respeto, un proceso tan complejo como el mestizaje puede ser explicado con una sola persona, Natividad Llanquileo. Que guapa!

Avec tout le respect, un processus aussi complexe que le métissage expliqué avec une seule personne, Natividad Llanquileo. Elle est géniale !

Natividad Llanquileo avait deux frères incarcérés durant la grève, Ramón à la prison de Concepción, et Víctor dans celle d’Angol [13]. Mais l'activisme remonte à plus loin dans sa famille : son père, décédé il y a trois ans, avait rejoint les mouvements indiens des années 1970, sous le gouvernement de Salvador Allende [14] [en français].

Sa vie est remplie de luttes et reflète la réalité de milliers de jeunes Mapuches [15]. A sa sortie du lycée, Natividad est partie à Santiago pour trouver du travail et gagner sa vie. Observatorio Ciudadano [16] relate son histoire :

“Yo creía que Santiago era más bonito y amable de lo que realmente es -recuerda Natividad Llanquileo-. Encontré trabajo como empleada puertas adentro en una casa particular. Cuidaba niños, hacía la comida, el aseo… Una vez a la semana tenía un día libre y me iba a casa de una hermana en Lo Espejo… Me levantaba todos los días a las 6 de la mañana para hacer el desayuno. Y la hora de acostarme nunca se sabía, a veces a las 2 ó 3 de la mañana, cuando los patrones volvían tarde. Es lo que pasa con la mayoría de la nanas”. También le costó aprender el funcionamiento de los aparatos electrodomésticos, adaptarse a los sistemas de transporte público y dominar las tecnologías que encontró en la ciudad.

“Je croyais que Santiago serait plus beau et aimable qu'en réalité,” se souvient Natividad Llanquileo. “J'ai trouvé un travail d'employée de maison logée chez des particuliers. Je m'occupais des enfants, faisais à manger, le ménage… j'avais un jour de congé par semaine et j'allais chez ma soeur à Lo Espejo… Je me levais tous les matins à 6 heures pour faire le petit-déjeuner. Je ne savais jamais à quelle heure j'irais me coucher, ça pouvait être 2 ou 3 heures du matin, quand mes patrons rentraient tard. C'est comme ça pour la plupart des nounous.” C'est aussi là qu'elle a dû apprendre le fonctionnement des appareils électro-ménagers, s'adapter aux transports en commun et à dominer les technologies qu'elle a rencontrées en ville.

[17]

Photo Camilo A. Riffo, @camiloriffo, avec sa permission

Les qualificatifs de la page Facebook en son honneur, dont certains sont dithyrambiques, la décrivent comme “une lutteuse fidèle à elle-même [18]” “Une fille intelligente et belle est une combinaison qui se trouve rarement. Son combat et sa bravoure forcent l'admiration [19],” “Elle a une profondeur dans le regard qui sait refléter quelque chose de particulier… il inspire courage et force [20].” Sur Twitter, @mxmg [21] dit que Natividad est “admirable.”

Elle est considérée comme faisant partie de la “nouvelle génération mapuche” par Revista Que Pasa, comme le rapporte Prensa. Chile: asuntos indígenas [22] :

Cuentan que cuando niños cuidaban animales y vivían en rucas. Hoy estudian en la universidad. Admiran a Lautaro y no a Prat. A diferencia de sus padres, aprenden mapudungun y juegan palín. Están organizados y pretenden convertirse en dirigentes. El conocimiento winka es “una herramienta” para sus fines. Porque, definitivamente, no quieren ‘chilenizarse’.

On dit qu'enfants, ils gardaient les animaux et vivaient dans des huttes. Aujourd'hui, ils étudient à l'université. Ils admirent les héros mapuches comme Lautaro [23] et non les héros nationaux chiliens tels que Prat [24] [ces 2 liens en français]. A la différence de leurs parents, ils apprennent le mapundungun et jouent au palín [respectivement, langue et sport mapuches, NdT]. Ils sont organisés et prétendent devenir des dirigeants. Les savoirs winka [non mapuches, NdT] sont un “levier” pour leurs fins, parce qu'ils ne veulent définitivement pas se “chilianiser”.

Magnétique, hypnotisant, sont parmi les adjectifs utilisés par Patricio Hidalgo dans El Quinto Poder [25]:

A diferencia de casi todos los políticos y opinólogos de nuestra patria, habla preciso, justo, ahorrándose los fuegos de artificio y las citas provocadoras. Hay algo de magnético, de hipnotizante en su fortaleza sencilla, en su tono de voz macerado, en su mirada huidiza. El contraste es notable: la pantalla es saturada por políticos que “denuncian” que los comuneros están comiendo, personas que hacen gárgaras con la “amenaza terrorista”, con la atrocidad de “atentar” contra la propia vida, y la respuesta viene simbolizada por una cara lozana, sencilla, inolvidable,

A la différence de quasi tous nos politiques et analystes d'opinion de notre patrie, sa parole est précise, juste, elle se garde des émotions artificielles et des citations provocatrices. Il y a quelque chose de magnétique, d'hypnotisant dans sa force simple, son ton de voix macéré, son regard farouche. Le contraste est notable : l'écran est saturé de politiques qui “dénoncent” ce que les comuneros mangent, de gens qui se gargarisent de la “menace terroriste”, de l'atrocité d'”attenter à leur vie”, et la riposte vient, symbolisée par un visage frais, simple, inoubliable.

Sur Youtube la silhouette frêle et puissante parle avec clarté du rejet des familles de prisonniers de la table des négociations, comme il était proposé par les autorités :

C'est avec la même clarté qu'elle est venue à la table de négociation, selon cet entretien [26]:

En una reunión, la primera, al ministro Larroulet lo apunté con el dedo y le dije fuerte: “Usted dijo que nosotros somos terroristas y ahora dice que no. Entonces ¿qué es lo que está pasando?”. En ese sentido, no porque sea ministro hay que tratarlo de otro forma, porque yo soy igual con todos. A quien veo con mucho respeto es al obispo Ezzati. Su rol en este tema ha sido muy importante. Si no hubiese sido por él, tal vez el gobierno hasta ahora no se hubiese sentado a conversar con nosotros. Además, para negociar con el gobierno, debíamos tener un facilitador, que a la vez es un garante, porque si no, no era negociación. Porque ¿quién nos asegura que el gobierno firme o no firme los papeles? Sin garante, una negociación no sirve.

Dans une réunion, la première chose que j'ai faite c'était de montrer du doigt le ministre Larroulet et de dire à voix forte : “Vous avez dit que nous sommes des terroristes et maintenant vous dites que non. Que s'est-il donc passé ?” Dans ce sens, ce n'est parce qu'on est  ministre qu'on doit être traité autrement, parce que je suis l'égale de tous. Celui pour qui j'ai un grand respect, c'est l'évêque Ezzati. Son rôle en la matière a été très important. Sans lui, le gouvernement n'aurait pas éprouvé à le besoin de dialoguer avec nous. De plus, pour négocier avec le gouvernement, il nous fallait un médiateur, qui soit en même temps un garant, sans quoi il n'y aurait pas de négociation. En effet, qui nous garantit que le gouvernement va signer ou non l'accord ? Sans garantie, une négociation ne sert à rien.
Natividad, porte-parole weichafe [27] [les représentants de la nation mapuche, qui agissent en son nom] explique la scission parmi les Mapuches grévistes :

Aujourd'hui, les récits des frères de Natividad [28], Ramón and Víctor Llanquileo, sont connus, du début à la fin, salués ou critiqués. Natividad dit que son père leur a toujours appris à ne jamais se sentir moins qu'égaux. Une importante leçon qui appelle la question : si on enseignait cela à chacun, combien le Chili aurait-il de Llanquileo, combien de jeunes hommes et femmes au regard franc et à la voix assurée ?