Tunisie, Algérie : la révolution ne passera pas à la télévision

Les manifestations en Algérie et en Tunisie sont suivies attentivement par les blogueurs des deux pays.Les médias sociaux jouent un rôle central pour la couverture des événements qui s'y déroulent, dans un contexte de censure lourde imposé aux médias traditionnels (la plupart sont contrôlés par l'état) et sur Internet en Tunisie. Voici une revue des blogs tunisiens et algériens au cours des deux derniers jours [liens en français, en anglais, en arabe].

Tunisie

Dès que l'information selon laquelle la police tirait à balles réelles sur les manifestants non armés est apparue sur les réseaux sociaux, les internautes ont recherché des confirmations et le nombre de victimes. Les conversations sur Twitter et les réseaux sociaux ont d'abord fait apparaitre des bilans très différents. [NdT : mise à jour du journal Le Monde 23 morts au 10/1/2010]

On n'en sera pas surpris, la chaine de télévision d'état TV7 en Tunisie ne semblait pas suivre la tragédie qui se déroulait, comme le relève Nawaat (@nawaat), le portail d'informations indépendant sur la Tunisie :

La chaine nationale TV7 diffuse un concert de musique alors que la police tire à balles réelles sur les manifestants #sidibouzid

The Moorish Wanderer (@MoorishWanderer), au Maroc, était inquiet :

Inquiet si #ZABA (Zine El Abidine Ben Ali) fait appel à l'armée. Des cas de mutineries dans l'armée/la police? Parce que sinon, ça va être un bain de sang  #Sidibouzid

Nasser (@Weddady), blogueur mauritanien, a suivi de très près les événements. Citant des agences de presse et d'autres utilisateurs de Twitter, il a publié les premiers noms des victimes identifiées de la région de Kasserine, où l'armée semble avoir été déployée de façon massive :

Noms de certaines victimes tuées ce soir par régime #Tunisie : Marwane Jamli, Mohamed Oumari, Ahmed Boulabi Nouri Boulabi Abdelkader Boulabi #Sidibouzid

La blogueuse Lina Ben Mhenni s'est rendue dans la ville de Regueb, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, où les émeutes ont commencé il y a quatre semaines, quand un jeune vendeur de fruits et légumes,  Mohamed Bouazizi, s'est immolé par le feu, quand la police a confisqué son étal. Elle décrit ce qu'elle a vu :

Ce soir, je suis allée à Regueb après avoir entendu parler de heurts entre les manifestants et la police et de la mort de plusieurs personnes, tuées par la police. Aujourd'hui, 5 personnes ont été tuées : Manel Boallagui (26) mère de deux enfants,  Raouf Kaddoussi (26) , Mohamed Jabli Ben Ali (19), Moadh Ben Amor Khlifi (20), Nizar Ben Ibrahim ( 22) .  Je ne peux pas donner les détails maintenant! Je le ferai plus tard. Je laisse les photos expliquer tout.

Lina a publié une photo d'une des victimes :

Photo Lina Ben Mhenni (publiée sous licence Creative Commons BY-NC-ND)

Khanouff, dont le blog est censuré en Tunisie, déplore le manque de réaction des gouvernements occidentaux en dépit du bilan toujours plus lourd en vies humaines :

[L]a comptabilité macabre continue, alors et si les chancelleries occidentales nous disent leur prix, nous renseignent sur le nombre de morts à atteindre pour lâcher leur protégé! Combien de morts pousseront-ils le Quai d’Orsay, et autres manipulateurs de marionnettes corrompus à agir? Dites nous svp combien de litres de sang vous faudra t-il ! Combien ! Combien de morts il vous faudrait messieurs les donneurs de leçons ?

fléna bent flén est une blogueuse tunisienne. Elle écrit sur les événements qui se déroulent dans son pays et  publie ce bref poème (extrait) :

Je ne suis pas d’humeur à écrire
Mais je n’arrive pas à dormir
L’effet de la caféine ? Pire…

Je ne suis pas d’humeur à faire la rime
Mais c’est mieux que de faire le mime
Dénoncer un crime
Un parmi d’autre dans cet abîme..

Je ne suis pas d’humeur à pleurer
Mais je ne peu m’en empêcher,
On se fait encore tué..

Le drapeau tunisien, et l'hymne national, sont devenus des symboles de ralliement pour les manifestants. Les blogueurs ont également utilisé le drapeau sur leurs blogs.

Pour témoigner de son deuil et de sa solidarité avec les victimes et leurs familles, le blogueur  bokOussama suggère l'adoption par la blogosphère tunisienne d'un nouveau drapeau symbolique. Il écrit :

La couleur rouge, rouge comme le sang des martyrs qui a coulé hier à Gassrine et autres régions tunisiennes, ne reviendra point à ce drapeau que lorsque dignité et liberté ne soient rendus au Pays qui le représente.

Adel parle aussi du drapeau tunisien. Il écrit :

Le drapeau de mon pays, rouge comme le sang de ceux qui ont reçu des balles dans le dos à Sidi Bouzid, rouge comme le sang des dizaines de jeunes qui sont tombés sous les balles à Kasserine, rouge comme le sang qui s’est mélangé au feu de ceux qui se sont fait immolé.

Le drapeau de mon pays pour ceux qui le croyaient mauve* est … rouge

Le mauve est la couleur du parti au pouvoir, le RCD.

Insàane a écrit ce poème [en arabe] qui reflète l'esprit de la révolte :

أنا سيدي بو زيد و سيدي بوزيد أنا، نتكلم نتكلم و نزيد ، البارح أنا جبان و اليوم الحق فينا بان ، اليوم حرية ، موش على كيفكم ، على كيف نفسي الهشة ، على كيف التوانسة و الجمهورية ، على كيف كل ولية بكات ، على جاليتنا إلي تنفات ، على قدرنا إلي تستخايلوه مات . في تونس ما يستحق الحياة ، و بكل حزم ، نقوموا مالردم يزيونا قهر ، يزيونا سكات !!!!
Je suis Sidibouzid et Sidibouzid, c'est moi. J'ai été un lâche hier, mais aujourd'hui, j'appelle à la justice et à la liberté. Aujourd'hui, vous ne dirigez plus, et je n'ai pas peur. Aujourd'hui, c'est le peuple, la république, la mère qui pleure, les expatriés… Nous sommes responsables. Nous prenons en main notre propre destin. Plus d'oppression, plus de silence.

Enfin, Slim souligne le rôle essentiel joué jusqu'ici par les médias en ligne et les réseaux sociaux pour transmettre des informations vers l'extérieur malgré la censure imposée dans le pays. Il écrit :

Le black-out médiatique, la désinformation et la censure continuent à montrer leurs limites. On n’a jamais été aussi bien renseigné sur ce qui se passe. Le partage viral et instantané des photos, vidéos et témoignages des manifestants sur Facebook et twitter a été intensif depuis le début du mouvement. La frontière entre le réel et le virtuel n’a jamais été aussi étroite

En Algérie

Beaucoup ont d'abord considéré les émeutes en Algérie comme la propagation de la révolte en Tunisie.

Kal, sur le blog the Moor Next Door contredit cette analyse. Il écrit :

Qu'elles se soient produites presque simultanément, l'une après l'autre, est probablement plus une coïncidence, les émeutes en Algérie sont le résultat de décisions politiques maladroites et d'événements économiques qui se trouvent avoir eu lieu à la même période que les manifestations en Tunisie.  Mais il y a quelques liens entre elles, dans le sens où les Algériens ont lancé des appels à la solidarité avec les Tunisiens, même si dans leur majorité, les troubles qui ont lieu en Algérie sont propres à la situation algérienne.

Le vidéo blogueur algérien Hchicha parle du malaise [en arabe algérien] qui a provoqué les émeutes en Algérie et fait lui un parallèle entre la situation en Algérie et en Tunisie, un pays qui, écrit-il, a été poussé au bord de l'explosion sociale :

Les Algériens en ont assez. C'est une question de Hogra, de dignité. Ne croyez pas à la propagande du gouvernement, qui affirme que les émeutes sont uniquement dues au prix élevé du pain etc. En fait, l'Algérie souffre de sérieux problèmes. De véritables problèmes politiques. C'est une crise politique qui dure depuis 20 ans ; et depuis 1962.

Un point de vue partagé par Nawel D. sur le blog Algeria 360°. Elle écrit :

Les émeutes sont porteuses […] d’un message politique fort : le besoin de liberté. Besoin d’ouverture du champ politique bouclé à l’émeri à cause d’un état d’urgence qui n’a d’utilité que pour empêcher l’expression des voix qui ne rime pas avec l’unanimisme ambiant. Les quatre jours d’émeutes sont un appel à une rupture dans le mode de gouvernance. Le message est clair.

Le blog Mots de Tête d’Algérie parle des suites des émeutes à Amizour, ville située au nord de l'Algérie. Pour lui, les manifestations ont dégénéré :

Des dégradations qui ont suscité l'indignation de la population qui ne comprend pas pourquoi s'en prendre à des biens de la collectivité et d'utilité publique. « On a voulu exprimer notre ras-le-bol sans commettre de dépassements », explique un jeune manifestant, « mais des éléments avec d'autres intentions, pour tout simplement voler se sont joints aux manifestants, c'est devenu incontrôlable !» regrette-t-il.

Que les émeutes en Algérie expriment un malaise profond ou une colère passagère est la question centrale, que Kal pose sur le blog The Moor Next Door. Il écrit :

Une révolution est un phénomène assez particulier, et souvent délibéré. Si ces troubles constituent plus qu'une colère passagère, on le découvrira par la suite, comme sera découverte toute manipulation qui porte ou fait retomber les espoirs des jeunes dans la rue.

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