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Tunisie : Le discours de “Ben Ali 2.O”

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Tunisie, Cyber-activisme, Droits humains, Gouvernance, Jeunesse, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique

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Cela fait bientôt quatre semaines que les Tunisiens manifestent de façon continue dans les rues des grandes villes du pays. Une situation qui s'avère être le plus grand défi auquel le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali ait été confronté en 23 ans de pouvoir. Jeudi 13 janvier, le Président a adressé dans la soirée sa troisième allocution télévisée à la nation en moins d'un mois, promettant une série de réformes, parmi lesquelles le retour à davantage de liberté d'expression et, surtout, il s'est engagé à ne pas se représenter aux élections présidentielles de 2014.

Juste après avoir écouté ce discours, le blogueur tunisien Youssef Gaigi [2] [en anglais comme la plupart des liens du billet] a envoyé son point de vue à Jillian C. York, collaboratrice de Global Voices, laquelle l’a mis en ligne [3] sur son blog personnel. Youssef a écrit ceci :

Le discours d'aujourd'hui marque un tournant majeur dans l'histoire de la Tunisie. Ben Ali a publiquement pris la parole pour la troisième fois en un mois. C'est sans précédent. Nous connaissions à peine cet homme. Pour la toute première fois, Ben Ali s'est exprimé en dialecte tunisien et non en arabe.

Il s'est adressé directement aux forces de police et leur a ordonné de ne pas tirer, sauf en cas de légitime défense. Dans le même esprit, il a annoncé qu'une commission serait chargée d'enquêter sur les crimes commis.

Il a également affirmé qu'il avait été induit en erreur dans  plusieurs domaines, notamment ceux de la politique et de la liberté d'expression. Il a reconnu ne pas avoir atteint ses buts ou rêves.
Il a affirmé que toutes les libertés seront accordées au peuple tunisien. Il a indiqué que le droit de fonder une association, un parti politique, ou un média sera totalement libre. Il a dit que toute censure d'Internet ou des médias traditionnels serait suspendue.

Les gens restent prudents et méfiants vis-à-vis de ces affirmations. Ce sont des milliards de dollars qui ont été détournés par sa famille. Son parti politique, le RCD, est bien plus, et de loin, puissant que les autres. Il s'agit aussi d'une police forte de 150 000 hommes, qui s'est comportée comme une organisation terroriste depuis des dizaines d'années et tout particulièrement récemment. Faire en sorte que ses mots deviennent réalité sera ardu. Pour commencer, nous vérifierons ce qu'il en est de ces bonnes paroles dès demain.

Pendant et après l'allocution de Ben Ali, Twitter a vu affluer de nombreux messages sous le hashtag (mot clé) #Sidibouzid [4] et a retransmis en direct extraits et commentaires du discours.

Paraphrasant Ben Ali, Samira Abed (@Khaffousa [5])a  écrit [6] ironiquement:

Je vous comprends je vous comprends!!!! Mais comprenez moi je veux rester!!!et d'ailleurs je vais rester au moins jusqu'en 2014 #SidiBouzid

Prenant acte des promesses de Ben Ali, Ben Karim (@karim2k [7]) annonçait [8] ne pas être impressionné :

Je mets en pratique ma “nouvelle” liberté d'expression : on n'en a pas fini avec ce qui s'est passé à #Sidibouzid et à travers le pays.

La journaliste Dima Khatib (@Dima_Khatib [9]), qui a commenté en direct sur Twitter des passages du discours, était elle aussi sceptique [10] :

Ben Ali : à compter de maintenant, il est permis de manifester, mais il faudra dire quand et où.  #SidiBouzid

Le sarcasme n'étant jamais bien loin, Snake (@Snake122448 [11]) a déclaré dans un tweet [12] :

Source sûre : Ben Ali se fout de notre gueule. Confirmé. #sidibouzid

Les promesses ont peu convaincu sur Twitter.  @Houeida [13] (Houeida Anouar) écrit [14] que le changement proposé par le président n'était pas ce que souhaitait le peuple. :

التـّــحوّل 2.0 (Changement 2.0)…
Allons-nous accepter la position paternaliste du président Ben Ali ?
Le problème est : si nous testons ce que propose Ben Ali, nous allons perdre de l'élan.
Pour clarifier: التـّــحوّل 2.0 signifie que le président fait sa propre révolution, sur son propre gouvernement ! Pas nous ! #sidibouzid

L'un des points majeurs retenus du discours de Ben Ali a été sa promesse de libéraliser l'accès à Internet. Quelques heures seulement après l'allocution, de nombreux témoignages sont venus confirmer l'accès à quelques-uns des sites auparavant censurés. Nawaat.org [15], un blog collectif et indépendant, a joué un rôle-clé dans la diffusion d'informations et de documents numériques sur les manifestations en Tunisie  en mettant en ligne quotidiennement des contenus multimédia à destination du public et des médias internationaux. Nawaat (@nawaat [16])envoie ce tweet [17] :

Nous confirmons. La censure illégale de Nawaat est levée pour ce soir. Youtube et dailymotion également.

Mais, un peu plus tard, @nawaat livrait une réflexion [18] sur la liberté de la presse en général :

RT @walidsa3d [19] La liberté de la presse ne rime pas avec démocratie, regardez l'Algérie et l'Égypte #sidibouzid

Par la suite, plusieurs témoignages ont confirmé l'accès retrouvé à YouTube et Daily Motion. Mais Sami Ben Romdhane (@404samiTunis) a rappelé à ceux qui le suivent sur Twitter quelles étaient les raisons des manifestations. Il écrit [20] :

Je rappelle à mes followers que ni Bouazizi ni les autres victimes ont donné leur vie pour accéder a YouTube ou DailyMotion!

Kais (@kais_be [21]) est d’accord [22] avec lui :

fermez Youtube ouvrez Carthage (NdT : le palais présidentiel)  #free #sidibouzid

Yassine Ayari (@yassayari [23]) également [24] :

Je n'abandonnerais pas ma liberté pour Youtube #sidibouzid

Le discours de Ben Ali à peine terminé, des reportages de la télévision tunisienne ont montré des gens sortis partager leur joie dans les rues, à grand renfort de coups de klaxon, exprimant leur satisfaction et leur appui aux promesses du Président.

Certains se sont immédiatement interrogés sur la spontanéité d'un tel débordement d'enthousiasme. Lina Ben Mhenni (@benmhennilina) écrivait [25] ainsi :

tous les gens sur l avenue ont la mm pancarte et la mm photo de zaba.quel hazard!

Le journaliste et commentateur Hasan Almustafa (@halmustafa [26]) confirmait [27] [en arabe] les doutes de Lina :

@halmustafa: مراسلة فرنسا 24 من تونس: هنالك من يشير إلى أن كثيرا من الذين نزلوا للشارع محفلين، هم من أعضاء الحزب الحاكم #SidiBouzid

Le correspondant de France 24 à Tunis : selon certaines sources, beaucoup de ceux descendus dans la rue sont membres du parti au pouvoir #SidiBouzid

Par la suite, @halmustafa a ajouté [28] [en arabe] :

الشابي يقول إن هنالك مظاهرات منددة خرجت في القصرين، منتقدا عبر شاشة فرنسا 24، خطاب الرئيس بن علي، والوزير العبيدي #sidibouzid

Chebbi (leader d'opposition) a déclaré sur France 24 qu'à Kasserine, il y avait des manifestations condamnant le discours présidentiel et les propos du ministre al-Obeidi.

Trois heures après l'allocution présidentielle, Twitter a relayé la confirmation de la libération de deux blogueurs tunisiens engagés, Slim Amamou, contributeur de Global Voices et Azyz Amami. Le premier tweet [29] de Slim Amamou a été :

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