Que feriez-vous si quelqu’un vous demandait des conseils sur son parcours professionnel idéal et que vous sentiez que ce n’est pas le meilleur choix pour lui ? Comment doit-on faire face à cette situation ?
Voici est un commentaire riche en réflexion d’un blogueur anonyme en réponse à un article [en japonais] dans lequel une lycéenne, intéressée par suivre une carrière dans le dessin, que ce soit de l’illustration, de l’animation, ou du manga, demande des conseils au réalisateur de série d’animation Tomino Yoshiyuki. Yoshiyuki est d’accord avec ses parents sur le fait que la jeune fille doit aller à l’université et trouver un travail en tant qu’office lady car la seule volonté ne suffit pas à réussir dans ce milieu ; à moins que, bien sûr, elle ne soit prête à s’engager corps et âme et qu’elle ait les compétences, la détermination et la maturité pour effectuer un travail difficile.
Ceci est la traduction en français de l’article « Faire renoncer quelqu’un à son rêve » (夢を諦めさせる).
Comme je suis quelqu’un qui fait en sorte de mener sa vie en tant que dessinateur indépendant, des étudiants portant un intérêt pour le dessin me posent parfois des questions. Ils me disent : « j’aimerais devenir dessinateur ». Dans la plupart des cas, mon intuition me dit qu’ils n’ont pas les qualités nécessaires, mais comment suis-je supposé exprimer cela, comment suis-je supposé leur dire qu’ils doivent renoncer à leur rêve ? On se doit d’être extrêmement prudent avec les mots que l’on utilise lorsque l’on parle de ce genre de chose.
Je me pose donc la question suivante : comment dire ceci à un jeune en âge d’aller au lycée sans – dans la mesure du possible – heurter sa sensibilité ?
En toute honnêteté, les individus qui choisissent de vivre de ce qu’ils aiment faire sont en fait un peu fous. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont stupides. En effet, la majorité d’entre eux sont intelligents. Qu’ils soient animateurs ou mangakas, le fait est que la majorité d’entre eux gagneront à peine assez d’argent pour payer les factures, tout en travaillant dans des conditions de travail scandaleuses. Si vous réfléchissez avec logique à cela, cela ne fait aucun doute que des individus qui évitent les risques et choisissent un travail ordinaire finissent par vivre une vie plus épanouie. Néanmoins, les personnes qui suivent ce genre de parcours sont si dévouées qu’elles perdent même la capacité de se rendre compte de cela.
Par conséquent, dès que j’entends des gens me dire « je pense devenir ceci ou cela », je sais déjà qu’ils ne sont pas faits pour cela. Ils sont simplement trop rationnels pour ce parcours professionnel. Même s’ils ont effectivement trouvé un poste, ils continueront de se questionner sur le bien-fondé de la voie qu’ils ont choisie, et ils ne réussiront pas. Devant un chemin semé d’embûches, la personne qui hésite et a moins envie a-t-elle la moindre chance face à la personne qui fonce sans hésitation ? Vous pouvez deviner si un individu possède cette sorte de détermination rien qu’en le regardant.
Ceux qui disent « je veux devenir ceci ou cela, mais je ne sais pas comment m’y prendre » ne sont pas non plus faits pour cela. Les individus qui réussissent, quelque soit le domaine choisi, ont l’étonnante capacité de connaître objectivement leurs propres qualités, et en plus d’identifier leurs points faibles, ils peuvent analyser leur espace professionnel et savoir avec certitude ce qu’ils doivent faire. Je pense que l’on peut même appeler cela l’instinct. Veuillez m’excuser, mais je trouve vraiment triste que les personnes autour de cette lycéenne n’aient pas été capables de lui faire comprendre qu’il ne suffit pas d’être un génie du stylo, mais plutôt d’avoir cette capacité d’introspection. (Et bien, cela paraîtra probablement comme une contradiction, mais je pense aussi que ce qui constitue un artiste talentueux est sa capacité à voir les choses autour de lui de manière objective).
Tout bien considéré, il est aisé de lui dire « tu es encore jeune et tu as une multitude de possibilités qui s’offrent à toi. Fais de ton mieux ! ». Cependant, si j’étais son professeur, je lui recommanderais d’obtenir un poste salarié « d’office lady ». C’est peut-être ça la vraie gentillesse. S’ils sont faits pour cela, ils doivent suivre leur parcours sans tenir compte des dires des autres. Pour les étudiants qui n’ont pas cette lueur d’esprit, je considère que c’est la responsabilité de l’enseignant de les aider à voir la réalité en face au lieu de les encourager à miser sur de maigres chances.
(Notes additionnelles)
Je suis très heureux d’avoir tant de retours à propos de mon commentaire provocateur. Je vous remercie. J’ai lu tous vos commentaires et vos messages sur Twitter. Il y avait plus d’opinions favorables que je ne l’avais imaginé, mais globalement, vous étiez divisés en deux camps. Je trouve que cela montre à quel point ce problème est complexe, et qu’il n’est pas possible de donner unilatéralement la bonne réponse. Certains d’entre vous ont cité des musiciens et des chefs d’orchestre, et je peux concevoir que ce sont des milieux très concurrentiels et impitoyables également.
Comme j’ai écrit d’une façon contrariante pour certains qui suivent déjà ce chemin, il y a eu quelques commentaires passionnés. Rester en phase avec soi-même et son rêve est un parcours jalonné de défaitistes et de tentations qui poussent à emprunter l’échappatoire. Le temps est trop précieux pour s’indigner du manque de compréhension de la part de vos amis et de votre famille, de se sentir mal à l’aise à cause d’un article d’un blog anonyme et froid ! Gardez à l’esprit que chacun d’entre nous vit avec ses incertitudes.
De plus, le débat à propos de la difficulté des emplois « ordinaires » est si évident que je ne vais pas répondre à cela ici. Bien sûr que ça l’est.
Dire les choses comme celles-ci ou non à une personne en tête-à-tête est une situation compliquée, et c’est un peu lâche de ma part de parler de cela après avoir écrit mon article, mais personnellement, je mettrais de la distance avec les personnes qui exposent leur rêve ainsi. On peut dire certaines choses car c’est de façon anonyme et sur Internet, et les individus qui me critiquent en écrivant que je rejette l’existence des rêveurs devraient encore y réfléchir. C’est une suggestion sur la façon dont je conseillerais quelqu’un de renoncer à son rêve.
Un point de vue ordinaire mais juste est de laisser les gens poursuivre leur rêve et voir par eux-mêmes, si les rêveurs ont du temps. Un appel à s'éveiller à la réalité, pour ainsi dire. Le reste ne tient qu’à eux, soit continuer, soit renoncer. C’est votre vie, souvenez-vous-en !
Cet article a été tout d’abord écrit par Chris Salzberg, puis par Ziggy Okugawa, et conclu par Tomomi Sasaki. Merci à toute l’équipe.
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