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France : Notre encombrant ex-ami, Monsieur Ben Ali

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, France, Tunisie, Manifestations, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Politique

On a enfin compris. Après des décennies d’amitié d'Etat avec le régime de Zinabidine Ben Ali et d'indifférence de la part des hommes politiques et des médias généraux français, les blogueurs et twitteurs français ont désormais pris conscience que la France vivait dans un état prolongé de déni. Voilà le silence assourdissant du gouvernement français et sa longue complicité avec le régime Ben Ali enfin remis en question.

Nicolas Sarkozy and Zinedine Ben Ali lors d'une visite d'Etat, sur le tarmac de Tunis, en 2008 (capture d'écran de la vidéo officielle)

Dans la soirée du 14 janvier, alors qu'éclatait la nouvelle que le président déchu Ben Ali et sa famille fuyaient la Tunisie après des manifestations massives dans la capitale Tunis, et un mois de répression sanglante [1], le gouvernement français publia une déclaration affirmant qu'il “prenait acte” de cette “transition constitutionnelle” puis retomba dans le silence qui lui tenait lieu de stratégie depuis des semaines. L'opinion française comprit que l'Elysée se trouvait dans un grand embarras. Des informations émergèrent d'abord sur Twitter selon lesquelles des membres de la famille de Ben Ali avaient atterri en France au courant de la journée.

rosselin [2] #mickeys [3] #pathetique [4] RT @mathieuge [5]: une partie de la famille Ben Ali refugiée à Disneyland 

On s'est ensuite attendu à ce que M. Ben Ali demande l'asile en France, et il s'est avéré qu'il avait bien tenté de chercher refuge en France, mais qu'il avait été acheminé (en Arabie Saoudite) par ses anciens amis en raison de l’ “agitation dans la diaspora tunisienne” qu'aurait pu causer sa présence. Un unique tweet [6] est paru sur le compte Twitter de l'Elysée au courant de la nuit – témoignant du profond embarras et du chaos diplomatique total :

#Tunisie : La France répondra à toutes les demandes des autorités tunisiennes sur les avoirs tunisiens en France

[7]

L'itinéraire de l'avion de Ben Ali, selon La vie en rose sur Facebook, via le blog Albab

Louis Calvero [8] [8]sur Le post souligne à présent la calamiteuse gestion” [9] de la “crise tunisienne” par les autorités françaises :

On connait l’arrogance de la France, toujours prompte à expliquer l’Amérique à Obama, l’Europe à Barroso, et la vie à n’importe qui. Pourtant là, alors que Washington convoquait l’ambassadeur tunisien et que le monde clamait son inquiétude, Paris se taisait.

Il y a pire. Alors que les manifestations s'amplifiaient en Tunisie, les ministres et anciens ministres français [10] continuaient à soutenir Ben Ali et ses réalisations. La diplomatie française a commis une déclaration honteuse le 11 janvier, que les Tunisiens ne sont pas près d'oublier, et qui a fini par secouer l'opinion des Français, enfin attentifs à l'attitude de leur gouvernement.

Michèle Alliot-Marie, French foreign minister, Photo Wikimedia

Dans cette vidéo [11], Michèle Alliot-Marie, Ministre des Affaires étrangères, s'exprimant officiellement devant l'Assemblée Nationale, déclarait que la France était prête à “offrir une assistance technique” et ” le savoir-faire de la police française à la police tunisienne” [12] .

L'arabe, un blogueur français d'origine tunisienne écrivant sur C'est la gêne [13], l'a parfaitement traduit le lendemain :

En gros, vouloir prêter main forte au régime de Ben Ali, c’est comme de dire qu’on va aller filer un coup de main, comme ça, entre voisins, à un tueur en train de dépecer sa victime dans une allée, en bas de l’immeuble.

Les commentaires scandalisés se sont accumulés depuis par centaines, comme celui-ci, sur le blog de l'animateur radio [14] Jean-Marc Morandini :

Quelle déconnexion inouïe avec la réalité du terrain, à moins que cela ne soit de l’expression d’une incompétence coupable. Ou d’un cynisme incommensurable.

Le réalisateur Karim Miské, sur Respect [15], voit dans ces dérapages un “inconscient colonial” qui

abîme durablement l'image de la France car, n'en doutons pas, le Maghreb de demain se souviendra de cette succession de déclarations scandaleuses.

Dans ce “jour d'après” de la chute de Ben Ali, les choses s'accélèrent. Les twitteurs français défient maintenant directement les comptes Twitter de l’ [16]Elysée [17] et du Ministère des Affaire s étrangères [18], qui sont devenus tous deux  silencieux sur la Tunisie.

Un groupe Facebook français, Mur de la Honte Ben Ali [19], s'est créé et croît rapidement, dédié à tous les personnages politiques et personnalités qui ont soutenu Ben Ali, et invite ses membres à poster des preuves (photos, vidéos, citations). Une vidéo [20] du discours de Nicolas Sarkozy lors d'une visite d'Etat de 2008 l'y montre nommé citoyen d'honneur de la capitale Tunis :

“Il m'arrive de penser que certains sont bien sévères pour la Tunisie

Dominique Strauss Kahn, président actuel du FMI et candidat possible à l'élection présidentielle française de 2012, peut être entendu vantant les brillants progrès économiques de la Tunisie lors d'un entretien à la télévision publique tunisienne, dans cette vidéo re-publiée par Rue89 [21]:

Anticolonial.com a mis en ligne sur YouTube une vidéo [22] du discours inaugural du Président Sarkozy, lui faisant écho :

A tous les peuples opprimés du monde, nous serons à vos côtés…”.

Hazem Berrabah a mis en ligne  sur son compte Facebook le montage vidéo de son cru intitulé ” Nous n'oublierons jamais que la France a soutenu Ben Ali jusqu'à la dernière minute [23]“,  où le président Sarkozy déclare :

Je ne soutiendrai aucun dictateur dans le monde

Le blog satirique Backchich, l'un des premiers à dénoncer la rapacité de la famille Ben Ali, avait listé les magnats français de la politique ou des médias [24] qui appuyaient le régime Ben Ali et faisaient des affaires avec lui, et a publié un livre sur “Notre ami Ben Ali [25].” Un autre supporter précoce des blogueurs tunisiens, Fabrice Epelboin, rédacteur en chef de ReadWriteWeb France [26] a rallié les technophiles français dans sa lettre ouverte [27] au Ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand, qui définissait début janvier le régime tunisien comme “pas une dictature à proprement parler”.

Les télévisions françaises recourent maintenant à Catherine Graciet pour rassembler les maigres archives sur les relations franco-tunisiennes. Elle a collaboré à un livre peu remarqué jusque là sur l'épouse de Ben Ali, La Régente de Carthage [28], qui dépeignait en 2009 la mise en coupe réglée de l'économie tunisienne par la famille de celle-ci [extraits en français ici [29]], confirmée par la suite sur Wikileaks [30] par le télégramme secret de l'ambassadeur américain en Tunisie. [vidéo en arabe [31]]

Les dessinateurs Maesterbd [32] et Lindingre [33] s'en donnent à cœur joie.

Et sur Daily Motion, cette vidéo représentant Ben Ali et Sarkozy dansant enlacés sur la musique de “Endless love” (‘Amour éternel’) :


Sarkozy et Ben Ali ” The Endless Love ! “ [34]
envoyé par unknown003 [35]. – Regardez d'autres vidéos de musique. [36]

Tandis que le tag Révolution de Jasmin fait un tabac sur les médias traditionnels en français, Olivier rappelle aux rédacteurs et éditorialistes dans un commentaire que c'était la formule de Ben Ali [37] lors de sa prise du pouvoir en 1987. Luc Rosenzweig, sur Causeur, conseille aussi aux chroniqueurs politiques français de ne pas abuser de leur nouvelle rengaine, le “Ceaucescu des sables” (Ben Ali), après s'être tus pendant des années, dans son billet “Qu'il est doux de piétiner le vaincu [38]“.

Pendant ce temps, nombre de blogueurs tunisiens habitant en France ont écrit des articles émouvants,  pour la première fois sous leur nom véritable, comme Chaker Nouri, dans Le Ceaucescu de Carthage est enfin parti [39]. Si grande était leur peur que des critiques exprimées sur le web français puisse nuire à leur famille en Tunisie. Chaker est fier, soulagé, mais pas heureux :

Ma joie n’est pas totale. Ce qui me frappe c’est le contraste entre la réaction de la diaspora tunisienne et les Tunisiens du pays. Les premiers célèbrent le départ du despote et les seconds craignent le désordre ambiant.

Très loin de là, dans une autre partie de l'ancien empire colonial français, en Afrique de l'Ouest, un blogueur africain [40] rêve tout haut :

Bonne nouvelle! On peut rêver la même chose pour notre pauvre pays le congo-B livré au clan de mpila comme l'était le clan ben ali-trabelsi.Bien sûr, c'est gartuit de rêver!
Pourtant le bilan de ben ali est largement superieur à celui de Sassou et son clan!

Nawaat.org [41], le site d'information tunisien indépendant créé en 2004 par des dissidents, a vu le nombre de ses lecteurs monter en flèche de 4 000 à 12 000 en à peine une semaine, et reste la hot line [42] à qui font confiance les blogueurs tunisiens et français pour des informations vérifiées et en contexte sur la situation en Tunisie, en français, arabe et anglais.