- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Le Moyen-Orient analyse la révolution tunisienne

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Algérie, Arabie Saoudite, Bahreïn, Israël, Syrie, Tunisie, Médias citoyens, Politique

(Le billet d'origine en anglais est paru le 19 janvier)

(liens en anglais) Tandis que les Tunisiens sont toujours aux prises avec les événements accélérés de ces derniers jours, la chute de Zine El Abidine Ben Ali et sa fuite, les blogueurs arabes poursuivent et partagent leurs réflexions sur la révolution tunisienne et sa signification pour le reste de la région.

Le Syrien Abou Kareem, de Levantive Dreamhouse, explique ce qu'il y a de ‘stimulant’ dans la révolution tunisienne pour ses voisins arabes. Voilà ce qu'il écrit [1]:

C'est peut-être sa spontanéité, son absence de chefs désignés qui lui donnent l'air d'une authentique révolution populaire et non d'un coup d'état à motif idéologique destiné à servir les désirs d'un électorat étroit. Il est facile en tant qu'Arabe de se résigner au fait que les systèmes politiques stagnants et sclérosés sont immuables. C'est exactement cet état de désespérance et d'inertie que la plupart des dirigeants de la région s'efforcent d'instiller dans leurs peuples. ll tue l'espoir, empêche le progrès et maintient les dirigeants au pouvoir. J'espère donc que les dirigeants de toute la région vont prendre note et qu'un frisson glacé leur court l'échine pendant qu'ils observent la suite des évenements à Tunis ; cela leur fera peut-être reconsidérer leurs méthodes.

Le Bahraini Emoodz a rompu son silence de blogueur pour crier [2] VIVE LA TUNISIE !

Il note :

J'ai suivi avec beaucoup d'excitation le déroulement des événements en Tunisie ; en toute honnêteté j'avais très peu d'espoir que les choses évoluent et en arrivent au point d'aujurd'hui. Je peux chercher autant que je veux, je n'arrive toujours pas à comprendre comment les Tunisiens ont pu renverser un régime en un mois.

Emoodz d'ajouter:

Il y a toute cette impression d'excitation qui fait le tour du monde arabe sur ce qui s'est passé, soudain les agences d'information et les politologues expliquent que la Tunisie n'est que le début de ce qu'on annonce comme un effet domino appelé à s'étendre aux autres gouvernements arabes dans la région, ce que je crois hautement improbable…

Dans un billet [3]intitulé Tunisie, dis que nous nous trompons, Saudi Hala_In_USA pose ces questions :

Par la suite, tous les yeux du monde arabe se tournent vers la Tunisie, est-ce que ce serait un nouveau commencement d'une démocratie sans précédent [4] pour le Moyen-Orient ? attirant d'autres pays à suivre l'exemple ? ou tomberait-elle sous la coupe des islamistes [5] ou des hommes du même vieux Ben Ali [6] sous d'autres noms ?

Et elle exprime son anxiété :

J'ai des sentiments mêlés à cet égard, et partage les craintes de Robert Fisk de l'affreuse vérité [7], que les pays de la région tout comme en Occident ne soutiendront probablement jamais une démocratie véritable en Tunisie, de peur qu'il en sorte des effets défavorables, que les gens au pouvoirs n'acceptent que des Etats arabes soutenant les intérêts occidentaux, la haine pour l'Iran et un contrôle resserré de leur peuple… Je n'en crois pas moins que les Tunisiens ont bien retenu les leçons de l'oppression et des corruptions, qu'ils n'oublieront pas facilement le corps en flammes de Bouazizi [8], ils se souviendront toujours des jours d'oppression, de pauvreté et de pénurie amenés par le régime totalitaire, mon espoir est que la Tunisie ouvre la voie à une nouvelle ère, pour voir la justice et vivre pour la première fois un gouvernement du peuple, pour montrer que nous nous trompons, et prouver que les gens ont bien le choix, qu'ils peuvent avoir le choix et se construire un meilleur avenir…

L'Américain-Algérien Kal, qui écrit sur The Moor Next Door, partage ces appréhensions, et note [9] :

Le cas tunisien, avec toutes ses particularités (l'héritage de Bourguiba, la laïcité, le niveau élevé d'éducation et de droits des femmes) représente une nouveauté dans la politique arabe à laquelle les observateurs doivent continuer de prêter attention. Au départ les événements de Sidi Bouzid étaient minimisés comme des émeutes du pain et non pas appréciés pour la tournure qu'ils allaient prendre. Ce blogueur était prudent, essentiellement pour la même raison que les autres : des choses pareilles n'étaient pas supposées se produire dans des pays comme la Tunisie. Ce qui a été écrit ici pendant le soulèvement ne l'a été que parce que cela arrivait au Maghreb (et parce que cela paraissait . . . étrange). Ce serait vraiment triste, si toute la peine que les Tunisiens ont mise dans leur intifada était confisquée par les vieux du parti et de l'armée pour se remettre en selle avec des comités ou des hommes forts, comme cela a été le cas tant de fois auparavant. La question demeure : qu'est-ce qui sera fait ?

D'Israël, Yael, sur Life in Israel, prédit [10] que l'Egypte pourrait être la prochaine :

Il y a peu de chances, du moins dans l'avenir immédiat, que les événements de Tunisie –la première chute d'un régime autocratique dans le monde arabe à la suite d'un soulèvement populaire à avoir des implications pour toute la région – enclenchent un effet domino de révolutions et de renversements de régimes dans les autres pays du voisinage. Mais la quasi-totalité des spécialistes conseillent de suivre de très près l'Egypte parce qu'il est tout à fait que celle-ci soit la prochaine à suivre.

Elle poursuit :

Les masses arabes (pas seulement en Afrique du Nord, aussi au Levant et dans la péninsule arabique) ont suivi la chute du régime tunisien coup après coup, créant la possibilité que l'opinion dans de nombreux pays trouve une inspiration dans l'expérience tunisienne. Il est trop tôt pour dire comment les choses vont se dérouler au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, chaque pays ayant son contexte unique qui déterminera sa trajectoire. Mais ce qui est certain, c'est qu'un glissement régional est à l'oeuvre, au moins dans cette mesure que les gouvernements ne peuvent plus continuer comme si de rien n'était.”

Le Syrien Qunfuz examine de plus près [11] la possibilité d'un tel “effet domino” dans la région. Il écrit :

Si effet domino il y a, il ne sera pas immédiat et n'avancera pas sans à-coups. Les conditions actuelles en Irak [12] ne permettront pas, à l'évidence, une révolution nationale unifiée contre le pouvoir. Un tel langage n'a même aucun sens. En Syrie [13] le président est raisonnablement populaire, même si le régime autour de lui ne l'est pas. Et si le président devait brutalement perdre la grâce populaire, les Syriens craignent que la révolution ne conduise à la guerre de religions et à l'intervention israélienne – deux éventualités réelles. L'Arabie saoudite [14] est trop divisée entre tribus, et de nombreuses fractions de la société sont trop aisées pour des désordres révolutionnaires. La population la plus en colère dans le royaume est la communauté chiite opprimée, mais tout ce qu'elle pourrait entreprendre se heurterait à l'opposition féroce du wahhabisme profond. Bahrain, avec une majorité chiite politisée et intelligente face une famille régnante sunnite oppressive, est un candidat plus probable au changement. L’Egypte [15] est l'inconnue. D'un côté, l'échec du régime mafieux de Moubarak est devenu retentissant. De l'autre, la plupart des Egyptiens n'ont pas le loisir de penser à autre chose que leur prochain repas. Ils ne suivent pas les événements sur Facebook ni même al-Jazeera.Et c'est une quasi-certitude que toute tentative sérieuse de révolution populaire se traduirait par des milliers de morts. (Mais cela peut jouer dans les deux sens – rien de tel pour engendrer une révolution qu'une série de funérailles. Voir la photo d'Ali Farzat ci-dessus.)

Peut-être que dans six mois les commentateurs non arabes jugeront que la révolution tunisienne était une simple anomalie dans un monde arabe voué à une stagnation éternelle. Mais ils se tromperont. La révolution exercera une contagion à long terme à travers toute la culture arabe, comme l'a fait avant elle la révolution iranienne. Elle changera l'air que respirent les Arabes et leurs rêves.

Entre temps, retour à Bahrain, où Mahmood Al Yousif s'inquiète que la Tunisie puisse maintenant passer d'un extrême à l'autre. Il écrit [16]:

Je suis prêt à parier que le pendule va maintenant passer d'un extrême – dépouiller les Tunisiens d'un élément important de leur identité, la religion – à l'autre, et nous allons assister à la montée de l'islamisme et des sentiments islamistes.

Alors, qui et quoi va être sacrifié sur l'autel de l'extrémisme ? Le bon sens et la modération.

Al Yousif ajoute :

Nous avons énormément à apprendre de l’ “expérience tunisienne”, et les sages en bénéficieront le plus s'ils prennent le temps de comprendre ce qui a transpiré et essaient d'appliquer ces leçons dans leurs propres sociétés en inculquant le respect des droits humains et leurs liberté de foi, d'association, de pensée et de parole, et non en forçant les gens à avaler telle ou telle doctrine.