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Le ‘Jour de Colère’ du Liban a choqué les blogueurs

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Amérique du Nord, Etats-Unis, Liban, Dernière Heure, Gouvernance, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Religion

(Le billet d'origine a été publié le 27 janvier)

[liens en anglais] Des milliers de partisans du Premier ministre sunnite renversé Saad Al Hariri sont descendus dans la rue mardi dernier (25 janvier) en une ‘journée de colère [1]‘ en protestation contre la chute de leur chef.

Les scènes les plus violentes se sont déroulées dans la ville majoritairement sunnite de Tripoli, où les manifestants ont brûlé des pneus, des véhicules, des bureaux, et s'en sont pris aux média.

[2]

Des partisans de Hariri brûlent des affiches du leader druze Walid Jumblatt – via Mohammad Elrifai, Twitter: @moe_elrifai

M. Hariri a appelé à une journée de colère après que le Hezbollah et ses alliés ont contraint son gouvernement à la chute, et grâce à une majorité parlementaire, a manoeuvré pour former un gouvernement n'ayant pas M.Hariri à sa tête.

Si les manifestations avaient pour but de susciter le soutien à la cause Hariri, elles semblent y avoir échoué, au moins sur la blogosphère. Les blogueurs de toutes couleurs politiques ont exprimé leur consternation devant les violences et la nature ouvertement confessionnelle de la protestation.

Rita Chemaly [3] a réagi avec colère aux manifestations :

Je me suis sentie frustrée, honteuse et furieuse hier en voyant ce qui s'est passé pendant les émeutes, celles qui devaient exprimer la “colère” de certains Libanais ! Au cours du ” jour de colère” comme l'ont appelé certains.

Démolir la voiture de presse d'Al-Jazeera?!

Télé d'information, jeune femme frappée et menacée ?!

Par qui ? Le parti politique ou la force qui d'habitude revendique l'état de droit ? La soi-disant “ démocratie ”?

L'état de droit pour lequel je vis, que je défends et espère ? Un état où l'équilibre des choses est le même [4]pour tous ?

L'armée qui n'a rien fait pour empêcher la foule de brûler un bâtiment où la presse tentait de se mettre à l'abri ?

Une voiture de presse, brûlée et détruite ?

Le Liban a toujours été connu pour sa Liberté d'EXPRESSION et de pensée !!!

De nouveau des bannières confessionnelles ? Mes amis, dites-moi que ce n'est Pas vrai !!! Chiites/ Sunnites ? En aucun cas…Je refuse totalement une telle équation !

Rami Zurayk de Land and People [5] condamne le Mouvement du Futur de Hariri qui excite les querelles confessionnelles :

Dans le reste du monde arabe, on manifeste pour la liberté et au Liban on manifeste pour le chef confessionnel.

Les incidents de hier ont mis au jour le visage hideux du Mouvement du Futur et la coalition du 14 mars : un petit groupe de néo-conservateurs vêtus à l'occidentale et qui manient mielleusement le discours confessionnel le plus méprisable à fins de contrôler les masses pauvres qu'ils contribuent eux-mêmes à maintenir dans la pauvreté, et dont ils ne se souviennent que lorsqu'ils ont besoin de les dresser contre une autre confession. Pour ces gens, les êtres humains ne sont que du nombre, à la fois économiquement et politiquement.

Ghassan Karam de Ramblings [6] appelle à virer la classe politique libanaise tout entière :

Le Liban ne peut être sauvé par ceux qui ont créé le problème. C'est toute le lot actuel de politiciens qu'il faut virer. Sommes-nous à la hauteur de la tâche ? Ne retenez pas votre souffle.

AngryArab [7] relève le deux poids, deux mesures des médias occidentaux dans leur manière de relater le ‘jour de colère’ de Hariri, et le bref déploiement d'effectifs du Hezbollah dans les rues de Beyrouth la semaine dernière :

La semaine passée, les hommes du Hezbollah se sont rassemblés pacifiquement, vêtus de t-shirts noirs dans différentes parties du Liban. Ils n'ont pas parlé et sont restés une heure. La presse occidentale et Hariri y a vu une agression contre la ville et sa civilité. Observez comment la presse occidentale traitera les manifestations de voyous et de salafistes d'aujourd'hui au Liban.

Il poursuit [8] en soutenant que les manifestations ouvertement confessionnelles menées par Hariri pourraient se retourner contre lui en lui aliénant ce qui lui reste de soutien chrétien, et en poussant finalement les chrétiens plus loin dans le camp du Hezbollah :

… mini-Hariri, au lieu de faussement poser à l'homme d'Etat, a choisi de jouer voyou, et ça semble s'être retourné contre lui. Ils sont nettement embarrassés comme on en a la preuve par le discours de mini-Hariri et ils ont effarouché les alliés chrétiens de Hariri et Cie. Le général Aoun (l'allié chrétien du Hezbollah) rayonnait aujourd'hui et voici pourquoi. Les chrétiens se rappellent encore quand Hariri et Cie avait sponsorisé une manifestation salafiste il y a 4 ans (?) contre l'ambassade danoise à Beyrouth sur les caricatures danoises et qu'elle à échappé à tout contrôle, les Hariristes salafistes déchaînés attaquant églises et immeubles résidentiels.

Tandis que Mustapha sur Beirut Spring fustige [9] l'hypocrisie du Hezbollah et de ses alliés chrétiens qui se lancent dans la même approche violente que dans le passé, il critique [10] également les manifestations de mardi qui nuisent au renom de la coalition du 14 mars sous direction Hariri :

Réagissant à cela, le Hezbollah et ses apologistes Aounistes ont fait ce qu'ils savent le mieux. Ils sont montés sur une estrade, agit le doigt et commencé à nous faire la leçon sur les Sunnites qui sont des sectaires et des voyous.

Fermez-la donc. Comment pouvez-vous leur reprocher d'être en colère et de se comporter ainsi ? S'il y a une seule leçon que notre pays a apprise du Hezbollah, c'est que la violence marche.

Le Hezbollah a utilisé la violence pour assurer le veto de Doha en bloquant quasiment une ville entière pendant près de deux ans. Ils ont intimidé Walid Jumblat en agressant physiquement ses gens, et ils ont terrorisé les Beyrouthins en envoyant leurs voyous armés dans les quartiers tranquilles et ont imposé leurs volontés.

S'il y a une chose que disent ces manifestations, c'est ceci : le jeu n'est pas égal. Ceux qui ont les fusils sont ceux qui gagnent à chaque fois. Peut-être devrions nous jouer leur jeu pour une fois.

M. Hariri devrait faire très attention à surveiller ses partisans jusqu'au-boutistes. Je parle de cette sorte qui est pour la domination sunnite et dont l'idée de la manifestation est de maudire les vagins des soeurs et mères des politiciens du bord opposé.

Bien qu'ils fournissent de la piétaille sur le terrain, ils sont une menace pour la marque 14 Mars et ils risquent d'aliéner des gens comme Dana qui resteront probablement chez eux à la prochaine manifestation.

MarillionLB sur For a Better Lebanon [11] se sent aussi en sympathie avec la colère ressentie par les manifestants, mais déplore qu'elle se soit exprimée par la violence :

Je peux comprendre la colère et la frustration, mais ne peux accepter les similitudes (à part le détail des voyous armés) avec ce que j'ai condamné avec véhémence en 2008 ; les similitudes je devais les condamner. Certes “les mots blessent parfois plus que les coups” comme on dit, mais ça ne peut en aucun cas justifier de s'abaisser à leur niveau et tomber dans leur piège ingénieux. Il ne manquait que le troupeau de mobylettes, les AK47, les lance-roquettes et les uniformes de miliciens. Ça ne rend pas l'effet moins horrible et inquiétant.

[12]

L'art du graffiti à Beyrouth devient politique – par Matthew Cassel sur Yfrog (via Beirutspring.com)

Sean de The Human Province [13] apporte une analyse plus en profondeur en soulignant les défauts structurels du Liban au coeur de sa perpétuelle instabilité :

Voilà donc qui nous ramène à la question initiale de la nature du problème. On pourrait pointer le TSL, mais en réalité, ce n'est que le catalyseur. Ce pourrait aussi facilement être un autre sujet, comme par le passé, et ce sera autre chose dans le futur chemin faisant. Le problème ici est structurel. Pour se conformer au Pacte National et à l'accord de Ta’if, ce “consensus” paralysant est devenu une règle non-écrite.

Personnellement, je pense que l'idée “ni vainqueur, ni vaincu,” dont on a usé pour justifier des gouvernements immobilistes d’ “unité nationale,” est idiote — du moins quand il s'agit de politiques de coalition. Je crois que le mieux pour le Liban serait d'avoir un véritable gouvernement et une véritable opposition, signifiant que lorsqu'un côté perd, il tire sa révérence du pouvoir et laisse ses adversaires gouverner et tâche de faire mieux aux élections suivantes.

L'analyste politique Elias Muhanna de Qifa Nabki [14] se fait l'écho de cet avis en y ajoutant son soutien à une démocratie majoritaire, et à la fin de cette notion qu'un consensus doit être atteint à l'intérieur de chaque confession pour former un gouvernement.

Si je me sens proche de ceux qu'irrite l'hypocrisie des pulsions majoritaires soudaines du 8 Mars, je soutiens fermement le principe démocratique qui légitime la démarche actuelle du Hezbollah. La coalition du 8 Mars est maintenant la majorité parlementaire du Liban. Ils devraient être en droit de renverser ce gouvernement et de former le leur. Les gouvernements tombent tout le temps, partout dans le monde. Ceci devrait pouvoir se produire au Liban sans allumer de manifestations confessionnelles.

Sur une note légèrement plus abstraite, je me suis pris à me demander aujourd'hui (comme je le faisais pendant la crise constitutionnelle de 2006-2008), quel effet aurait à long terme la rhétorique pro-démocratie de la coalition majoritaire sur la culture politique du Liban. Le fait que nous ayons vu les deux côtés de la fracture politique appeler à une logique majoritaire en l'espace de six ans me paraît significatif, non ?

A l'évidence, j'aimerais voir cette nouvelle méthode de choix des premiers ministres (et présidents du parlement) être inscrite dans la Constitution, de sorte que nous cessions ce va-et-vient chaque année entre procédures consensuelles et majoritaires. Un précédent a été établi, il faut s'y tenir. Mais il est à parier que ça n'arrivera pas.

Le blogueur américain spécialiste du Moyen-Orient, Andrew Exum, met en garde sur son blog Abu Muqawama [15] contre le danger représenté par Israël maintenant que le Hezbollah a pris les rênes du gouvernement :

Je veux cependant me concentrer sur les incidences de cela sur l'aspect que pourrait prendre une nouvelle guerre entre le Hezbollah et Israël. Israël, depuis la fin de la guerre civile libanaise, a toujours tenu le gouvernement du Liban responsable des actions du Hezbollah. Dans l’ “opération Justice Rendue,” de 1993, par exemple, Israël a affirmé qu'il bombardait le Sud-Liban en partie pour contraindre les gouvernements syrien et libanais à réfréner le Hezbollah. (Pourquoi les Israéliens pensaient-ils que Hafez al-Asad se souciait des gens qui mouraient au Sud-Liban, cher lecteur, c'est aussi mystérieux pour moi que pour toi.) Dans l’ “opération Raisins de la Colère” de 1996, entre temps, Israël nous a effectivement donné un avant-goût de la guerre de 2006 en ciblant Beyrouth et les infrastructures libanaises (comme les centrales électriques), encore une fois dans une tentative d'amener le gouvernement du Liban à sévir contre le Hezbollah.

Mais l'habitude d'Israël de frapper Beyrouth devient un petit peu moins insensée chaque année. En 1993 et 1996, ça n'avait pas de sens de viser le gouvernement du Liban. Arrivés en 2006, toutefois, le Hezbollah était dans le gouvernement du Liban — ou détenait du moins des sièges au parlement. Et maintenant, le Hezbollah a formé son premier gouvernement au Liban, ce qui — et Paul Salem a raison là-dessus — rend probablement le mouvement un peu nerveux. Il y a d'énormes risques associés. Dans une nouvelle guerre, par exemple, Israël pourra affirmer — vraiment pour la première fois — que le Hezbollah est le Liban, et le Liban est le Hezbollah. Puisque le Hezbollah contrôle le gouvernement, toute attaque contre les institutions de l'Etat — y compris les forces armées libanaises équipées par les Etats-Unis — sera légitime. Et même les gens comme moi, qui aiment sincèrement le Liban et son peuple et n'aiment les voir bombardés ni l'un ni l'autre, n'auront guère d'argument à opposer aux raisons qu'aurait Israël de le faire.

Le calme est revenu au Liban au lendemain de ces scènes détestables, mais le pays retient son souffle devant ce qui l'attend.