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Egypte : un blogueur de Global Voices raconte les journées précédant les violences

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Egypte, Droits humains, Gouvernance, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Tarek Amr [1], un blogueur de l'équipe de Global Voices Égypte, n'avait plus accès à Internet depuis le  26 janvier,  jour où le gouvernement égyptien a obligé la plupart  des fournisseurs d'accès à Internet [2] à fermer.
Le 2 février, quand l'accès à Internet a été rétabli [3], il a pu raconter [4] en ligne [en anglais] :

Je n'ai pas participé au premier jour de la révolution. J'avais un peu peur, j'étais à moitié convaincu que ça puisse changer quelque chose, et aussi, je préfère suivre ce genre d'événements sur Twitter et Facebook à y participer directement.

[5]

Tarek durant un séjour récent à Londres

Cependant, quand Internet a été coupé, Tarek a décidé de participer. Il explique :

Deux jours plus tard, le gouvernement a coupé les téléphones mobiles, Internet, les Blackberry, et tous les moyens de communication. Ils croyaient que ça allait empêcher les gens de communiquer et d'organiser d'autres manifestations. Mais ce qui s'est passé, c'est que ce  black out de l'information [6] m'a motivé – ainsi que des milliers d'autres personnes – à descendre dans la rue et à participer aux manifestations du “Vendredi de la colère”.

Tarek résume ce qui s'est passé pour lui à partir de ce vendredi 28 janvier, le “Jour de la colère”:

A nouveau, les brutalités de la police ne se sont pas  arrêtées. Balles en caoutchouc, gaz lacrymo, et même des balles réelles ont été tirées dans différentes villes en Égypte. Ils faisaient tout leur possible pour empêcher les manifestants de traverser les ponts et de rejoindre la place Tahrir. On a essayé de passer par différents ponts, dans différents quartiers, mais nous nous sommes trouvé face au même barrage de la police, jusqu'au moment où le couvre-feu a été annoncé, et j'ai préféré rentrer chez moi, comme beaucoup d'autres.

[7]

"Moubarak, vole loin d'ici !" Photo de Tarek Amr.

Il éprouvait un sentiment partagé par beaucoup d'Égyptiens : celui de l'expectative.

Au cours des trois jours suivants, toutes les forces de sécurité et la police ont disparu des rues. Les manifestants campaient sur la place Tahrir, et appelaient à la marche du million, un million de personnes dans les rues, le mardi. Les gens chez eux vivaient dans la terreur, ils s'armaient de bâtons et des couteaux chaque nuit et passaient leurs nuits à surveiller leur maison et leur magasin.  Les gens nettoyaient les rues tous seuls aussi, et protégeaient des bâtiments du gouvernement et de l'Etat. Pendant ces trois jours, chaque visite qu'on faisait à la Place Tahrir laissait penser que Moubarak aurait déjà du faire ses bagages et quitter le palais de la présidence, alors qu'un seul coup d'œil à la télévision nationale vous faisait croire qu'il se préparait à rester trente ans de plus au palais.

[8]

Photo des rues du Caire par Tarek Amr

Tarek parlait aussi de l'incertitude qui était la sienne après une semaine de soulèvement au Caire, sa ville natale :

Et une fois de plus, j'ai eu droit aux montagnes russes de Moubarak. J'étais content après son discours. Même s'il n'a pas démissionné, il avait promis de ne pas se présenter à l'élection présidentielle et promis aussi de laisser le parlement amender les articles de la constitution qui n'autorisent que les membres du parti NDP ou les candidats approuvés par lui à se présenter à l'élection.  Mais un peu plus tard, j'ai commencé à me demander si ce n'était pas juste une manœuvre du président…

Il concluait (le 2 février) :

Je suis toujours perdu. Je n'arrive pas à comprendre si les manifestants ont réussi à obtenir une partie importante de leurs revendications, ou si la révolution a été étouffée. Je ne suis pas le seul à m'interroger ici, beaucoup de manifestants sont perdus eux aussi.  Certains disent qu'il faut rester et appellent à d'autres manifestations, d'autres demandent aux gens de rentrer chez eux et d'arrêter complètement de manifester. Rien n'est clair encore, mais je suis sûr d'une seule chose, l'Égypte a changé. Je me souviens encore de cette pauvre dame que j'ai rencontré sur la place Tahrir, elle a dit quelque chose qui résumait tout par quelques mots simples. Elle m'a dit :  “Il y a deux jours, j'étais terrifiée par n'importe quel policier, et aujourd'hui, voilà que je manifeste ici contre le chef de l'État”.