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Ukraine : Les blogueurs diffusent l'information sur la répression politique

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Ukraine, Cyber-activisme, Droit, Droits humains, Economie et entreprises, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique

Vingt ans après l’indépendance [1] de l’Ukraine [en anglais comme tous les liens de cet article, sauf mention contraire], une génération a grandi qui ne voit en l’URSS [2] [en français], avec sa répression de toute dissidence et son système de crainte généralisée, rien d’autre qu’un terme des manuels d’histoire. Une récente vague de répression politique qui a commencé en Ukraine en 2010 a toutefois déclenché des comparaisons fréquentes avec la passé totalitaire du pays.

L’arrestation de membres du gouvernement de l’ancienne Premier ministre et leader actuel de l’opposition Ioulia Tymochenko [3] [en français] a commencé après moins d’un an de présidence de Viktor Yanoukovytch [4] [en français]. Parmi les personnes accusées de corruption [5] figurent dix de ses conseillers, un ancien Ministre de l’Intérieur et un leader du parti de l’opposition, Youriy Lutsenko [6]. Quant à Ioulia Tymochenko elle a été empêchée de se rendre à Bruxelles dernièrement [7], du fait d’une enquête en cours.

En plus des membres de l’ancien gouvernement et des chefs de l’opposition, la liste des professions qui sont désormais à risque inclut les militants de la société civile, les hommes d’affaires, les journalistes, les blogueurs et même les écrivains. Cette tendance a incité certains analystes à parler d’une répression systématique à l’encontre des contestataires [8] plutôt que d’une large campagne anti-corruption lancée [9] par le Président actuel.

Tandis que les médias couvrent largement les enquêtes sur les anciens membres du gouvernement et de l’opposition, les reportages sur les nombreuses arrestations et la pression sur l’homme de la rue sont quant à eux sporadiques. En fait la chronologie de la plupart des répressions politiques à l’encontre de « citoyens lambda » a été tentée par des blogueurs, des journalistes indépendants et des cyber-activistes.

Parmi les pionniers de cette tentative figure la journaliste devenue blogueuse Diana Makarova (nom d’utilisateur LJ (Livejournal) diana-ledi). Le 21 janvier 2011, elle a rassemblé les informations disponibles et est arrivée à une liste plus de 40 personnes qui avaient été incarcérées ou avaient subi des pressions depuis décembre 2010. Parmi elles figurent des participants aux contestations fiscales [10] 2010 des hommes d’affaires, accusés de nuire à la propriété de l’état, 15 militants de l’organisation nationaliste « Tryzub” (accusés d’avoir fait sauter un monument à la mémoire de Joseph Staline installé illégalement), des activistes du parti “Svoboda” (mêmes accusations), l’écrivain ukrainienne Maria Matios, la rédactrice en chef et poétesse Marina Bratsylo ainsi que son époux Youriy Noga (chefs accusations flous), la blogueuse Olena Bilozerska (cf. le billet [11] de GV), le responsable d'une délégation régionale du parti “Légitime Défense des Citoyens” (chefs accusations flous), et un étudiant en histoire de Zaporizhzhya lié à aucun parti politique, Edouard Andryoushchenko (nom d’utilisateur LJ did-panas23), qui avait recueilli pour sa thèse des informations sur les mouvements nationalistes ukrainiens.

Voici ci-dessous quelques extraits traduits de la chronologie parue [12] sur le blog de Makarova [en russe] :

Le 10 décembre 2010, arrestations d’hommes d’affaires impliqués dans l’organisation des [Protestations Fiscales] ONT COMMENCÉ. Les accusations comprennent les dégâts commis sur des carreaux en marbre là ou leurs tentes avaient été montées. A Kiev, un participant aux [protestations] des hommes d’affaires, Sergei Kostakov, a été placé en détention. Durée de la peine : deux mois. La cour a statué sans la présence d’un avocat.

[…]

10 janvier 2011. 15 membres de “Tryzub” ont été incarcérés. […] Il n’est pas possible de rentrer en communication avec les personnes arrêtées et de savoir où elles sont détenues, l’on a empêché leur famille et leur avocat de leur rendre visite, rien ne peut être remis aux détenus.

[…]

Presqu’au même moment […] Edouard Andryoushchenko, qui n’a aucun lien officiel avec “Svoboda” ou “Tryzub”, était arrêté. Après trois jours d’interrogatoires, le [jeune homme] était relâché. Mais la police l’attendait à la sortie. Après sa seconde arrestation Edouard Andryoushchenko a disparu. La police a gardé secret le lieu pendant près d’une semaine.

[…]

13 janvier 2011. Quatre membres de l’organisation “Tryzub” (Philip Taran, Roman Khmara, Sergei Borisenko et Rostislav Vinar) ont été transférés de [Ivano-Frankivsk [13]] à [Zaporijia [14]] (soit disant pour les raisons de l’enquête). Vasily Labaichouk est déjà là-bas. Suite à cela, leur devenir demeure inconnu malgré les recherches au [Service de Sécurité de l’Etat], dans les zones de détention, etc. On a interdit aux familles et à leur avocat de rendre visite aux détenus.

[…]

17 janvier 2011. On a retrouvé Roman Khmara. Il est détenu au département de police de district Leninskiy. Il a été battu par des membres de la police de Rohatynskyi ; depuis le jour de son arrestation, son avocat n’a pas été autorisé à lui rendre visite, son état de santé nécessite un traitement médical.

[…]

20 janvier 2011. [Tchernivtsi [15]]. Détention brutale de la femme d’affaires Lidiya Gaina, l’une des participantes des [Protestations Fiscales]. Appelée à comparaître en tant que simple témoin devant la police, elle s’est retrouvée au tribunal sans aucune explication. Résultat d’une telle détention, cette femme a fait une crise d’asthme et souffre de problèmes cardiaques. […]

D’autres blogueurs qui ont tenté de diffusé des informations, y compris l’utilisateur de LJ situé à Kiev ax-attilla, qui a communiqué la liste [16] [en ukrainien] des militants d’organisations nationalistes arrêtés, Yevgeniy Novitskyi de Simferopol (nom d’utilisateur LJ novitsky), l’utilisateur de LJ situé à Kiev klodius, le blogueur de Dnipropetrovsk Andriy Denysenko (nom d’utilisateur LJ andr-denysenko), l’utilisateur LJ ooany-wonderoo, le militant de Kiev Andriy Khartanovych (nom d’utilisateur LJ endryx), la blogueuse et journaliste de Kiev Olena Bilozerska (nom d’utilisateur LJ bilozerska), et d’autres.

Des membres du Maidan.org.ua, une célèbre plateforme Internet de militantisme citoyen, ont créée une liste s’inspérant de Wikipedia [17] [en ukrainien] afin de répertorier les éléments sur les récentes répressions politiques en Ukraine.

L’une des militantes du site web, Natlaka Zubar (nom d’utilisateur LJ pani-maidan), a écrit ceci [18] [en ukrainien]:

15 personnes arrêtées pour activité politique et des dizaines sous le coup d’une enquête, et tout ceci en seulement un mois – cela suffit-il pour parler du début de répressions politiques ? Je suis sûre que si [l’on] ne hurle pas ceci à tous les coins de rue, le nombre augmentera trop vite pour que la société puisse réaliser le but de ces répressions. […]

L’utilisateur basé à Zaporizhzhya mylady_miran a écrit cela [19] [en russe]:

“Pourquoi faites-vous tout ce tapage ? Cela ne vous a pas touché, n’est-ce pas…” – On m’a posé cette questions dernièrement à propos de mes [billets [20], en russe]. La question m’a confonfu. Je « fais du tapage »? Je « fais du tapage » parce que je ne me sens plus à l’aise dans mon pays. Parce que je n’aime pas ce que je vois et ce que j’entends. […] Les choses qui se déroulent dans mon pays me terrifient. […] Et je sais qu’elles sont faites précisément pour semer la terreur.

Depuis que l’Ukraine a gagné son indépendance il y a eu beaucoup de désordre […] mais durant cette période une génération a grandi et elle ne sait pas ce que signifie “avoir peur” au sens de l’ère soviétique en Ukraine. Les gens ont maintenant l’habitude de dire ce qu’ils pensent du gouvernement, de la politique et de la situation dans le pays [sans crainte]. […]

Oui, cela ne m’a pas encore touché. Et cela ne me touchera pas, s’il plait à Dieu. Mais si cela me touche… il sera alors trop tard pour avoir peur. Et je n’aime pas être terrifié. Je ne suis pas bon dans ce registre-là. Et je ne veux pas non plus que mes enfants apprennent à avoir peur. Je ne veux pas qu’ils soient habitués à voir leurs parents terrifiés  – et à se tenir tranquille à cause de cela.