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Egypte : Que fera l'armée ?

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Egypte, Dernière Heure, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Ce billet fait partie de notre dossier sur l'Egypte [1].

Jusqu'à présent, avec plus ou moins d'exceptions, l'armée a fait tampon entre les manifestants pour la démocratie et l'appareil sécuritaire ainsi que les nervis du pouvoirs, alors que les Egyptiens se mobilisent pour le 18e jour consécutif pour réclamer la fin du régime Moubarak.

Après les annonces faites par Moubarak hier soir, et au moment où les Egyptiens s'apprêtent à descendre dans la rue aujourd'hui, les blogueurs Egyptiens ont beaucoup à dire sur le rôle de l'armée et ce qui pourrait se passer dans leur pays dans les prochaines heures.

Des manifestants se couchent aux pieds de l'armée égyptienne à l'entrée de la rue du Parlement au Caire. Photo sur Flickr de Omar Robert Hamilton (CC BY-NC-SA 2.0).

Sandmonkey s'efforce d'analyser la situation dans ce billet [2], intitulé le pari de Moubarak :

1) Moubarak ne quittera pas son poste sans effusion de sang. Toute tentative de sortie pacifique a été rejetée par son régime, et ils sont résolus à combattre la volonté du peuple jusqu'au bout.

2) Moubarak a brûlé l'image de Hossam Badrawy et du conseil des Sages avec son discours. Hossam Badrawy, le secrétaire général du PND, était la figure du parti qui avait annoncé l'intention de Moubarak d'abdiquer plus tard dans la soirée. L'homme n'a plus de crédibilité. Même chose pour le Conseil des Sages, puisque le discours de Moubarak était centré sur la manière dont il a satisfait leurs demandes, qui n'incluent pas son départ. Je serais très étonné si la plupart ne renonçaient pas à leur poste aujourd'hui.

3) Nous assistons à la première fissure possible dans la structure du pouvoir en Egypte : il semble que les forces armées soient dans un camp, et le président, les services de renseignement et la garde républicaine dans l'autre. Si on ajoute à l'équation le Ministère de l'Intérieur et les contestataires, on a 4 acteurs en ce moment dans une lutte pour le pouvoir hautement imprévisible. Nous attendons maintenant la deuxième déclaration du Haut conseil des forces armées pour clarifier leur position une fois pour toutes. L'armée avec ou contre le peuple, voilà ce qui déterminera beaucoup des résultats d'aujourd'hui.

4) Moubarak a maintenant mis les USA hors jeu : il a doublé la Maison Blanche et annoncé ses intentions de combattre  l'intervention étrangère. Ajoutant à cela la nouvelle de l'aide arabe, il envoie aux Etats-Unis un message clair : “Je pourrais vous dire à vous et à votre aide d'aller au diable, et obtenir l'argent des Arabes à la place. Que devient votre précieux Israël là-dedans ? Si vous ne voulez pas que nous causions de problèmes sur ce front,  vous feriez mieux de la fermer sur ce que nous ferons et aurons avec le programme, ou sinon !”

Il poursuit :

Si vous prenez tous ces facteurs en considération, la situation commence à prendre un air fortement menaçant. Si le régime et l'armée ont rompu, nous pourrions voir une bataille et des effusions de sang majeures aujourd'hui. Si l'armée est avec le Président, alors elle tournera ses canons contre les manifestants, qui sont déterminés à ne pas vivre un jour de plus sous la férule de Moubarak. Cela veut aussi dire qu'il a mis en jeu l'avenir du gouvernement de transition avec Omar Suleiman aux manettes, car le sort de ce dernier paraît maintenant étroitement entrelacé à celui du Président. C'est devenu une lutte pour la survie : soit le régime soit le peuple. La mauvaise nouvelle est que le régime a les armes et l'organisation. La bonne nouvelle est que les gens sont déterminés et en nombres croissants et que l'armée pourrait intervenir et nous épargner toute effusion de sang inutile.

Tout dépend maintenant de la déclaration de l'armée.

Wael Nawara ajoute [3] :

Ne vous laissez pas avoir par le plan de Moubarak

Il a déjà envoyé les voyous et libéré les criminels

Maintenant il a augmenté les espérances avec les fuites

Puis s'est déclaré avec le discours le plus scandaleux pour enrager les contestataires et dresser la scène pour des confrontations violentes entre les manifestants et l'armée

Méfiez-vous aujourd'hui des agents infiltrés parmi vous qui initieraient les violences – ne serait-ce qu'en lançant une pierre sur les militaires

Ceci est une révolution pacifique et doit le rester

Les Forces Armées ont dit qu'elles soutiennent les revendications légitimes du peuple

Nous demandons maintenant que les Forces Armées appliquent ces demandes

Ceci ne sera pas un coup d'Etat aussi longtemps que l'armée garantit que les demandes du peuple soient satisfaites et qu'un gouvernement de transition – peut-être un conseil présidentiel – soit formé, de 2 ou 3 civils et 1 ou 2 chefs de l'armée

Sur The Arabist, Silawa écrit [4] :

* Le mieux est l'ennemi du bien : Moubarak a voulu semer la pagaille, pour provoquer une marche sur le palais et éventuellement déclencher quelques violences. Le régime a eu son plus grand succès pour ébranler la révolte quand la situation était la plus instable. Le retour à la normale cette semaine d'un autre côté a donné l'occasion aux gens de se retrouver sur le lieu de travail, de se rappeler tout ce qui leur déplaît dans le statu quo d'immobilisme et de corruption, et de se mettre en grève. Il a donc pensé pouvoir mettre fin à la normalité, rallumer les peurs d'anarchie prolongée, et faire pression sur les manifestants pour qu'ils renoncent avec les quelques concessions déjà gagnées.

Toujours sur The Arabist, Issandr El Amrani avait écrit plus tôt [5] :

Lorsque le soulèvement a commencé en Egypte et que les chars ont été déployés dans les rues le 28 janvier, l'armée a d'abord été bien accueillie. Beaucoup ont peut-être cru qu'elle avait mené un putsch contre Moubarak (en fait c'est probablement en partie le cas), et beaucoup plus nombreux encore étaient ceux qui chérissaient le mythe de l'armée égyptienne triomphante en 1973 après la défaite de 1967. Les choses ont commencé à se retourner la semaine dernière lorsque l'armée est restée sans rien faire pendant que les voyous pro-Moubarak assaillaient la foule place Tahrir. Les contestataires ont lancé un ultimatum à l'armée pour qu'elle choisisse leur côté : avec eux, ou avec Moubarak. L'armée n'a toujours rien fait. Ensuite, pour le week-end, la police militaire (et probablement le renseignement militaire) ont été déployés pour renforcer la sécurité dans les rues. Il s'est ensuite avéré qu'ils ont arrêté des dizaines sinon des centaines de personnes, et ont commencé des rafles dans les bureaux des militants des droits de l'homme et à perquisitionner les domiciles en demandant à fouiller leurs ordinateurs.

Il continue :

L'information là-dessus se propage et va commencer à contredire le récit dominant dans les média égyptiens sur le peuple et de l'armée qui ne font qu'un. Plus longtemps cette crise persistera, plus il sera difficile pour l'armée de continuer soit à jouer double jeu soit à rester spectatrice. Avec les menaces d'Omar Suleiman de coup d'état et la contestation qui s'étend à des arrêts de travail dans tout le pays, l'heure des décisions va arriver pour les contestataires d'adopter une position sur l'armée (ou de lancer une campagne plus prononcée pour persuader les commandants en chef), et pour le haut commandement militaire de décider comment il s'y prendra dans un contexte de perte du contrôle, et pour les rangs de décider où ils se placent dans tout ça.

Restez à l'écoute sur l'Egypte en ce 18e jour de manifestations massives pour le retrait de Moubarak et de son régime.