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Egypte : Place de la Libération, le jour de la libération

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Egypte, Action humanitaire, Dernière Heure, Gouvernance, Histoire, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Ce billet fait partie de notre dossier sur l’ Égypte [1].

Tarek Amr, auteur de ce billet, est allé vendredi place Tahrir (place de la Libération) à deux reprises, la première, le matin, avant la démission de Moubarak, tout de suite après son discours de la veille au soir, et raconte [liens en anglais et arabe].

La blogueuse et chanteuse égyptienne Nadya Shanab a décrit ici comment ce discours et l'annonce de l'armée qui l'a suivi jouaient avec les émotions des gens [2].

Moubarak est apparu hier soir pour s'adresser à la nation et de fortes rumeurs circulaient partout que ça y était, il allait annoncer son retrait. Les média d'information du monde entier spéculaient et plusieurs sources officielles déclaraient qu'il allait [se retirer] et d'autres disaient que non, le monde entier ne savait à quoi s'en tenir.
Avec près d'une heure de retard, Moubarak commença son discours. Il ne se retirait pas. La foule était furieuse. Ils ont tous hué et brandi leurs chaussures et scandé leur exigence qu'il s'en aille. Tout le monde s'est senti floué.
Ce matin l'armée a fait une deuxième annonce, indiquant qu'elle serait aux côtés de Moubarak pour mettre en oeuvre les réformes de la constitution qu'il avait accepté de faire sur les demandes du peuple et garantir que des élections libres et équitables se tiennent en septembre.

Déception est un des mots-clés pour décrire ce que chacun a ressenti après le discours. Raafatology explique en quoi ce disours n'était en rien différent des précédents de Moubarak [3]. Chaque fois qu'on attend qu'il dise une chose, il en dit une autre.

Un discours décevant de plus Moubarak et son Vice-Président. Moubarak confirmait qu'il ne briguait pas un nouveau mandat comme si c'était une option. Il déléguait toutes ses prérogatives à un vice-président aussi mauvais que lui-même.
Moubarak s'excusait pour ceux qu'il avait tués, mais pas pour ceux qu'il tuerait en décidant de rester en poste.

Puis il s'est demandé si Moubarak n'était pas en train de jouer une de ses dernières cartes.

Je ne sais vraiment pas ce qui se passe dans sa tête ! Il croit qu'après un discours aussi pathétique, les gens vont simplement quitter la place Tahrir et rentrer chez eux ?

Amr Ezzat semble avoir lu la question de Raafatology, il y répond sur son blog [4].

ملمس الأسفلت أمام مبنى ماسبيرو كان منعشا ليلة أمس.
بعد منتصف الليل، وخطاب مبارك المثير للشفقة أكثر من الإحباط، امتلأ ميدان التحرير عن آخره بشرا وغضبا. كان تقديرنا مبالغا لما تبقى من كرامة مبارك وتقديره للأمور، كنا نظنها تكفي لكي يستسلم لحقيقة أن له لم يعد الاستمرار ممكنا ويكفي هذا.
مبارك يرفض الاستسلام للحقيقة ولكنه ينحني أكثر فأكثر أمام الشارع، إذن: إلى الشارع
On était vraiment bien par-terre devant l'immeuble Maspiro (la télévision nationale égyptienne) hier soir.
Après minuit, et après le discours de Moubarak, qui était plus pathétique que décevant, la place Tahrir débordait de monde et de rage. Nous avions surestimé ce qui restait à Moubarak de dignité et de capacité à voir ce qui se passait autour de lui, nous avons cru qu'il avait un minimum de dignité et de sagesse pour céder et accepter de ne pouvoir rester plus longtemps. Moubarak refuse de céder, mais il est de plus en plus à genoux devant les revendications de la rue : alors restons dans les rues.

La place Tahrir était vraiment remplie comme s'y attendait Amr, raconte Tarek, mais les gens étaient silencieux comme jamais avant. J'y suis resté quelque temps puis ai décidé de rentrer chez moi. En chemin, je suis passé à côté de Maspiro. Il y avait là quelques manifestants, j'ai senti leur déception, mais étais en même temps certain qu'ils ne s'arrêteraient pas avant d'avoir réalisé leur but, renverser le régime. Plus tard, en route pour chez moi, j'ai entendu la nouvelle par une radio en passant, Moubarak a finalement été forcé de démissionner [5]. Je n'arrivais toujours pas à y croire. Je me suis précipité à la maison et me suis mis devant autant de chaînes d'information, de tweets [6] et de blogs que j'ai pu.

Tahrir Square, 11 February 2011 [7]
Les Egyptiens font la fête place Tahrir Square après qu'ils ont forcé Moubarak à se retirer.

Photo de Ramy Raoof sous licence Creative Commons

Le bonheur était partout dans la blogosphère égyptienne, mais chacun l'a exprimé à sa façon. Les uns, comme Egyptian-Wish, étaient fiers de ce qu'ils ont fait, et se réjouissent devant l'avenir [8].

الحمد لله أني حاسس أني شاركت ولو بكلمة في بلوج
في رفع الظلم عن بلدي
يا رب ما فيش مصري يتسجن تاني علشان رأيه
يا رب ما فيش مصري يضرب في قسم بوليس
يا رب مافيش مصري يتاخد حقه بالغصب
يارب خلينا نعمل حكومة تبقي في خدمتنا ومش فوقنا
Je suis reconnaissant à Dieu d'avoir pris part au combat contre l'injuste avec au moins un mot dans mon blog.
J'espère qu'il n'y aura plus d'Egyptiens emprisonnés pour leurs idées
J'espère qu'il n'y aura plus d'Egyptiens torturés dans les locaux de police
J'espère qu'il n'y aura plus d'Egyptiens dépossédés de leurs droits
Je cherche un gouvernement qui serait à notre service, et pas nous au sien.

D'autres comme Zeinobia n'en trouvaient plus leurs mots [9].

Je ne sais pas quoi écrire à présent, je ne sais pas comment exprimer mon sentiment, sauf que je suppplie tous ceux sur twitter et les blogueurs, je ne mérite pas ces louanges, je ne suis qu'une fille avec un ordinateur dont la première manifestation était le 25 janvier 2011. “Je n'ai même pas pu arriver jusqu'à Al Tahrir, je suis rentrée pour couvrir la bataille de chez moi avec l'ordinateur.”
Les vrais héros sont nos martyrs qui ont fait tomber Moubarak, qui nous ont purifiés de la peur, du silence et de l'hypocrisie avec leur sang pur.

Et il y avait ceux qui, tel Mohaly, et malgré la torture et la corruption, étaient sûrs que leur rêve deviendrait réalité un jour [10].

J'ai toujours cru en l'Egypte et l'ai toujours aimée au point que certains de mes amis se sont moqués que j'aie son drapeau dans ma chambre, et des chants patriotiques dans ma voiture, refusant des propositions d'emplois qui auraient triplé mon revenu au Royaume Uni et dans le Golfe, donnant des cours gratuits, et même mon travail de représentant de Nahdet El Mahrousa. Mais ces moqueries n'ont fait que me donner plus de force, et la mort de Khaled Sa3eed a été un tournant, depuis le jour où Khaled Sa3eed est mort j'ai décidé de prendre la parole et de ne pas avoir peur.

Et enfin, d'autres, comme Raafatology, sont encore incrédules [11].

Je n'aurais jamais cru que je vivrais jusqu'au jour où nous pourrions dire : notre Ex-Président !!!!!!!!!

Plus tard, raconte Tarek Amr, j'ai décidé de retourner sur la place Tahrir, cette deuxième fois pour participer à la fête. Du moment où j'ai mis le pied dehors je me suis aperçu que je n'avais pas à attendre d'avoir atteint la place pour voir les réjouissances, puisque je peux les voir juste devant ma maison qui est à des kilomètres de la place. Tout du long jusqu'à la place Tahrir, on scandait, dansait et agitait des drapeaux [12]. Dans les décennies passées la seule chose qui faisait faire la fête aux gens dans la rue était les matchs de football, mais hier il y avait tellement plus de monde dans les rues, tellement plus heureux, et une fête motivée par tellement plus qu'un match de football.