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Macédoine : Violent incident interethnique aux abords de la forteresse de Skopje

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Macédoine, Cyber-activisme, Élections, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Le 13 février 2011, la police a échoué à canaliser des groupes de Macédoniens et de la minorité ethnique albanaise et à les empêcher de s’affronter autour de la vieille forteresse de Skopje. Les deux camps composés de jeunes hommes étaient venus manifester pour et contre la construction d’un bâtiment semblable à une église, qui, selon le gouvernement, devrait devenir un musée. Dans cette confrontation, six personnes ont été blessées côté manifestants contre deux côté police, alors qu’un déversement de peur et de haine secoue la toile.

Cet incident constitue le paroxysme d’une série d’événements qui ont eu lieu ces deux dernières semaines. Le 31 janvier, des médias révélaient que le gouvernement avait commencé la construction « d’un objet » au sein de la forteresse médiévale de Skopje [1] [en anglais] appelée Kale (le mot turc qui signifie « fort »). Cela a provoqué l’indignation des politiciens de la communauté albanaise, notamment parmi les partenaires de la coalition gouvernementale de l’Union Démocratique pour l’Intégration (UDI) [2]. L’UDI a exigé [3] [en macédonien] l’arrêt de la construction de tout « objet religieux » qui ne représente pas le patrimoine global du lieu.

Pasko Kuzman, archéologue et directeur du Département du Ministère de la Culture pour la Protection du Patrimoine Culturel et Historique, nommé par le parti [ethnique] macédonien VMRO-DPME [4], un partenaire prédominant de la coalition, a demandé que les travaux soient interrompus [5] [en macédonien] le temps que tous les problèmes soient résolus. Dans des déclarations diffusées par les médias, il a affirmé que le bâtiment ne servirait pas d'église [6] [en macédonien], mais abriterait des artefacts trouvés sur place.

Cependant, des informations faisant état que des ouvriers avaient été embauchés pour continuer les travaux pendant la nuit, a provoqué « un groupe de citoyens d’origine albanaise menés par des hauts dirigeants de l’UDI » (selon la formule du quotidien Dnevnik [7] [en macédonien]), incluant le maire de la ville de Tchaïr [8], le ministère de la Santé et le vice-ministre de l’Intérieur, à envahir le chantier dans la nuit du 10 février, chasser les ouvriers et causer des dégradations aux murs. Certains hauts dirigeants ont affirmé par la suite qu’ils étaient venus sur le site non pas en tant que participants, mais pour calmer la population.

Samedi, le blogueur Neutralec avertissait [9] [en macédonien] que l’appel continu aux Macédoniens [ethniques] de se rendre à la forteresse dimanche pour « évaluer les dommages » et/ou « défendre l’église » (qui, rappelle-t-il, n’est pas une église, comme le dit le gouvernement) ne pourrait que conduire à d’autres manipulations :

Ne faites pas la guerre dans l’intérêt des autres, certains y trouveront même un bénéfice politique !

Victor Arsovski retrace [10] [en macédonien] les événements ultérieurs et l’impact des média sociaux. Il démontre que, au contraire de la Tunisie, de l’Egypte et ailleurs, le pouvoir organisationnel des médias sociaux en Macédoine n’a pas été utilisé au profit du peuple :

… un groupe de “partisans” favorables à la construction de l’église (c’est-à-dire un groupe de supporters de football macédonien Komiti) et un groupe de partisans favorables à sa destruction (c’est-à-dire un groupe de supporters de football albanais Shverceri) se sont retrouvés au même endroit aux abords de la Forteresse de Skopje pour exprimer leurs opinions en organisant une manifestation « pacifique ».

On aurait pu deviner ce qui allait se passer entre ces deux groupes. Bataille rangée, jets de pierre, huit blessés, un poignardé, panique dans les médias, critiques à l’encontre des politiciens, fanatisme ethnique…

La différence entre ceci et d’autres incidents stupides similaires est le rôle de Facebook.

[…]

Selon Radio Free Europe [11] [en macédonien], les manifestations […] étaient organisées via des groupes Facebook et l’ONG albanaise « Wake Up »[‘Réveillez-vous’].

[…]

Pour le moment, une nouvelle manifestation est organisée à Kale pour le 19 février. Un groupe Facebook [12] comprenant des milliers de membres appelle à protester, publiant photos odieuses et message de haine (pour dire les choses avec modération) [NdT : entre-temps l'événement a été annulé].

Et ce groupe n’est pas le seul. On en compte d’autres avec des contenus violents identiques. Un groupe comptant 4000 membres Eglise sur Kale [13] [en macédonien] à la fois macédoniens [ethniques] et albanais, se disputant et s’insultant, appelle à un nettoyage ethnique. Une même sordide histoire d'insultes ethnique et de discours haineux est visible sur les groupes Facebook Musée-Eglise à Kale  et Contre l’église de la Forteresse de Skopje [14] [en albanais].

Un clic suffit pour constater l’âge de ces individus – la majorité d’entre eux sont des adolescents et des étudiants de première année ! Chose intéressante, on peut s’apercevoir que la plupart de ces jeunes « esprits » partagent des intérêts semblables […].

Sur Facebook, hormis les provocations verbales, le moyen le plus utilisé pour défier l’autre groupe ethnique est l’utilisation des vidéos Youtube. Ce site est devenu une grande vidéothèque abritant des vidéos remplies de haine des années avant que Facebook devienne connu… [les utilisateurs Facebook « recyclent » désormais les vidéos encore disponibles] appels à une Grande Albanie et à une Grande Macédoine, appels au nettoyage ethnique, à la mort, au génocide, clips vidéos remémorant [le conflit de 2001 [15]]. Pendant des années, les institutions macédoniennes ont ignoré l’existence de ces vidéos abjectes, même si je pense qu'il aurait suffi d'un préavis crédible pour que Youtube les efface…

Après coup, le blogueur Volan commentait [16] [en macédonien] :

Une vieille technique de pêcheur consiste à troubler les eaux, et si l’on chasse sur la terre ferme de le faire dans le brouillard…

Il devient de plus en plus clair que quelqu’un cherche à brouiller les pistes, dans ce cas la chasse est ouverte – on cherche les électeurs. La chasser aux électeurs est surtout importante lors de la saison de chasse, c’est-à-dire au moment où les échéances électorales sont imminentes. De ce fait, la raison pour laquelle on trouble les eaux autour de la Forteresse de Skopje devient plus claire. Tapis dans le brouillard, certains construisent une église sous le faux-semblant d’un musée-église. Les autres démolissent le musée-église. L'aspect le plus curieux de cette histoire est que les uns et les autres sont représentés au sein du gouvernement/de l’administration au pouvoir. Les partis d’opposition plus petits sont assis au bord pour essayer d’attraper quelques poissons à leur tour…

La chasse aux électeurs indécis, qui représentent plus de la moitié de l’électorat, est particulièrement agréable… Malheureusement, seul le menu fretin a pu continuer à nager au milieu des eaux troubles de Skopje Kale : les groupes de supporters de football… avec les inquiétants appels entendus en 2001… les gros poissons se terrent dans les couloirs du pouvoir et observent.

Civil – Center for Freedom, une ONG, a lancé un appel sur son blog pour que la Macédoine ne recoure pas à la violence et ne succombe pas aux divisions – en macédonien [17], albanais [18] et anglais [19].

Le gouvernement doit faire son travail, ne pas jouer un rôle d’observateur impuissant et de commentateur des événements. Une très grande part des responsabilités sur la détérioration des relations interethniques réside précisément dans les pratiques de ce gouvernement. Ceci s’applique particulièrement à l’adoption et la mise en place de projets qui n'ont rien à voir avec les besoins et des réalités de ce pays.

Civil demande au gouvernement d'arrêter les projets prêtant à controverse, d’agir de façon transparente et de créer un consensus. Elle rappelle également aux partis politiques, à la société civile et aux citoyens leurs responsabilités dans le maintien de la paix et de mettre de côté tout nationalisme et haine religieuse.

Ne vous laissez pas emporter par l’obsession et la folie. Cette situation n’est ni favorable à votre bien-être, ni à celui des générations futures. Une guerre a causé de nombreuses blessures. Une autre serait un désastre pour ce pays. Ce que disent les personnalités politiques peut sembler parfois intéressant, mais ils ne sont souvent motivés que par leur soif de pouvoir et de popularité. Et de profit personnel.

Les murs ont été dressés haut au-dessus de nos têtes. La division est notre réalité. De plus grandes divisions peuvent aussi signifier le redécoupage de nouvelles frontières physiques entre les gens. Nous savons tous que cela veut dire guerre et effusion de sang. Cela ne fait de bien qu’aux criminels et aux casseurs.

Faites le premier pas : démolissez les murs qui vous séparent de vos concitoyens issus de milieux différents ou ayant des convictions différentes. Cela ne compromettra pas votre identité, au contraire, cela vous enrichira.

Tout cela révèle les niveaux de tension et d’inquiétude parmi les citoyens ordinaires de Macédoine, qui ne sont pas désireux de participer à un autre bain de sang dans les Balkans. Cependant, il semble que des forces aux puissantes arrières pour susciter des troubles. Par exemple, des habitants locaux ont empêché un supposé incendie criminel [20] [en macédonien] prémédité contre une mosquée à Bitola ce matin.

Une communauté Facebook nommée “Monolithe à Kale” [21] [en macédonien] est une des rares à tenter de combattre l’horreur par l’humour. On y affirme que dans le film « 2001, l’Odyssée de l’espace [22] le monolithe [23] [en anglais] a aidé les grands singes à évoluer. En tant qu’objet religieusement neutre, planter un monolithe à Kale » pourrait aider la Macédoine à évoluer également. Au contraire des groupes précédemment mentionnés, qui sont composés de milliers de membres/fans chacun, il n’a attiré qu’une centaine de personnes jusqu’à présent.