Maroc : Pourquoi les manifestations

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur les manifestations de 2011 au Maroc.

Dimanche a marqué ce que beaucoup ont appelé le “Jour de la Dignité” du Maroc. En demandant une réforme constitutionnelle et la fin de la corruption, et non le renversement de la monarchie, les contestataires ont été relativement bien perçus par le pouvoir, et la police qui a cherché à contenir les manifestations. Celles-ci se sont tenues dans un certain nombre de villes à travers le pays– notamment à Casablanca, Fès, Rabat, et Tanger–et ont été généralement pacifiques, à l'exception de déprédations à Marrakech et Larache, deux cités où l'inégalité économique est prononcée.

Le blogueur Ibn Kafka, un Marocain qui vit à l'étranger, explique pourquoi ces manifestations ont lieu [en anglais, comme tous les blogs cités]  :

Qu'est-ce qui met les protestataires en mouvement ? A vrai dire les Marocains ne manquent pas de motifs de contestation  contre leur(s) dirigeant(s). Si l'index de développement humain du PNUD s'est légèrement amélioré (le Maroc occupe une faible 114e place, mais en progrès depuis la 124e en 2005), les performances du Maroc n'en restent pas moins exécrables. Sur le front politique, les mesures initiales vers un approfondissement de la libéralisation prises pendant les premières années sur le trône du roi Mohammed VI sont bloquées depuis longtemps, et le régime a renversé la vapeur. Le contrôle étouffant du Palais sur la scène politique et parlementaire a enlevé sa pertinence à la politique partisane, tandis que le copinage des proches associés au Roi (Fouad Ali el Himma, leader de facto du Parti authenticité et modernité (PAM) en plein essor, alias « l'Ombre du Roi « , ou Mounir Majidi, en charge des intérêts économiques et financiers toujours croissants du Palais) alimente cynisme, désillusion et colère. La fumisterie absolue qu'est le système juridique marocain compense à peine les problèmes jumeaux de la corruption et de la répression auxquels est en butte le Maroc depuis l'indépendance.

Citant la radio publique américaine NPR, le blog The View From Fez résume la position du pouvoir à l'égard de la contestation :

Il n'y a pas eu de violence parce que “le pouvoir était bien préparé à ces manifestations. Et ce qu'ils ont fait était de les contenir plutôt que de les empêcher. Je veux dire qu'ils ont répété tout du long : voyez, nous sommes accoutumés aux manifestations au Maroc. Nous croyons au droit à la contestation pacifique. Ils sont restés hors de leur chemin en maintenant une présence policière très basse.

Le blogueur remarque également :

Résultat, le peuple marocain a marqué un point et le gouvernement aura certainement pris note. Les analystes à travers la planète assurent que grâce aux avancées ici, la “révolution” n'est pas au programme, mais l'évolution. Beaucoup de Marocains seraient de cet avis.

Sur Twitter, @mariammaslouhi ajoute une précision sur les déprédations  :

Après la manifestation dans le calme des jeunes le 20 fév #feb20 des hooligans de foot ont vandalisé des immeubles à Tanger.

L'écrivaine Laila Lalami, bloguant à The Nation, décrit l'ambiance des manifestations :

Aujourd'hui, les rassemblements pacifiques qui se sont déroulés dans tout le royaume démentent toutes les accusations qu'ont répandues les forces pro-gouvernementales. Personne n'a porté de banderoles réclamant le départ du roi ou offrant un soutien au Front Polisario ou toute autre entité étrangère. En revanche, les protestataires ont dénoncé la corruption et l'oppression, et ont réclamé la démocratie et la liberté : “Oui à une démocratie parlementaire.” “Pour une constitution démocratique.” “Responsabilité pour les voleurs / d'argent et de dignité.” “Le roi règne, mais ne gouverne pas.” Ma préférée était la bannière multicolore qui citait les vers célèbres du poète algérien Tahar Djaout : “Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors parle, et meurs.” (On peut en voir quelques-unes ici.)

Manifestation à Rabat. Photo Omar El Hyani

Bill Day du blog the a la menthe a vécu au Maroc et continue à en suivre la vie politique de loin. Il écrit :

Pour le moment, les informations laissent entendre que la contestation au Maroc se concentre sur la réforme et non la révolution. Mohammed VI semble donc être dans une phase Louis XVI. Confronté aux revendications populaires de réforme après la prise de la Bastille et l'instauration de l'Assemblée Nationale, Louis avait au contraire choisi de tenter de fuir la France pour rechercher le soutien autrichien en vue de rétablir son pouvoir absolu. Du moment où il a été capturé et contraint à rentrer à Paris sous une garde humiliante, la vague de l'Histoire s'est tournée contre lui, aboutissant pour finir à son exécution.

Mohammed VI a peut-être encore une opportunité d'être le meilleur roi du Maroc, celui qui libèrerait son peuple et le guiderait vers une démocratie véritable, même si c'est sous forme d'une monarchie constitutionnelle. Mais pour conserver sa position, il doit renoncer à son pouvoir. Ce serait un magnifique cadeau au peuple marocain. La seule question : Mohammed VI est-il plus sage que Louis XVI ?

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