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Pérou : Quand un ex-ministre demandait de l’aide à l’ambassade américaine pour contrer un opposant

Catégories: Amérique latine, Pérou, Médias citoyens, Politique

Comme signalé [1] [en anglais] récemment, le journal espagnol El Pais a publié le 19 février un câble [2] de l'ambassade américaine au Pérou [en espagnol] dans lequel on peut lire que « Fernando Rospigliosi, ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement d’Alejandro Toledo, a demandé assistance auprès des États-Unis afin de mener une campagne contre Ollanta Humala [3]». Les médias [4] [en anglais] péruviens ont promptement rebondi sur cette information qui a chamboulé la scène politique local.

L’existence de ce câble était connue quelques jours avant sa parution. Le 15, l’ambassadrice américaine au Pérou, Rose M. Likins, et Humala se sont entretenus [5] [en espagnol] sur ce sujet ; ce dernier a dénoncé [5] [en espagnol] “une tentative d’appropriation de la démocratie péruvienne”. Il est à noter que l’ambassade a rejeté cette accusation.

Le samedi 19, alors que le câble était paru, l’ancien Président Toledo [6] a rapidement déclaré [7] [en espagnol] qu’il était en dehors de cette affaire et un de ses plus proches partisans, Charles Bruce, a affirmé [8] [en espagnol] à son tour que lorsque a eu lieu la réunion de Rospigliosi, il n’était pas membre du gouvernement. Entre-temps, Ollanta Humala avait sévèrement critiqué l’ancien Ministre Rospigliosi [9] [en espagnol] et l’ancien Président Toledo [10] [en espagnol]. Rospigliosi a admis [11] [en anglais] la véracité du câble et a prétendu [12] [en espagnol] que c’était un choix personnel car il pensait que Humala représentait un danger pour la démocratie.

Le câble a été traduit en espagnol [13] par le blogueur Carlos Quiroz. Sur Storify vous pouvez consulter une liste [14][en espagnol] de tweets parus à la suite de la publication.

Des réactions sur des blogs se sont également manifestées, principalement centrées sur le bien-fondé de la demande d’une aide étrangère dans la gestion des affaires internes. Herbert Castro écrit [15] [en espagnol] sur son blog que ces faits ne constituent ni plus ni moins qu’un acte de trahison et donne son avis sur les personnes qui en bénéficieraient :

No pues. Así no se juega. Rospi, Tienes que reconocer que quedaste como una zapatilla y lo único que te queda es pedirles disculpas, tanto a Ollanta como a la opinión pública, a la que te debes como periodista. […] Ahora sí Humala tendrá suficientes razones para gritar en calles y plazas lo sucio que le jugaron. Y tú como periodista lo sabes, la víctima siempre saca dividendos.

Non. Ce n’est pas la bonne façon de se comporter. Rospi[gliosi], vous devez admettre que dorénavant vous avez l’air d’un idiot et la seule chose que vous devez faire est de présenter vos excuses, à la fois à Ollanta et au public, ce qui est votre devoir en tant que journaliste. […] Désormais Humala aura raison de dénoncer dans les rues et sur les places les manigances des autres. Et vous, journaliste que vous êtes, sachez que les victimes reçoivent toujours des dividendes.

Dans un article [16] [en espagnol] sur le blog Alternative Signal, Carlos Tapia convient que Rospigliosi a permis à Tolledo de ne porter aucune responsabilité et écrit sur les réels motifs de la conversation avec les représentants de l’ambassade :

Habría que recordar que la versión de Rospigliosi que “no veía a Toledo desde el 2004” contrasta con su inicial aparición pública como parte del actual equipo de campaña de Toledo-aunque renunciara después, a lo mejor por lo que todos sospechamos-; también que Rubén Vargas, el acompañante de Rospigliosi en la embajada, sea ahora miembro de la Comisión de Plan de Gobierno de Toledo. En fin, las sospechas Rospigliosi-Toledo continuarán por buen tiempo. Aunque hay otra versión, la que dice que Rospigliosi-Vargas iban a informar y aconsejar a la embajada por el vil dinero de una consultoría.

Il doit être rappelé que la version de Rospigliosi disant qu’ « il n’avait pas vu Toledo depuis 2004 » contraste avec son passage initial dans l’équipe de campagne, même s’il démissionnait par la suite, probablement pour la même raison pour laquelle on le suspecte tous. Vous remarquerez également que Ruben Vargas, le camarade de Rospigliosi à l’ambassade, est membre du Comité du Plan de Gouvernement de Toledo. Enfin, les suspicions sur la relation Rospigliosi/Toledo vont continuer pour quelque temps encore, malgré l’existence d’une autre version, dans laquelle le duo Rosgliosi-Vargas donnerait des informations et conseillerait l’ambassade en échange d’honoraires de consultants.

Le journaliste Raul Wiener examine [17] [en espagnol] sur son blog les raisons de ce fameux entretien :

Toledo se propuso crear una crisis internacional en relación a las elecciones peruanas, en las que interviniera Estados Unidos y por supuesto soltara dinero, como lo hizo en la crisis del 2000, de lo que Toledo nunca dio cuentas. Rospigliosi no fue a una de sus tantísimas reuniones de asesoría a los gringos en las cosas en las que dice ser especialista, sino a tratar sobre cooperación de gobiernos en una campaña electoral dentro del Perú.

Toledo fait en sorte de créer une crise international en rapport avec les élections péruviennes en espérant que les Etats-Unis interviennent et donnent une aide financière, comme ils l’avaient fait lors de la crise de 2000, dont Toledo n’a jamais été désigné responsable. Rospigliosi ne s’est jamais rendu à l’une des nombreuses réunions de consulting pour les américains en tant que spécialiste, mais pour demander de l’aide dans la campagne électorale péruvienne.

Sur le blog Ideeleradio, on peut consulter une transcription [18] [en espagnol] de l’entretien d’Alberto Adrianza, candidat au Congrès d’Humala, dans lequel, parmi d’autres sujets, il parle de la façon dont les médias ont couvert cette affaire :  

Acá hay un proceso mediático, por ejemplo, El Comercio [hoy] pone ‘Asesor de Humala intercedió por él ante embajador de EE.UU.’ y se refiere a Salomón Lerner Ghitis. Lo pone en letras de molde grande y [ayer] puso lo de [Fernando] Rospigliosi, una tira y abajo, [pone] esto que es 200 mil veces menor de lo que hizo Rospigliosi. Lo que diga Lerner al embajador americano, de que Humala es honesto, razonable, es distinto a una contracampaña contra Ollanta Humala. Me parece francamente poco ético de El Comercio”

Voici comment les médias travaillent : par exemple, El Comercio [aujourd’hui] affirme que le conseiller d’Humala a intercédé en sa faveur auprès de l’ambassadrice américaine et est renvoyé vers Salomon Lerner Ghitis. Ils l’ont écrit en caractères majuscules et [hier] ils écrivaient à propos de [Fernando] Rospigliosi que c’était 200 milles fois moins que ce qu’a fait Rospigliosi. Quoique Lerner dise à l’ambassadrice américaine – qu’Humala est honnête et raisonnable – cela diffère de la contre-campagne à l’encontre d’Ollanta Humala. Franchement, je doute de l’éthique d’El Comercio [sur cette affaire]

Par contre, Raul Mendoza Canepa soutient [19] [en espagnol] que Rospigliosi est cohérent avec ce qu’il prône et blâme ceux qui l’accuse de « Pharisiens ».

A Rospigliosi dos funcionarios gringos lo invitan a almorzar y como en todo almuerzo informal, el ex ministro del Interior transmitió (como lo hubiera hecho José, Juan o Jorge) su crispación frente a los avances del nacionalista […] Hay que aclarar que pedirle ayuda a una embajada en una mesa informal para que arremeta contra un candidato, por más peligroso que sea éste, es tan reprobable como auparse a Chávez o recibir petrodólares caribeños para ganar una elección. Pero, de allí a fusilarlo o endilgarle el calificativo de “traidor” ya es un exceso. […] Bien harían los guerreros de uno y otro lado en calmar sus aguas y eludir el epíteto y el sablazo. Aunque este llamado no me exima de decir: “El fariseismo, toda una institución nacional”.

Deux représentants américain ont invité à déjeuner Rospigliosi et, comme durant tout déjeuner informel, l’ancien ministre de l’Intérieur (comme l’aurait fait Jean, Jacques ou Georges) s’est montré suspicieux à l’égard de l’avancée du candidat nationaliste […] nous devrions être clair sur le fait que demander de l’aide à une ambassade de manière informelle pour barrer la route d’un candidat, si dangereux que cela puisse paraître, est aussi répréhensible que de copiner avec Chavez ou de recevoir des pétrodollars provenant des Caraïbes pour gagner des élections. Cependant, lui tirer dessus de là où l’on se trouve ou le taxer de « traître » c’est pousser le bouchon trop loin. […] Des guerriers des deux bords de l’île feraient mieux de calmer leurs ardeurs et d’éviter l’épithète et le sabre. Néanmoins cet appel ne m’exempt pas de déclarer : « Le Pharisaïsme, une institution nationale ».

Comme prévu, c’est à la télévision qu’une tribune est donnée à Rospigliosi pour expliquer et donner sa version des faits, comme on a pu le voir avec cet entretien [20] [en espagnol] dans l’émission « Prensa Libre ». En revanche, dans un autre entretien sur Canal N [21] [en espagnol] il ne s’en est pas si bien sorti. Le journal La Republica a réalisé un sondage sur le sujet, « 55% pensent que Rospigliosi avait raison de demander à l’ambassade américaine de l’aider à stopper Humala, tandis que 45% pensent le contraire ». Chose intéressante, dans un article [22] [en espagnol] du même journal, où Rospigliosi écrivait pour justifier ses actions, et où Humala est accusé d’avoir falsifié et manipulé le câble pour l’utiliser à son avantage, la grande majorité des commentaires des lecteurs rejette l’action de l’ancien ministre. Dans tous les cas, il semble que cette affaire restera au cœur des conversations pour quelques jours de plus, jusqu’à ce qu’une autre révélation soit projetée sur le devant de la scène.

Article original publié sur Globalizado [23] le 22 février.