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Frontières du Mexique et d'Afghanistan : Pour les USA, même combat ?

Catégories: Amérique du Nord, Amérique latine, Asie Centrale et Caucase, Afghanistan, Etats-Unis, Mexique, Droit, Droits humains, Economie et entreprises, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Guerre/Conflit, Histoire, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Relations internationales

Un vaste éventail d'internautes s'est mobilisé pour réagir à plusieurs articles qui juxtaposent les violences à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis et le conflit continuel en Afghanistan. Sans avoir été coordonnées et apparemment disparates, ces contributions ont servi à cristalliser les aspects problématiques de la politique extérieure américaine au Mexique et au Moyen-Orient [liens en anglais et espagnol].

Le correspondant de Reuters Matt Robinson a écrit [1] depuis Sharana, en Afghanistan, que le commandement militaire américain dans le pays y parle maintenant ouvertement de “prendre pour référence la frontière lourdement surveillée de leur propre pays avec le Mexique dans le cadre des efforts pour endiguer le flux de combattants talibans qui viennent du Pakistan pour mener une insurrection grandissante.”

L'armée des Etats-Unis indique envisager l'emploi de détecteurs et de systèmes de radar du genre de ceux à la frontière américano-mexicaine pour contrôler les “pistes de rats” (itinéraires d'évasion) à cheval sur les 2.430 kilomètres de frontière poreuse de l'Afghanistan avec le Pakistan.

[…]”La frontière sud des Etats-Unis est équipée, et depuis des décennies. Nous considérons en fait un individu qui travaille avec le système pour voir si ce serait bénéfique.”

L'article de Robinson poursuit en précisant que les “autorités des Etats-Unis utilisent des systèmes mobiles de surveillance, des drones et 20.000 gardes-frontières avec des camionnettes et des chevaux pour contenir l'immigration illégale, le trafic de drogue et le débordement des violences du narco-trafic au long des 3.140 km (1,950 miles) de frontière que les Etats-Unis partagent avec le Mexique.”

Le jour même de sa publication, l'article a promptement fait le tour de Twitter, il a été tweeté et relayé avec et sans commentaire par @AfghanNews24 [2], @ghost22sas [3], @mexicoreporter [4], @5lem1 [5], @FZMexico [6], et une flopée d'autres. Fournissant un lien vers le texte, @SanhoTree [7] demande :

Pourquoi ne pas s'adresser à Charlie Sheen [8] pour des idées sur la façon de gagner les coeurs et les esprits ?

Le blogueur Vikas Yadez [9] a été plus loquace, et aussi plus cinglant.

Cet article démontre un peu de l'idiotie totale qui règne en maître dans l'armée américaine. La frontière entre les USA et le Mexique n'est guère un modèle de conduite d'un contrôle efficace. Avec plus de 12 millions d'immigrants sans papiers aux USA, l'idée que les USA savent surveiller leur propre frontière est complètement absurde.

Il y a une technophilie qui a contaminé les esprits du département de la défense et qui les conduit à croire que les drones et les ordinateurs sont la solution à tous les problèmes.

[10]

"Frontière Mexique/Etats-Unis près de Campo, Californie" par qbac07 sur Flickr (CC BY-NC 2.0)

Deux jours plus tard paraissait un article d'Edwin Mora pour CNS News [11], qui invitait au parallèle avec celui de Reuters. Sous le titre “Une localité de la frontière américano-mexicaine a eu l'an dernier plus de victimes civiles que l'Afghanistan entier,” Mora s'est livré à des calculs :

Plus de civils ont été tués l'an dernier à Ciudad Juarez, la ville mexicaine qui fait face à El Paso, Texas, que ceux qui l'ont été dans tout l'Afghanistan.

Il y a eu 3.111 civils assassinés dans la ville de Juarez en 2010 contre 2.421 dans l'Afghanistan tout entier – dont la majorité par les forces anti-gouvernementales y compris les Taliban.

Près d'un habitant civil sur 427 a été tué à Juarez l'an passé, tandis qu'un civil sur 12.029 l'a été en Afghanistan.  (Il y a 1.328.017 habitants à Juarez, selon le recensement mexicain de 2010, et 29.121.286 habitants en Afghanistan, d'après le World Factbook de la CIA.)

Le bref article de Mura lui a valu des commentaires surtout pragmatiques dans leur ton, tels ceux de Bonnie Joslin: “La drogue fait gagner beaucoup d'argent à notre gouvernement. Pourquoi feraient-ils quoi que ce soit contre ?” et S14: “La seule différence pour les libéraux est que les Afghans ne sont pas des électeurs potentiels, mais les clandestins, si…. Rien ne sera donc fait pour la frontière.” Les liens à l'article ont ricoché à travers Twitter, accompagnés d'opinions variées.

Kevin Eder (@keder) [12] a introduit le lien avec l'explétif virtuel “Sécurité !”. Le Texas Farm Bureau (@TexasFarmBureau [13]) a écrit :

Ça n'est pas l'#Iraq ou l'#Afghanistan mais les dangers pour les fermiers et ranchers du Texas près de la frontière mexicaine sont tout aussi réels

Le blog de droite Wooden Dentures [14] a illustré un avis qui prévaut au nord de la frontière en question.

Si on devait citer les endroits les plus violents sur terre, l'Afghanistan viendrait sans conteste à l'esprit, mais une ville, une simple ville à la frontière sud des Etats-Unis, est de loin plus violente que l'Afghanistan tout entier…. Avec notre frontière sud ouverte, il ne fait guère de doute que la violence mexicaine finira par déborder au Texas, avec pour résultat des morts d'Américains innocents sur le sol américain. Combien de temps le gouvernement fédéral peut-il encore esquiver son devoir de protection des citoyens américains en ignorant la sécurité au long de notre frontière méridionale ?

Sur The New Normal [15], le blogueur “Say It Ain't So” (‘Dis que c'est pas comme ça‘) a forgé un nouveau nom de pays – Mexghanistan – écrivant :

Vous pourriez croire que c'est une information choquante, mais seulement si vous croyez un instant que l'administration Obama et son département d'information et de propagande, les médias généraux, se soucient du Mexique ou de l'Afghanistan, ce qui n'est pas le cas. Rendez-vous compte, une ville juste de l'autre côté de la frontière de l'Amérique est de loin plus meurtrière et dangereuse pour les civils qu'une zone de guerre entière !

Les utilisateurs mexicains de Twitter savent compter. Hector Guerra (@hrguerra) [16], de Monterrey, a écrit :

Siempre bromeo que Afghanistan es mas seguro que Mexico, gracias por quitarme material, mundo

Je rigole toujours que l'Afghanistan est plus sûr que le Mexique, merci de m'avoir chipé mon matériau, le monde

Plus tard le même jour, @hrguerra [17] réagissait au second article :

Y a riesgo de senalar lo obvio, Ciudad Juarez es una ciudad de 1.5 millones de habitantes, Afghanistan es un pais de 30 millones.

Et au risque de signaler l'évidence, Ciudad Juarez a 1,5 million d'habitants, l'Afghanistan est un pays de 30 millions.

Pendant ce temps, comme l'indique El Universal [18] [en espagnol], l'UNESCO a affirmé que le Mexique vit une “intense violence” et que, bien que n'étant pas au sens technique dans un état de conflit armé, les violences impliquant les forces gouvernementales et le crime organisé ces dernières années ont causé plus de morts de civils que celles dénombrées depuis 2008 en Afghanistan.

Bien que les réactions les plus stridentes à ces informations proviennent des franges de l'opinion publique américaine, et dans de nombreux cas des confins méridionaux de ce pays, il y a de notables exceptions. L'une d'elles est un billet de la blogueuse Kristin Bricker pour [19]Borderland Beat [19], qui offre, non pas une opinion réactionnaire et raciste, mais recherche, analyse et réflexion, à commencer par les vantardises sur le bilan en victimes.

Dans le prologue à sa nouvelle anthologie, Pais de Muertos (Pays des Morts), le journaliste de renom et natif de Monterrey Diego Enrique Osorno écrit, “Ce n'est pas la même chose de compter les morts et de conter les histoires de nos morts.”

Osorno a rejoint le nombre grandissant de journalistes mexicains qui critiquent l'ejecutometro ou “exécution-mètre,” désignant les comptes de morts de la guerre des drogues tenus par les autorités et les journaux. Grâce à l'obsession du public pour l'exécution-mètre, les assassinés du Mexique sont métaphoriquement entassés dans la fosse commune de la guerre des drogues.

Avec une moyenne d'un tué par heure dans la guerre des drogues (et huit par jour rien qu'à Ciudad Juarez), les journaux ne prennent même pas la peine de donner les noms des morts, et encore moins les circonstances de leur vie et de leur décès. Ils se bornent à décrire la découverte macabre de leurs corps….

Le taux fulgurant d'homicide du Mexique signifie que les corps sont jetés dans la fosse commune métaphorique à une fréquence croissante. Les journalistes ont de plus en plus de mal à suivre le rythme des morts, et à plus forte raison de mener une enquête sérieuse sur les assassinats individuels. De surcroît, soutient la reporter de Proceso Marcela Turati dans son nouveau livre Fuego Cruzado (“Feu croisé”), “Lorsque la violence est en compétition avec elle-même et bat habituellement son propre record, elle cesse de faire l'actualité.”

De toute façon, actualité et commentaires sur la dévastation le long de ces frontières disputées se suivent dans tout le spectre médiatique, depuis les organes traditionnels d'information jusqu'aux tweeps lointains de l'acabit de Fritz (@Copydechocolate) [20]:

OK, ya llevamos mas muertos en Mexico que en Afghanistan, alguien quiere defender a nuestro gobierno? #yodigo

OK, nous avons déjà plus de morts au Mexique qu'en Afghanistan, quelqu'un veut défendre notre gouvernement ? #jedis