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Bhoutan : Un moine, première victime de la loi anti-tabac

Catégories: Asie du Sud, Bhoutan, Droit, Droits humains, Gouvernance, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Santé

(Les liens sont en anglais) Le premier contravenant, ou la première victime-selon la façon dont on le considère- de la loi anti-tabac entrée en vigueur en janvier 2011 au Bhoutan, était un moine bouddhiste, arrêté fin janvier [1] alors qu'il tentait de passer la frontière avec 72 paquets de Baba, du tabac à chiquer en provenance de l'Inde.

[2]

Sonam Tsering. Photo Chencho Dema. Publiée avec autorisation

Depuis, Sonam Tshering (23 ans) était détenu sans possibilité de libération conditionnelle jusqu'au 2 mars, quand il a été condamné à trois ans de prison ferme [3].  Les médias bhoutanais, y compris les blogueurs, ont suivi son cas de près  Une page Facebook intitulée “Modifiez la Loi Anti-Tabac” [4] a également été créée en guise de protestation contre cette loi. Le premier ministre aurait dit que cette page s'inspirait des événements en Tunisie et en Egypte.

@business_bhutan [5]
Le premier ministre dit que la page FB contre la loi anti-tabac s'inspire de la Tunisie, l'Egypte et la Libye et ce n'est pas bien. Suis-je un tyran ?” a -t-il demandé.

Il semble quelque peu excessif que le premier ministre puisse comparer ceci aux événements du Moyen-Orient, car il n'y a pour ainsi dire pas d'indignation, hormis quelques Bhoutanais contrariés par ll'action disproportionnée du gouvernement. La page Facebook a moins de 300 abonnés. En outre, malgré quelques appels à manifester, la majorité des Bhoutanais sont de l'avis contraire. Au fond, bien qu'estimant cette loi exagérée, les Bhoutanais sont conscients de la chance qu'ils ont à bien des égards.

Alors, bien que tout ceci soit loin de ce qui se passe en Tunisie ou en Egypte, les representants du pouvoir ne devraient certainement pas sous-estimer le pouvoir de la voix populaire, combiné à celui de la technologie, à cette époque  de réseautage social.

Récemment, lors du premier cas de jurisprudence constitutionnelle au Bhoutan, la Cour Suprême a statué contre le gouvernement en faveur de deux membres du parti d'opposition [6], démontrant l'intégrité du système judiciaire. Il y a néanmoins de nombreux verdicts/jugements -en application des lois- qui déplaisent, ainsi, des peines particulièrement lourdes comme 3 ans de prison ferme pour des infractions légères comme le prosélytisme et le mépris ou non-respect de la loi contre le tabac.

Un député a également déposé une requête afin d'étudier les plaintes concernant les lenteurs du système judiciaire. Une des affaires les plus médiatisées venues devant les tribunaux en 2007 concernait un membre de la famille royale qui avait tenté d'acquérir des terres par l'intermédiaire d'un élu ; or, cela s'est terminé par un acquittement général en septembre 2010. Mais l'affaire est revenue devant la justice après qu'une lettre anonyme [7] a été adressée à la commission anti-corruption établie par le quatrième Roi du Bhoutan afin d'endiguer de telle corruption.  On attend de voir comment le système juduciaire va s'y prendre. Ainsi, eu égard à la liberté de la presse, on doit s'attendre à ce que les gens expriment leurs sentiments et leurs opinions et  rien de moins.

C'est de façon émouvante que Sangay Khandu, membre du parlement, a écrit dans son blog : [8]

Il est fâcheux que Sonam Tshering soit le premier Bhoutanais arrêté pour trafic de tabac depuis la promulgation de la Loi Anti-Tabac. En tant que législateur, je suis sensible à la situation pénible dans laquelle il se trouve. C'est important que je dise cela car les législateurs sont, après tout…incontestablement bhoutanais, vivant au sein de la même communauté, avec de la famille et des amis soumis aux mêmes lois….Je ne suis pas forcément d'accord avec la “prohibition” ou “la punition”,mais je crois que si c'est une question qui a besoin qu'on en rediscute, alors on en rediscutera, en tenant compte des procédures législatives.  Je fais certainement grand cas de la liberté d'expression.

Entretemps les quelques Bbhoutanais indignés espèrent que le gouvernement réformera la loi. Le blogueur Jurmi Chhowing,qui publie tous les jours sur Facebook [4] des photos de lui en train d'allumer une cigarette a dit :

Tristes Nouvelles:
Le verdict est rendu: Sonam Tshering est condamné à trois ans (si j'ai bien compris)
Le bouc émissaire est envoyé à l'abattoir

Il a même écrit une lettre au moine, lui enjoignant de considérer la condamnation comme la retraite méditative de trois ans à laquelle aspirent la plupart des pratiquants bouddhistes. Manju Wakhley a répondu: [4]

Nous sommes en train de construire une nation hypocrite : nous nous soucions davantage de notre réputation internationale que de notre propre peuple. La compassion envers tous les êtres ? – vraiment ? L'ego dépasse la compassion. C'est triste, très triste.

Pendant que beaucoup se plaignent que l'accent placé sur le tabac en tant que risque mortel pour la santé est injustifiable, alors que l'alcool s'avère être responsable de plus de 50% des décès à l'hôpital de Thimphu, Kinga Sithup a identifié une autre cause de mortalité :

Les routes en mauvais état ont fauché plus de vies que le tabac…

Mais il y avait certains, parmi eux, qui, tout comme Kelzang Wangchuk  pensaient le contraire : [4]

La belle vallée de Bumthang, le deuxième Zangdokpalri sur terre, a brûlé deux fois parce que les gens y fumaient ! Il est demandé à toute personne ayant fumé une cigarette dans la vallée de Bumthang de faire une donation généreuse à la collecte de fonds. Fumeurs, soyez responsables !

Il est vrai que les incendies ont occasionné d'immenses dégâts au Bhoutan, mais cela justifie-t-il une telle loi, dont l'idée semble être née au Bumthang [9], alors que les incendies on été provoquées plus souvent par des lampes à beurre, des installations électriques défectueuses et des court-circuits que par les cigarettes.  L'incendie récent à Bajo [10]en est un exemple et l'enquête sur l'incendie à Bumthang [11] a indiqué que des bougies en auraient été la cause.

Récemment un deuxième contrevenant a été appréhendé mais selon le blogeur Passang Tshering : [12]

Dans mon village, tout le monde fume, chique ou prise du tabac…si la loi rest inchangée, le village entier va se retrouver derrière les barreaux…
Lisez ce que j'ai écrit l'année dernière… [12]

Et la jeune cinéaste Dechen Roder a écrit : [4]

Puisque toute personne lisant cette page sait qu'elle ne serait jamais contrôlée pour des cigarettes ou du tabac à chiquer, ceci devient élitiste. Récemment je suis rentrée par Druk Air et j'ai vu certains VIP avec qui j'avais fumé plus tôt dans la salle d'attente passer la douane sans ennuis…si nous devons nous conformer au respect de la loi, alors cela devrait nous concerner tous….cette loi a été conçue pour soumettre une certaine catégorie de la population  (la classe majoritaire)…et ma crainte principale est que, se rendant compte de leur maladresse, ceux qui ont fait cette loi préfèrent laisser les choses telles quelles, plutôt que d'admettre leur erreur.

Une jeune femme, Cee Dee Jamtsho, [4] a même pris la peine d'aller rendre visite au jeune moine :

Aujourd'hui j'ai tenu à rencontrer  Sonam Tshering….bien que je sois une inconnue, il était très heureux de me voir. Quand j'ai commencé à lui parler…ses yeux se sont remplis de larmes, et les miens aussi…c'était pénible de le voir menotté comme un criminel endurci…il m'a confié qu'il n'avait pas été au courant de cette loi, et le temps d'en prendre connaissance, il était déjà en prison…il semblait triste et apeuré…beaucoup de gens vont être appréhendés et emprisonnés…il est temps pour le gouvernement d'agir, avant qu'il ne soit trop tard…

Elle a aussi rencontré le père du détenu et a traduit ce qu'il a dit [13].

C'est Kencho Namgyal qui a le mieux résumé la situation en disant:

La loi sur le tabac est un formidable outil pour criminaliser des citoyens par ailleurs respectueux de la loi.