Palestine : Manifestations pour l'unité, un début

(Le billet d'origine en anglais a été publié le 14 mars)

[liens en anglais] Les Palestiniens ont d'abord été absents du “calendrier révolutionnaire” arabe, mais une date de manifestations avait bien été fixée au 15 mars, pour se dérouler dans les villes petites et grandes de Cisjordanie et de la bande de Gaza, et leur mot d'ordre est l'unité palestinienne, une prise de position contre les divisions qui déchirent depuis des années la société palestinienne.

Il s'agit d'abord d'appeler à l'unité et la réconciliation, mais d'autres revendications comprennent la libération de tous les prisonniers politiques détenus par le gouvernement de Gaza et l'Autorité Palestinienne de Cisjordanie, et une pleine représentation démocratique pour les Palestiniens du monde entier. La protestation, comme ailleurs dans le monde arabe, est décentralisée et organisée par une coalition de mouvements de jeunes, parmi lesquels Gaza Youth Breaks Out (NdT : ‘Les Jeunes de Gaza se déclarent’). Il y a cependant des craintes que les factions politiques n'essaient de récupérer le mouvement.

Laila El-Haddad explique pourquoi les Palestiniens manifestent :

Ces quelques dernières semaines, on m'a posé un tas de questions, dont peut-être la plus fréquente était : et la Palestine ? Pourquoi la jeunesse là-bas ne se lève pas ?

A part que la Palestine est un paradigme tout à fait différent – avec en plus un régime d'occupation israélienne d'un côté, et deux pseudo régimes sans souveraineté de l'autre, nous avons aussi le précédent que les Palestiniens se sont déjà soulevés – à deux reprises (la première et deuxième Intifadas) contre l'occupation israélienne – et ont donné l'exemple des premières élections réellement démocratiques du Moyen-Orient arabe en 2006, en soi un acte de changement monumental par le peuple.

Pourtant, les Palestiniens se soulèvent – à nouveau. Cette fois pour réclamer la fin de la désunion palestinienne dont les effets se font profondément sentir partout à l'intérieur de la société et des familles palestiniennes.

Un membre de Gaza Youth Breaks Out, Rawan Abu-Shahla, écrit :

Nous sommes un a groupe de jeunes palestiniens qui se sont rassemblés dans le seul but de laisser derrière nous nos identités et affiliations politiques, et choisir de mettre le meilleur de nos intérêts au-dessus du reste, unis autour de notre drapeau palestinien. Nous avons appelé à des manifestations pacifiques mardi, 15 mars, à travers la nation palestinienne — dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, les territoires de 1948 [Israël] et la diaspora palestinienne, pour proclamer ensemble un mot d'ordre unique : “Le peuple veut la fin de la division!” […] La division dans le corps politique palestinien a affecté chaque aspect de notre vie : social, économique, pédagogique et intellectuel. Ce sont les Palestiniens ordinaires qui ont payé le prix de quatre années de division qui n'ont qu'un bénéficiaire : l'occupant israélien. […] Ce mouvement est du peuple, et pour lui. Quant à Gaza Youth Breaks Out (GYBO), et tous les autres mouvements qui prennent part sur le terrain, nous avons seulement l'honneur de l'initiative. Tout le reste dépend à présent de la réponse de la rue palestinienne, et de sa force.

Demonstrating for unity, Gaza

Manifestation pour l'unité, Gaza (photo deSharif.H, reproduite sous licence CC BY-NC-ND 3.0)

Omar Ghraieb est un participant :

La jeunesse de Gaza a choisi le 15 mars pour date historique d'une immense marche de mobilisation exigeant la fin de la division palestinienne. Cette marche est organisée et menée par la jeunesse et la jeunesse SEULEMENT. Elle n'est pas conduite ou initiée par un quelconque parti politique à l'arrière-plan ou en coulisses. La marche a émergé comme la réaction de la jeunesse palestinienne à sa frustration et colère devant la division palestinienne et il est grand temps que cette division prenne fin.

Voir la révolution tunisienne, puis la révolte épique de l'Egypte, suivie de la Libye, ensuite Bahreïn et nombre d'autres tentatives arabes, nous a évidemment donné plus d'espoir et de motivation pour nous joindre à la Marche du 15 à Gaza. […] Je voudrais à nouveau insister sur le fait que je n'appartiens à aucun parti politique palestinien et que la marche est comme moi, elle n'est mue par aucun parti politique palestinien. Ce sont uniquement des jeunes qui veulent une vie meilleure et obtenir la liberté de leur pays en mettant fin à la division palestinienne d'abord et à l'occupation israélienne ensuite.

Mais tout le monde n'est pas sûr de participer ; Sameeha Elwan est un peu effrayée, et elle écrit :

Cliquer sur le bouton “Assister” sur Facebook commence à être une habitude depuis un an. Au point que je ne réfléchis pas vraiment si je pourrai assister ou pas tant que je soutiens l'événement ou ressens l'envie d'y aller. […] Mais jamais je n'ai autant hésité sur un événement que pour celui du 15 mars. On m'a demandé tant et plus ce que je pensais de l'événement à venir qui se met en place jusqu'à présent, et je garde le silence. […] Depuis cinq ans, je ne veux rien de plus que la fin de cette honteuse division. […] Le moment n'est-il pas venu que je sorte, scande des slogans et élève ma voix au milieu d'autres voix et coeurs autant que je désire que finisse l'état actuel de fragmentation qui fait qu'une nation entière est éclatée face à un pouvoir d'occupation pervers ? […] Pourtant, la spontanéité totale de l'événement me panique. Ce pourrait être un acte de lâcheté, la peur, peut-être. Un sentiment naturel, non ? Devrais-je en avoir honte ? Je ne crois pas. La peur, comme l'a dit un de mes amis, nous rend humains. Toujours inquiète, mais pleine d'espoir, aujourd'hui je pourrais finalement appuyer sur ce bouton. Une Palestinienne de plus qui s'ajoute aux milliers qui assisteront à la marche du 15 mars

En Cisjordanie, les blogueurs étudiants d’Arabiat ont aussi quelques doutes :

Nous n'avons aucune idée si la marche du 15 mars va éclater un une intifada radicalement différente ou si on verra deux mille manifestants en pause déjeuner scander mécaniquement, ou pas, des slogans contre la division et l'occupation. Le 25 janvier égyptien nous a donné du coeur, lorsque deux mille se sont multipliés en centaines de milliers ce seul premier jour. Y a-t-il de la tension dans l'air ? Pas vraiment. Personnellement, quand nous pensons à la journée fondatrice que pourrait devenir le 15 mars et comment ce sera un moment décisif dans la formation d'un véritable leadership palestinien pour s'attaquer de front à l'occupation, nos coeurs palpitent un peu. Cependant, nous ne voulons pas nous attarder trop longtemps là-dessus de peur d'avoir le coeur brisé si au lieu de cela une assistance clairsemée se montrait deux heures en hurlant des slogans histoire de lâcher de la vapeur avant de filer de nouveau à la maison.

Giant flag, Gaza

Drapeau géant, Gaza (photo de Sharif.H, reproduite sous licence CC BY-NC-ND 3.0)

De fait à Gaza, des protestataires ont commencé à se rassembler place du Soldat Inconnu dès la veille, le 14 mars. La décision a apparemment été prise parce qu'un mouvement affilié au Hamas a reçu une autorisation de manifester à leur place le 15 mars, et que les organisateurs de la manifestation pour l'unité ne voulaient pas que la leur, ni la place elle-même, ne soient dominées par une faction politique.

Bashar Lubbad a été l'un de ceux à se rendre sur la place un jour plus tôt (traduction anglaise de Nalan Sarraj):

سأحدثكم عن وصولي لساحة الجندي المجهول ما يقارب ثلاثة آلاف متظاهر من الشباب يطالبون بإنهاء الإنقسام رافضين تدخل الأحزاب و غيرها و خير دليل إنزالهم لمن دخلو على الأكتاف من قادات الحركات اليسارية و الشخصيات المستقلة و تكميم أفواههم، فهم بشكل أو بآخر سبب الإحباط الذي نعيشه..

الساعة الرابعة بدأ الإصرار على البقاء من المعتصمين مستبقين اليوم المتفق عليه، مضربين عن الطعام و رافعي لافتات كتب عليها الشعب يريد إنهاء الإنقسام وأخرى مش حنروح…

Je vais vous raconter mon arrivée place Al Jundi Al Majhol “du soldat inconnu”, plus de trois mille jeunes contestataires réclamant la fin de la division, rejetant toute intervention partisane, et la meilleure preuve était de rabattre les chefs de file des mouvements de gauche ou tout personnage neutre sur place, et de leur couper le sifflet, parce que d'une manière ou d'une autre ils font partie de la dépression où nous vivons.

A quatre heures l'insistance pour demeurer a commencé à s'enraciner parmi les protestataires même avant le jour prévu, grève de la faim, et tenir des panneaux avec écrit que le peuple veut faire cesser la division, et un autre avec “nous ne partons pas”…

Laissons le mot de la fin à Abu el Sharif, de son billet intitulé “The Day Before The Day” (‘Le Jour avant le Jour‘):

Je n'ai pas de mots pour décrire, mais le sentiment cru de la fierté…

Il faut le dire, j'ai de grandes attentes pour demain, et quoi que je fasse, cela semble si peu…

Global Voices suivra les manifestations et vous tiendra informés. (NdT : pour un compte-rendu de la journée du 15 mars, voir par exemple ici)

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