Ce billet fait partie du dossier de Global Voices Objectifs du Millénaire 2011.
Nana Darkoa Sekyiamah n'est pas une blogueuse qui fait l'unanimité (avertissement : certains billets de son blog ne sont pas destinés aux mineurs, mais ils sont en anglais…). Récemment, un lecteur de son blog a demandé [liens en anglais] :
Je me posais une question. Êtes-vous kenyane ? .. Je crois que oui. Pourquoi vous Kenyans êtes-vous obsédés par le sexe ? C'est peut-être le cinquième blog kenyan qui parle de sexe…Reprenez vos esprits…
Nana Darkoa a répondu :
Elyas, je ne suis pas Kenyane, je suis Ghanéenne. Vous devriez peut-être apprendre à ne pas juger les gens que vous ne connaissez pas. Vous présumez que les Kenyans sont des obsédés sexuels parce que cinq blogs sur le sexe sont tenus par des Kenyans ? Quelle bêtise !
Son lecteur a aussitôt rétorqué :
Nana. Je n'ai pas tiré des conclusions trop rapides. Ils n'y a pas de différences entre les Ghanéens et les Kenyans. Vous êtes tous des Bantous. Donc, vos deux peuples sont fascinés par le sexe. Vous croyez vraiment que c'est le chemin de l'éveil spirituel ? Il est évident que vous cherchez tous à imiter la culture occidentale. Gardez votre culture, et n'essayez pas d'être ce que vous n'êtes pas.
Des commentaires de ce genre sont l'exception plutôt que la règle sur le blog de Nana Darkoa : Aventures dans les chambres des femmes africaines. Au cours des deux dernières années, son blog Aventures est devenu un forum de discussions franches et intimes sur la sexualité pour les hommes et les femmes africaines. L'objectif de Nana Darkoa était de faire de ce blog un espace où poursuivre une conversation entamée il y a deux ans pendant des vacances passées avec un groupe d'amies. Durant quelques jours, elles s'étaient dévoilé des secrets et des problèmes intimes. Nana ne voulait pas clôturer cette conversation et s'est alors associée à une amie proche, Abena Gyekye, pour la mettre en ligne.
Nana voulait cependant que le blog soit plus qu'un espace où parler sexe. Elle est très ferme sur un point : que les femmes devraient être encouragées à prendre leur vie sexuelle en charge, et leur plaisir aussi. Selon elle, dans la plus grande partie du Ghana, une pudibonderie victorienne règne toujours sur la sexualité. L'éducation sexuelle, quand elle existe, est rudimentaire : si tu couches, tu tombes enceinte. Et la seule solution est l'abstinence. Ce n'est pas ce que les 10 000 visiteurs mensuels de son blog font.
Wow, voilà une lecture intéressante. Je viens de tomber sur ce blog et je suis stupéfiée par beaucoup des billets. J'ai laissé un commentaire sur celui-ci.
Nana Darkoa constate une immense curiosité envers le sexe dans la société ghanéenne, surtout chez les jeunes adultes qui en sont à l'explorer. Ne pas en parler ouvertement conduit la société à générer peur et mystère autour du sujet, et l'impression que ce vous faites est mal. Dans ce contexte, Adventures offre un espace sûr et anonymisé où parler de ces sujets. Les commentaires du blogs, qui sont souvent plus longs que les billets eux-mêmes, prouvent que ses lecteurs ont besoin de partager et de raconter leurs expériences, comme de commenter celles des autres.
J'ai trouvé toutes vos opinions très intéressantes. Je dois dire que j'ai beaucoup appris en lisant les billets et les commentaires aussi. Mais je dois dire aussi qu'il y a des choses qui n'ont pas été assez traitées, alors, j'ai décidé d'écrire sur mes propres expériences.
Il y a ceux qui trouvent Nana Darkoa “courageuse” d'oser écrire sur de tels sujet. Elle ne se considère pas courageuse, un mot qu'elle trouve plus adapté à ceux qui prennent de vrais risques. Pour elle, ce blog est une prolongation des nombreux rôles qu'elle tient par ailleurs : chargée des partenariats et du financement de l’African Women’s Development Fund, cofondatrice de la ligne de vêtements Maksi Clothing et fondatrice du groupe Fab Fem, un groupe féministe pour l'autonomisation des femmes. Le féminisme est au cœur de son blog et de tout ce qu'elle entreprend. Pour la dernière Journée internationale des femmes, elle a publié un manifeste passionné, son coming-out en tant que féministe :
Oh, alors, être féministe, c'est faire partie de ce mouvement qui veut changer le monde dans lequel nous vivons actuellement ? Qui veut créer un monde plus sûr pour les filles et les femmes, les communautés au sens large ? Alors, je deviens immédiatement membre de ce mouvement !
Le féminisme et le sexe sont seulement deux des sujets régulièrement abordés sur le blog. Les contributeurs peuvent tout aussi bien parler des relations amoureuses à distance, de la violence domestique ou de l'homosexualité. Les sujets sont souvent traités à la demande de ses lecteurs, ou à partir des remarques laissées dans les commentaires et qui, pour elle, méritent d'être mis en lumière. Un des sujets qu'elle espère explorer de façon plus approfondie est comment la sexualité s'insère dans la culture africaine. Elle n'est pas convaincue que la mode actuelle des “valeurs traditionnelles” représente la culture africaine. Nana Darkoa pense que les Africains devraient s'interroger sur le niveau de contrôle que les femmes ont actuellement de leur sexualité, s'il vient de la culture traditionnelle africaine, ou si il leur a été imposé plus récemment.
Ce qui inquiète Nana Darkoa, de façon ironique, est que beaucoup des blogueurs invités et des commentateurs sont des hommes.
Je suis arrivé sur ce fil de conversation par hasard via le lien sur le blog de quelqu'un d'autre, et c'est vraiment une lecture intéressante. Pour ma part, je suis un homme blanc, et j'espère que cela ne n'exclut pas des commentaires.
Cette majorité des lecteurs masculin est dû selon Nana au fait que les hommes ont plus d'accès aux espaces publics y compris en ligne et sont plus enclins à parler ouvertement de sexe. Mais face à cette audience masculine grandissante, Nana continue à dire qu'elle écrit pour les femmes uniquement. Elle espère que ces femmes (et les hommes) continueront à suivre et à participer pour que le blog Adventures passe les frontières et attirent de nouveaux lecteurs et contributeurs de l'Afrique entière.
Ce billet fait partie du dossier de Global Voices Objectifs du Millénaire 2011.