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Maroc : Polémique autour d'un Festival international de musique

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Maroc, Arts et Culture, Jeunesse, Médias citoyens, Musique

Chaque année, la capitale marocaine est l'épicentre d'un important festival de musique, Mawazine [1]. Depuis ses débuts modestes en 2001, Mawazine a grandi, pour devenir en dix ans le premier rassemblement national du spectacle, où se produisent des centaines d'artistes locaux et étrangers, offrant des affiches les plus éclectiques. Les organisateurs annoncent pour cette année un programme émaillé de stars, avec Shakira, Kanye West, Joe Cocker, Yusuf Islam, Tiken Jah Fakoly, Quincy Jones et Lionel Richie.

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Coucher de soleil sur Rabat par }{enry – sur Flickr sous licence CC Attribution 2.0 Generic

Le festival a eu sa part de polémiques ces dernières années. En 2009, les normes de sécurité ont été mises en cause après la mort d'une dizaine de personnes et de nombreux blessés [3] dans la bousculade qui a suivi l'effondrement d'une barrière grillagée. En 2010, les religieux conservateurs marocain voulurent faire retirer de l'affiche la légende de la pop Elton John, invoquant l'homosexualité du chanteur. Elton John fut propulsé au devant de la scène [4], à la grande joie d'une foule en délire.

L'édition de cette année du festival doit avoir lieu fin mai et se place dans des circonstances politiques particulières pour le Maroc. Ces derniers mois, les gens sont régulièrement descendus dans les rues pour réclamer le changement politique. Une de leurs revendications principales résultait du manque de transparence dans la façon dont le pouvoir dépense l'argent du contribuable. En tant qu'événement qui promeut l'image du Maroc à l'étranger, le festival reçoit un soutien financier et logistique public. Mais des contestataires, dont le mouvement des jeunes connu comme celui du “20 février,” a remis en question l'intérêt du financement public de l'événement. Une lettre ouverte [5] [en anglais] attribuée à cette mouvance a été publiée, demandant aux artistes qui ont confirmé leur participation au festival de reconsidérer leur décision. “En refusant d'y assister, vous contribuerez à réformer le Maroc et à paver la voie de sa transition vers la démocratie,” dit la lettre.

Sur Facebook  et Twitter, c'est une bataille aux points entre les pro- et anti-festival.

Un groupe de soutien au festival a lancé un blog sous le nom “Tous pour Mawazine”. Voici les termes de leur premier billet [6]:

Chers marocains, réfléchissez à tout ça. Agissez à votre manière pour pousser notre pays vers la vraie démocratie, celle de la liberté Soutenez le festival Mawazine et ne laissez pas ces obscurantistes éradiquer les Arts et la Culture, moyen d’expression démocratique.

Un groupe est apparu sur Facebook sous le nom [7] “La Campagne nationale pour l'annulation du Festival de musique Mawazine”, comptant dans les 20.000 membres. Voici ce que dit le préambule du groupe :

أطلقت هذه الحملة الوطنية بهدف أساسي هو الإلغاء النهائي لمهرجان موازين وكل مهرجانات تبذير المال العام في ما لا ينفع لأن أولويات صرف المال العام في المغرب هي البنية التحتية وتعزيز الخدمات الأساسية وتوفير مناصب الشغل لشباب الوطن

Cette campagne a été lancée avec l'objectif premier d'annuler le festival de musique Mawazine et tous les autres festivals où l'argent public est dilapidé. Les priorités pour dépenser les fonds publics au Maroc devraient être l'infrastructure, la promotion des services de base et la fournitures d'emplois aux jeunes.

Sur Twitter, les partisans du festival ont argué de la myopie de ses opposants, l'événement s'étant transformé au fil des années en une entreprise prospère qui a créé de la richesse et de nombreuses opportunités d'emplois. Moncef Belkhayat [8] est le Ministre marocain de la Jeunesse et des Sports. Il tweete [9] :

@citizenkayen [10] @meryemsaadi [11] mawazine a cree un vrai business model. Les subv(entions) publ(iques) representent tres peu par rapport a d'autres festivals de mus(ique)

Il ajoute [12]:

@citizenkayen [10] pourtant on devrai(t) etre fier d'avoir l'un des meilleurs festivals au monde..avec un bus(iness) model ou tout se vend! 35000 clients!

Houda C. est blogueuse. Elle regrette que le débat autour de Mawazine ait laissé de côté la question de ce qu'elle appelle “une stratégie culturelle” pour le pays. Elle écrit [13] :

Tout changement démocratique, nous le savons tous, ne sera complet sans une stratégie culturelle adéquate !
Tout d’abord un constat : l’activité culturelle aujourd’hui au Maroc s’apparente principalement, saufs rares exceptions, à de l’événementiel. On est principalement dans la culture du divertissement.

Il va s’en dire que les initiatives culturelles, personnelles ou associatives, ont vu un essor intéressant ces dernières années, mais ceci n’est pas le propos. Les initiatives indépendantes ne remplacent en aucun cas une véritable stratégie culturelle de l’état.

Nadia Lamlili est journaliste et blogueuse. Elle voit dans cette polémique la montée d'une culture neuve au Maroc : celle du “rendre des comptes” et affirme que les médias sociaux ont grandement contribué à ancrer cette culture dans les jeunes Marocains. Elle écrit [14] :

Ce que cette population reproche aux responsables de Mawazine ou à Moncef Belkhayate [ministre de la jeunesse et des sports], c’est qu’ils n’ont pas communiqué d’une façon transparente et cohérente sur la façon avec laquelle ils ont géré les deniers publics. Les Marocains sont en train d’exercer la culture du « rendre des comptes », Al Mouhassaba en arabe ou l’accountability en anglais. Et il est de notre intérêt à nous tous d’exercer ce droit sans susceptibilité, dans le total respect des lois et de la cohérence des pensées de chacun.

Car avec les médias sociaux, cette culture d’accountability ne fera que gagner du terrain. La rétention de l’information n’a plus lieu d’être. Les citoyens se sont appropriés les moyens d’information et en très peu de temps, peuvent recouper et publier. Bien sûr, il y a du bon et du mauvais sur la toile. Alors, pour se forger une position, cette jeune communauté cybernétique marocaine veut se baser sur la raison, des faits empiriques et vérifiables et…elle demande aux responsables de ce pays de faire de même.