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La Corée du Sud choquée par cinq suicides d'étudiants à l'université KAIST

Catégories: Asie de l'Est, Corée du Sud, Cyber-activisme, Education, Jeunesse, Manifestations, Médias citoyens

Les Sud-Coréens s'affolent d'une série de suicides qui ont eu lieu dans une prestigieuse université. Le système de sanction scolaire unique de l'établissement, mis en place par son Président, est mis en cause, et est accusé d'infliger aux étudiants un énorme stress, jusqu'à pousser certains à se donner la mort.

Quatre étudiants et un professeur de l'Institut Coréen de Science et de Technologie (Korea Advanced Institute of Science and Technology [1] [anglais]), l'une des universités les mieux classées de Corée du Sud, se sont donné la mort au cours de ces trois derniers mois. Des médias coréens et des étudiants du KAIST eux-mêmes ont mis en cause la pression d'une compétition intense et en particulier le système de sanction unique du KAIST, qui contraint les étudiants à s'acquitter d'une somme d'argent en cas de sous-performance scolaire. Le dernier suicide en date d'un étudiant  remonte au 7 avril. Selon Korea Herald [anglais], [2] un professeur du KAIST ayant été le tuteur de la dernière victime se souvient que son élève souffrait de ses résultats insatisfaisants. Le 10 avril, un professeur renommé du KAIST, qui avait été mis en examen pour détournement des fonds alloués à la recherche, a  lui aussi été retrouvé sans vie.

[3]

Image tirée de Pi Magazine Photo Library, CC License, sur le site Flickr.

Sanction scolaire

Sur Twitter, Lee Dong-hoon's(@Mr_DongHoon [4]) a récapitulé [5] [en coréen] le fonctionnement de ce système de sanctions.

카이스트.학점이 3.0이하로 떨어지면 0.01점당 63000원씩을 부과/학점 2.5면 약 300만원.이 더러운 벌금의 이름은 ‘수업료.’ […]

Si la note chute en-dessous de 3.0, l'étudiant est contraint de payer 63000 Won Coréens pour chaque 0.01 point manquant. Par exemple, si l'un obtient un 2.5, l'amende lui reviendra à 3 millions de Won Coréens. Cette infâme amende de fait est qualifiée de “scolaire”. […]

Un dentiste et professeur, Lee Yun-jung (@eyunjung [6]a tweeté [7] [coréen]:

카이스트 서남표 총장은 매우 이성적이고 합리적이지만 낙오자로 찍히는 고통을 모르는 것 같습니다”며 “학생들의 자살은 타인의 고통에 공감하지 못하는 이성이 얼마나 폭력적인지 보여줍니다. 광기는 이성의 결여이기도 하지만 이성의 극단이기도 합니다.

Le président du KAIST, Suh Nam-pyo,  est peut-être un homme rationnel et raisonnable. Mais il n'a aucune idée de la douleur que peut ressentir une personne lorsqu'on la qualifie de “ratée”. Les suicides des étudiants montrent à quel point la raison peut devenir violente et hostile. [note : le mot “raison” étant utilisé en tant que “Raison” comme opposée à “Émotion”] La folie vient du manque de raison, mais elle vient aussi de la raison poussée à l'extrême.

Faiblesse psychologique ? Appel à la démission du président du KAIST

Juste après le quatrième suicide, le président du KAIST, Suh Nam-pyo, a déclaré au cours d'une conférence de presse que l'université allait abandonner son système de sanction. Mais cela n'a pas suffi à dissiper l'inquiétude des Coréens, ni les débats qui persistent. Les internautes coréens appellent Suh à se démettre, étant à l'origine de ce système destiné à stimuler la compétition. Ils ont déposé une pétition en ligne [8] [coréen] sur le site Daum Agora, lui conseillant de démissionner. KAIST étant une université largement soutenue par le gouvernement, Suh devra également se présenter devant une commission d'enquête parlementaire le 18 avril afin d'expliquer ces décès récents.

Par ailleurs, les commentaires cruels de Suh après les suicides ont monté le peuple Coréen, jusqu'à ses sympathisants, contre lui. Le 4 avril, quelques jours après le troisième décès, Suh a posté une note [9] [coréen] sur la page d'accueil de l'université, révélant de façon indirecte son opinion, selon laquelle le suicide serait un signe de faiblesse psychologique. Le journal Kyunghyang a révélé [10] [coréen] que deux jours seulement avant le quatrième suicide, Suh annonçait : “le taux de suicide au sein des universités prestigieuses des États-Unis est bien plus élevé que le nôtre”, en réponse à un étudiant de première année au KAIST qui se mobilisait contre le système de sanction et l'a interrogé sur les suicides à répétition.

Cho Gook, professeur de droit à l'Université Nationale de Séoul et utilisateur influent de Twitter (@patriamea [11]) a tweeté [12] [coréen]:

KAIST 학생이 네 명 자살한 후에야 서남표 총장은 ‘차등수업료제’ 폐지를 발표했다. 학생을 ‘공부기계'로 만들려고 수업료로 위협하며 비극을 낳게 한 장본인은 도의적 책임을 지고 물러나야 한다.

Ce n'est qu'après le suicide de quatre étudiants que le président Suh a annoncé l'abandon du système en cause. Il assume sa responsabilité face à cette tragédie qu'il a provoquée en exerçant un chantage sur ses étudiants par le biais des frais de scolarité, et en les forçant à devenir des “machines à étudier”.

Après avoir été critiqué pour son appel à l'abdication de Suh, Cho posta [13] [coréen] un autre message sur Twitter, expliquant pourquoi sa démission était à ce stade nécessaire :

서 총장만 물러가면 해결되냐고? 물론 아님. 서 총장에게 ‘원한'이 있냐고? 만나본 적도 없음. 그러나 사태의 최고책임자가 그대로 있는 상태에서는 아무리 탁월한 능력을 가진 KAIST 구성원들도 방향을 재설정하기란 어려움은 분명함.

Le retrait de Suh résoudra-t-il tous les problèmes ? Bien sûr que non. Est-ce que je nourris une rancœur particulière à l'encontre de Suh ? Non. Je n'ai jamais rencontré cet homme. Mais il me semble clair que si le KAIST maintient encore longtemps en place son président, qui est entièrement responsable de la situation, personne, pas même l'équipe la plus compétente de l'université, n'arrivera à remettre cette école sur la bonne voie.

Des méthodes qui conduisent au suicide.

Certaines personnes soulignent le statut unique du KAIST, et affirment que ses étudiants devraient considérer le stress comme un dommage collatéral. En effet, ils sont soutenus par le gouvernement et jouissent de privilèges dont ne bénéficient pas les étudiants ordinaires. Le KAIST est une université constituée par le gouvernement coréen comme la première institution de sciences et d'ingénierie de la nation, et elle a depuis reçu un soutien financier et juridique considérable du gouvernement. Ses étudiants sont exemptés du service militaire, que tout homme coréen valide doit effectuer. Un théologien chrétien, Hahm See-young (@Deraugustinus [14]) a souligné [15] [coréen] cet aspect.

카이스트는 국민세금으로 공부한다. 자기발전뿐만 아니라 국가와 민족을 위해 헌신해야 한다. […]학습량과 연구량 수준에서 볼 때 한반도대학은 구미선진국대학과 비교하면 너무 쉽게 졸업한다

Les élèves du KAIST étudient à la charge des contribuables. Il est de leur devoir d'étudier non seulement pour leur développement personnel mais aussi pour la nation et le peuple coréen. […] Par rapport à la somme de travail et de recherche que les étudiants des universités occidentales doivent fournir, les étudiants coréens obtiennent leurs diplômes trop facilement.
La Corée du Sud est tristement célèbre pour sa fièvre de l'éducation, avec comme effet secondaire un taux de suicide, même parmi les jeunes, plus élevé que jamais. On estime [16] [coréen] que trois écoliers du primaire, 53 collégiens et 90 lycéens, soit 146 élèves en tout, auraient mis fin à leurs jours au cours de l'année 2010.

Un internaute connecté sous le nom de Suh Sang-hyun et ayant abandonné le KAIST en 2010, a accusé [17][coréen] sur différents forums publics la société coréenne d'être obsédée par les bons diplômes.

“이 학교에서 우리는 불행하다” 대자보를 보고, “불행하면 자퇴하면 되지 않느냐”는 댓글을 읽고 몇 자 적습니다. 동의합니다. 자살할 만큼 불행하다면 자퇴(보통은 휴학)하는 것이 맞습니다. […]그럼에도 그러지 못하는 학생이 많은 것은 대학 졸업장을 중시하는 한국 사회의 문제입니다.[…]

Certaines personnes, après avoir vu des affiches du KAIST qui disaient “Dans cette école, nous ne sommes pas heureux”, ont répondu : “Pourquoi ne quittez-vous pas l'établissement, si vous vous y sentez si malheureux ?”. Je suis d'accord. Il est justifié d'abandonner (ou de prendre un congé) si vous êtes malheureux au point de vous suicider. […] Néanmoins, comme un diplôme universitaire est essentiel dans notre société, personne n'a jamais osé le faire.

Le Président Suh a également adopté un système  intensif d'enseignement de l'anglais, imposant que la quasi-totalité des cours soit dispensée en anglais. Suh a déclaré que cette réforme allait augmenter la compétitivité de l'établissement, mais un collectif de professeurs s'est constitué, refusant que l'intégralité des cours soit donnée en anglais, estimant que dans la plupart des cas, les classes d'anglais avaient diminué le niveau de compréhension des étudiants et réduit au silence les échanges verbaux entre professeurs et élèves. Selon l'analyse [18] [coréen] du blogueur 격암(:Gyuk-Am), le système éducatif coréen est arrivé à un point de non-retour, où n'importe quelle réforme sera critiquée, même si elle est nécessaire.

대학생들이 자살을 했고 카이스트에서 공부하는것이 힘들다는 이야기가 나올때 서남표총장을 비판하고 보다 경쟁이 없는 환경을 주문하는것은 쉬운일입니다. […] 결론적으로 말하자면 서남표총장의 개혁이 답은 아니라고 할지라도 대학으로서는 앞도 뒤도 막힌 것같은 상황인것도 사실이라는 겁니다. 느슨하게 하자니 망할것같고 채찍질을 하자니 부작용이 나오고 그런것이죠.

Il est très facile de pointer du doigt le Président Suh Nam-pyo lorsqu'on entend parler des suicides étudiants et de la difficulté d'étudier au KAIST. Il est aussi facile de réclamer un environnement scolaire moins compétitif. […] Finalement, même s'il est vrai que la réforme sur l'éducation de Suh n'est pas la meilleure voie, les universités sont pourtant coincées dans une impasse où aucune solution n'apparaît suffisante. Lorsque vous lâchez du lest, vous perdez du terrain, et lorsque vous fustigez les élèves, les effets secondaires surgissent.

Afin de remonter le moral des étudiants, le KAIST a décidé de leur accorder deux jours de repos, du 11 au 12 avril, et les a encouragé à parler à leurs professeurs, une mesure modérée dont beaucoup remettent en cause l'efficacité.