Pérou : les centrales hydroélectriques de l'Amazonie de nouveau en débat

Nativos región Ucayali, Perú. (Foto: J. Enrique Molina)

Des indiens shipibo de la région d'Ucayali, au Pérou. (Photo : J. Enrique Molina)

La conjoncture électorale a temporairement relégué au second plan des sujets qui sont importants pour de nombreuses communautés péruviennes, notamment pour celles de l'Amazonie. Toutefois, la récente décision de la Commission interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) de demander au gouvernement brésilien la suspension immédiate du projet du très grand barrage hydroélectrique de Belo Monte remet sur le tapis des projets similaires promus par des entreprises brésiliennes au Pérou.

Dans le cas de Belo Monte (qui serait le troisième plus grand barrage du monde), la CIDH souligne la grande importance que revêt le droit des peuples autochtones à être consultés afin que ceux-ci puissent donner un consentement libre et informé, puisque l'on s'attend à de graves répercussions sociales et économiques.

Au Pérou, les très grands projets hydroélectriques les plus médiatisés jusqu'à présent sont les centrales d’ Inambari et de Pakitzapango, cette dernière étant inscrite au Programme d'Accélération de la Croissance (dont l'objectif est de stimuler l'économie brésilienne), lequel inclue par ailleurs les projets de Belo Monte et de Madeira, au Brésil.

Ces projets, communs au Pérou et au Brésil et représentant un total de 6 centrales hydroélectriques, sont aussi inclus dans l’Accord énergétique qui a été signé à Manaos l'an dernier et dans le cadre duquel le Pérou devrait exporter 6000 MW vers son voisin.

Les six centrales se situant en zone frontière sont celles d'Inambari (2000 MW), de Sumabeni (1074 MW), de Pakitzapango (2 000 MW), d'Urubamba (900 MW), de Vizcatán (750 MW) et de Chuquipampa (800 MW), et représentent un investissement estimé au total à 16 milliards de dollars US.

Pendant ce temps, les efforts d'information déployés sur les réseaux sociaux par les promoteurs du projet d'Inambari (lesquels ont même ouvert des comptes sur Twitter et Facebook) ne semblent pas convaincre les habitants des régions qui seront affectées.

Les Asháninkas qui rejettent le projet de Pakitzapango, sur le fleuve Ene (dans la région de Junín), car il s'agit pour eux d'un lieu sacré, voire, selon leur tradition orale, du berceau ancestral du peuple asháninka, ne paraissent pas non plus convaincus.

Comme l'explique la responsable autochtone Ruth Buendía sur le blog de Ideele Radio:

Comunidades Amazónicas Perú

Pour les communautés amazoniennes, les fleuves sont sources d'eau, de pêche, moyen de transport et partie intégrante de la vie quotidienne . Indiens de la forêt à Ucayali, au Pérou (Photo: J. Enrique Molina)

Le souci, c'est qu'avec les centrales hydroélectriques de Tambo 40 et de Paquitzapango, nos terres seront inondées, des forêts seront détruites, nos frères seront fortement déplacés en dépit du fait que les communautés autochtones soient propriétaires, et ils  seront touchés économiquement. Ceci concerne près de 10 000 Asháninkas, auxquels on doit ajouter les colons, soit environ 12 000 personnes. Avec Paquitzapango et Tambo 40, on assiste à une forme de terrorisme, pas avec des armes bien sûr, mais économique, assurément…

D'autres effets de l'impact social de ces projets énergétiques sont détaillés par Miguel Tejada sur le blog GranComboClub:

La construction des centrales va avoir d'importants impacts sociaux: des dizaines de milliers de colons et d'autochtones seront déplacés. Celui qui connait la forêt sait que tout le territoire amazonien a déjà un propriétaire. Les EIE [Etudes d'impact environnemental ] vont-elles  envisager tous les coûts sociaux qu'impliquent les centrales ? Ou va-t-il se passer ce qui se passe toujours dans notre pays, à savoir que le coût social va retomber sur les populations pauvres, discriminées et sans pouvoir, qui vivent là où s'étendront les futurs lacs ? Un analyste environnemental que je connais, et dont l'entreprise a été contactée par les Brésiliens pour faire l'EIE d'Inambari, m'a raconté que son entreprise a fait pour eux une analyse à partir de photos satellite et que ceux-ci ont établi d'une part que cette centrale impliquait à elle seule le déplacement de plus de 10 000 personnes et que, d'autre part,  les indemniser convenablement impliquait une dépense de relogement et de reconstruction de toute l'actuelle infrastruture existante (maisons, routes, écoles, centres médicaux, fermes, etc…), soit pas moins  d'un milliard de dollars. Combien les Brésiliens affirment-ils qu'ils dépenseront en indemnisations sociales ? Tout au plus 200 ou 300 millions de dollars.

Javier Albañil Ordinola, du blog Alto Piura, fait un lien entre ces sujets et la conjoncture électorale et commente les déclarations du candidat à la présidentielle Ollanta Humala, dont l'impartialité dans ce domaine est mise en doute par certains blogueurs. En effet, ses conseillers de campagne sont les mêmes que ceux qui ont travaillé à la campagne qui a permis à Luiz Inácio “Lula” da Silva de gagner la Présidence .

A Inambari et à Puno, les populations se sont mobilisées contre ce projet jusqu'à Lima même le 12 octobre 2010.

LA CONFEDERATION PAYSANNE DU PEROU ET LE FRONT UNIQUE NATIONAL DES PEUPLES DU PEROU ainsi que des milliers de paysans PUNEÑOS étaient présents. Ollanta a déclaré à LA REPÙBLICA [un journal local] qu'il expliquerait les avantages de ce projet. COMME SI LE PEUPLE SE MOBILISAIT PAR IGNORANCE, dans la méconnaissance du droit élémentaire des peuples à être consultés. CE NE SONT PAS DES AUTOCHTONES IGNORANTS COMME LE CROIT OLLANTA.

Le candidat Humala a déclaré à la presse qu'à son arrivée à la Présidence, il garantirait une consultation populaire sur ces projets, mais beaucoup ne le croient plus.

Le débat se poursuit dans les réseaux sociaux, et à titre d'exemple, Carlos Mauriola (@mauriola) tweete:

Si Humala est le Lula péruvien, je m'imagine ce que sera Inambari dans son supposé gouvernement….

Dans le même esprit, Rafael Vereau (@Rafa_Vereau) s'interroge :

Inambari: Comment Humala pourrait-il résoudre un projet que les Puneños rejettent mais qui engage d'importants capitaux brésiliens ?

Parallèlement, les promoteurs du projet d'Inambari ont créé une page sur laquelle ils réfutent les accusations et répondent à quelques-unes des question qui leur sont faites par e-mail et sur les réseaux sociaux, avec des arguments tels que ceux-ci:

Le projet d’ Inambari est une concession de 30 ans qui sera ensuite transmise à l'Etat péruvien… Egasur se consacre sérieusement au développement d'un projet comme celui d'Inambari et il espère pouvoir le mettre en œuvre, pourvu que la population directement impliquée le décide. Ce projet sera développé sur 5 ans et devra respecter les accords conclus avec la population avant le début des opérations. Le modèle d'Itaipú qui est examiné n'est pas le même que celui proposé pour Inambari… Le sujet des prix, de la  répartition et des pourcentages selon des accords qui peuvent exister sont des sujets qui échappent à l'entreprise puisqu'ils sont discutés à un autre niveau.

Pendant ce temps, pour trouver des références possibles, les Péruviens essaient d'apprendre ce qu'il en a été de la construction, la mise en eau et des impacts environnementaux et sociaux d'autres projets similaires dans la région, comme ceux d’Itaipú et d’Yacyretá, afin de se faire une idée de ce à quoi on pourrait s'attendre au Pérou dans un avenir pas si lointain.

Represa Itapú, frontera entre Paraguay y Brasil

La centrale Itapú Binacional, considérée comme la plus grande de l'hémisphère sud occidental, et la seconde plus importante au monde . (Foto: J. Enrique Molina).

Toutes les photos sont de J. Enrique Molina.

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