Chine : expulsion des « indésirables » des centres urbains

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices Objectifs du Millénaire 2011.

Les principales villes chinoises ont commencé, début 2011, à mener une politique d'expulsion des éléments considérés comme «dangereux» ainsi que des éléments «les plus pauvres» de leurs populations urbaines.

La proposition d'effectuer un «contrôle de la population» a été pour la première fois présentée lors du Congrès du Peuple qui s'est tenu en janvier dernier. Selon ce qui est affirmé, la capitale chinoise a dû ces cinq dernières années freiner la croissance de sa propre population; il a été estimé que plus de 700 000 personnes résidant actuellement dans la vieille ville seront relogées dans ses banlieues. Sans parler des «indésirables» et des «plus pauvres» qui font partie de la population urbaine, comme les migrants venant des campagnes, et qui seront contraints de quitter la ville.

Panorama della città di Shenzhen, Cina.

Panorama de la ville de Shenzhen, en Chine. Photo sur Flickr de yuan2003 sous licence Creative Commons BY-NC 2.0

Épuration de la population

Un déplacement similaire a eu lieu à Shenzhen à l'occasion du “Mouvement des Cent Jours”, un programme qui a débuté le 11 avril et qui doit s'achever le 31 juillet 2011. La ville se fixe pour objectif d'éloigner   80.000 personnes “hautement dangereuses» pour se préparer aux Olympiades universitaires 2011 [en anglais], un événement sportif universitaire de niveau international.

Comme le souligne Mary Ann O'Donnell dans son blog Shenzhen Noted :

L'action de nettoyage en prévision des Olympiades universitaires nous rappelle qu’ il existe bien un problème de hukou [système de recensement basé sur la résidence]; ou pour être plus exact, un problème quant à son absence. Shenzhen n'a tout simplement pas investi dans les infrastructures pour améliorer la sécurité publique; une tendance à persécuter les plus pauvres et les exclus s'est plutôt installée.

De plus, comme le fait remarquer à juste titre la blogueuse, à part le tour de vis sur les dissidents, le contrôle social s'opère tous les jours par le biais d'enquêtes approfondies de type «porte à porte» chez les citoyens ordinaires:

J'espère que les discussions concernant l'arrestation d'Ai Weiwei vont se poursuivre et que l'attention portée sur la manière dont l'Etat chinois surveille sa population de cols blancs, de hackers et d'artistes expérimentaux ne diminuera pas. Nous devons, par ailleurs, nous souvenir des 80 000 fainéants/voyous/ vagabonds qui ont soudainement disparu. La surveillance chinoise frappe les classes les plus pauvres au travers d'actions de nettoyage de «porte en porte» des bons, des brutes et des méchants. Le manque de quelconques informations certifiant l'existence de ses trois types d'individus, l'absence généralisée de  hukou ainsi que d'un revenu légal et d'une résidence fixe feront qu'à un moment donné, seules de faibles traces resteront de ce qui s'est produit. L'angoisse des cols blancs sera apaisée mais nous ne serons assurément pas plus en sécurité.

Shenzhen et Pékin ne sont pas des cas isolés; il est évident que l'intention d'appliquer dans les zones urbaines un contrôle social plus efficace en nettoyant la population de tels éléments est vouée à s'étendre aussi à d'autres villes importantes. Le blogueur  Not-old-nor-spicy se dit pessimiste sur le sujet :

Pékin a «une population pauvre», Shenzhen, elle, une «population hautement dangereuse». Il vaut mieux  s'en aller tout de suite plutôt que d'attendre d'être expulsé. Ces villes splendides sont réservées à la «population riche» et à la «population bien établie». C'est cruel à dire mais il faut bien le dire: dans les zones riches, les pauvres sont des «personnes hautement dangereuses» tandis que dans les zones les plus pauvres, ce sont les riches qui sont «hautement dangereux».

No-brother souligne combien une telle stratégie de contrôle social est illégitime, fausse et créatrice d'autres conflits sociaux:

J'ai quelques questions à poser: 1. Où peut-on relever la définition de «population hautement dangereuse» dans notre législation?  2. Où devront être relogées les personnes qui ont été éloignées? 3. Que se passera-t-il si, après avoir été épurées, celles-ci reviennent en ville? D'après mes connaissances limitées en Droit, le gouvernement de Shenzhen a violé les Droits de l'Homme.

[…] …Troisièmement, bon gré mal gré, les «personnes hautement dangereuses» sont aussi des citoyens de la République Populaire de Chine. Ceci est un concept fondamental qu'il est nécessaire d'aborder.  C'est par la compréhension de ces éléments de base que nous pouvons juger de la justesse ou non des actions du gouvernement de  Shenzhen.

Notre pays est en train de traverser une phase de transformation laquelle est secouée par des conflits sociaux multiples et complexes. Nous devons essayer des moyens efficaces d'intervenir, de faire en sorte que le «contrôle social» devienne «gérable» et que l’ «Etat du peuple» soit un «Etat de droit». Si toutes les villes suivaient l'exemple de Shenzhen, que deviendrait notre société? Nous n'avons pas réussi à expulser de la Chine toutes les «personnes hautement dangereuses», pas vrai? Shenzhen, arrête s'il te plaît!

La création d'ennemis

Dans un sondage en ligne publié l'an dernier sur le site  umiwi à propos de la politique de Pékin qui frappe «la catégorie de la population la plus pauvre», plus de de 85% (1.782 votes) des personnes interrogées se disent contre ces mesures d'expulsion. Voici trois des commentaires les plus largement partagés:

onghen778: Pourquoi aller à Pékin? Il est naïf de penser qu'on peut réaliser ses rêves dans cette ville. Les Chinois aiment à suivre les modes. Quelle est la «catégorie la plus pauvre de la population? Les pauvres appartiennent à la catégorie des bas revenus, les riches à celle des hauts revenus. Les riches ou les pauvres ne m'intéressent pas. Etre Pékinois ne signifie pas posséder un «haut» revenu. Le respect que l'on doit à une personne n'est pas dû à son lieu de résidence.  08/08/2010 12:33

Little bunny: Quelle est la catégorie la plus pauvre de la population?  Est-ce que seuls ceux qui sont nés à Pékin peuvent se dire Pékinois? Il y a tant de gens qui ont contribué à la construction de la ville. A  présent, les Pékinois profitent de bons services et ils stigmatisent les autres, cette «population à bas revenus». Mais  même eux sont Chinois et Pékin fait partie de la Chine. Toute la population a le droit de vivre sur le territoire chinois. Ceux qui réussissent à s'adapter à la vie urbaine  resteront en ville. Ceux qui ne s'y adaptent pas peuvent s'en aller. Cela n'a rien à voir avec la «catégorie la plus pauvre de la population». 08/08/2010 00:51

Diasporic Aoyang: Laissez-moi aborder la discussion d'un autre point de vue. Je vais vous montrer le revers de la médaille. D'abord, pour quel motif vous rangez-vous dans la «catégorie de la population la plus pauvre»? N'êtes-vous pas tous civilisés? Êtes-vous de ceux qui jettent leurs déchets sur la route ou les évacuent n'importe où?  Jetez un coup d'œil en bas, sur le trottoir , qu'est-ce que c'est que cette chose sombre? C'est du chewing-gum crachée par quelque mal élevé. Si quelqu'un venait chez vous et vous faisait la même chose, comment réagiriez-vous?  Ensuite, il n'y a pas de conflits entre nous. Le conflit se situe là-haut, dans les hautes sphères. Ils divisent la population en 3 classes: supérieure, moyenne et inférieure. Ils se rangent dans la catégorie supérieure et, sur la base de leurs propres critères, définissent quels sont les éléments les plus déclassés. Pas la peine d'épiloguer pour savoir si c'est juste ou faux, ils sont en train de se faire des ennemis. Les personnes qui vivent à Pékin sont comme tous les autre citoyens vivant dans les grandes villes, tous contribuent au développement de la société. Pour utiliser le concept de famille comme image, si les parents sont justes, les enfants seront unis et prendront soin des uns des autres. Si  les parents se comportent mal, les enfants se sépareront et leurs rapports seront compromis. Nous sommes tous des enfant désireux d'avoir de bons parents qui nous aiment et  nous laissent vivre en paix. N'êtes-vous pas d'accord? Nous sommes des gens normaux. 09.08.2010 10:07

Le ressentiment à l'égard d'une telle politique s'est transformé en une satire contre les privilégiés. Ci-dessous est rapportée une des satires les plus populaires sur la politique d'expulsion, laquelle a vu le jour sur Weibo grâce à l'éminent blogueur Lianyue :

A Shenzhen, il y a 80 000 citoyens hautement dangereux, combien y en a-t-il comme ceux-ci  vivant dans notre pays?    Quelqu'un a dit: 1,3 milliards, mon estimation personnelle est de 80 millions [NDT: c'est l’ estimation du nombre des appartements du Parti Communiste chinois]. Ce sont des personnes coincées en Chine, sans correcte occupation, qui se comportent comme des gangsters, embrigadés au sein d'une structure extrêmement organisée. Celles-ci ne savent pas s'adapter à la civilisation humaine et continuent à mépriser la personnalité du peuple chinois.

Jusqu'à présent (le 14 avril 2011 à 11:37) ce fil de discussion a reçu 498 commentaires, la majeure partie de ceux-ci sont très critiques quant à son opinion relativement au fait que 80 millions de personnes seraient hautement dangereuses:

…Il s'agit d'une histoire fausse, montée pour abuser les gens… Elles ne sont pas coincées en Chine mais elles consument la Chine comme un cancer.

On compte 80 millions d'adeptes. C'est la société la plus grande, la plus idiote et la plus impudente au monde.

Elles passent leur vie à faire du chantage aux citoyens chinois et le font de manière toujours plus sanguinaire.

Elles diffusent une image négative de la personnalité chinoise, ramollissent l'esprit des gens et pour masquer le chaos généré par le système politique, recourent au lavage de cerveau.

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices Objectifs du Millénaire 2011.

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