Le président Nicolas Sarkozy a voulu faire de la présidence du sommet du G8 de 2011, exercée par la France, une occasion de relever le lustre de ce pays à l'international, et, par ricochet, sur une scène politique intérieure déprimée. Quoi de mieux pour cela que le thème par excellence de la modernité, Internet ? Le sommet de Deauville, du 26 et 27 mai 2011, a donc été précédé en ouverture par un Forum à Paris, les 24 et 25 mai, sous le nom de e-G8 Forum. Mais à ce forum, il n'aura été question que d'économie, de droits d'auteur et de sécurité, avec pour seuls invités les représentants des gouvernements et des grandes entreprises.
Déception et pétitions
On a beau chercher, on ne trouve pas de réactions positives sur les blogs francophones.#eG8 : Error progress not found, titre ainsi Electron libre :
Certains avaient annoncé une conférence inutile, montée à la va vite à des fins quasi-électoralistes, il semble aujourd’hui qu’ils n’étaient pas loin de la vérité. Les citoyens et le monde du libre auront été les deux grands absents de ce forum dont on doute fortement qu’il ait un impact sur le futur du réseau des réseaux.
Cet internet “civilisé” proposé par Nicolas Sarkozy a plutôt suscité la pétition d’access, G8: Protect the Net (en anglais, allemand et espagnol), la suggestion d'une pétition sur Avaaz, la Déclaration de la société civile au G8 et e-G8 de la Quadrature du Net le 24 mai, et l’inquiétude de la CNIL.
Reporters sans Frontières, seule organisation avec Electronic Frontier à avoir été invitée à participer au e-G8, a dénoncé, sous “les tentatives de régulation du Net” :
l’existence de double standards entre le discours tenu par certaines démocraties et leurs actes, en faisant référence au traitement réservé à WikiLeaks par l’administration américaine. Les autres démocraties ne sont pas en reste : ”il est facile de défendre la liberté d’expression en Syrie, mais nous devrions le faire également en Italie, en Australie, en France”.
Avant de rappeler que la France est sur sa liste des “pays sous surveillance”.
Autopsie d'une promesse
Les choses avaient pourtant bien commencé en mai 2010, avec le projet de défense de la liberté d'expression sur internet, porté par l'ancien ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner. Las, l'hebdomadaire Marianne révèle comment le “cyber-président” Nicolas Sarkozy “stoppait net les velléités du quai d'Orsay pour mettre le Web au service des droits de l'homme” :
Des sujets programmés au temps de Kouchner, seuls demeurent le développement économique, la sécurité, la cybercriminalité, la gouvernance d’Internet et Hadopi – la liberté d’expression a mystérieusement disparu. Les cyberdissidents deviennent définitivement persona non grata au e-G8.
Le Journal Libre donne un florilège des propos de l'hôte de ce e-G8 :
Internet et société : « Ne laissez pas la révolution que vous avez lancée porter atteinte au droit élémentaire de chacun à une vie privée et à une pleine autonomie. Ne laissez pas la technologie que vous avez forgée porter atteinte au droit élémentaire des enfants à vivre protégés des turpitudes de quelques adultes. Ne laissez pas la révolution que vous avez lancée véhiculer le mal, sans entrave ni retenue. »
Internet, ami des démocraties ou instrument des puissants ?
Les défenseurs de la société civile ont une autre vision d'Internet. Korben trouve “hallucinant” cet “Internet civilisé” :
Internet c’est peut être l’outil qui manquait aux humains pour toucher du doigt leurs utopies.
L’eG8 c’est tout le contraire. C’est l’outil, ou plutôt la pub géante dont ont besoin les politiques pour reprendre le contrôle de quelque chose qui leur échappe. L’eG8, c’est du bling bling qui tente de voler la vedette au vrai Internet.
(…) l’Internet qui donne la parole à tout le monde, qui favorise la connaissance et le partage, qui donne des ailes aux démocraties. Un Internet loin de tout contrôle, de toute censure.
Pour Pixellibre, cette fois la mesure est comble d'où son “gros coup de gueule” adressé au président Sarkozy :
A force de stigmatiser Internet comme une zone de non droit à museler, vous allez déclencher quelque chose que vous ne pourrez plus stopper et, croyez moi monsieur, à ce jeu vous perdrez.
(…) Ayez un peu plus de considération pour la liberté d’expression et les blogueurs, nous parlons de vies humaines, du droit le plus fondamental qui est celui de la liberté… et vous parlez de la HADOPI…vous n’avez décidément pas encore compris l’importance d’Internet.
Agir
Le site reflets.info ironise sur les “grands amoureux de l'internet libre, ouvert et neutre” que sont les poids-lourds du secteur, vendeurs de technologies pour la censure, et se propose dans une série d'articles, de
présenter les technologies, les usages et les acteurs du Deep Packet Inspection (ici lien wikipedia). Les « connus », comme Qosmos, Alcatel, Thales, Nokia Siemens, Cisco… mais aussi de moins connus, dont le rôle, les marchés qu’ils investissent, les produits qu’ils exportent, parfois à des dictatures… nous mettent assez mal à l’aise.
Le parti pirate fait le bilan des mesures prises par la France de Nicolas Sarkozy sur le plan d'Internet, auxquelles il trouve un air de contrôle à la chinoise :
Sous le mensonge de la notion d'espace de «non-droit» et de volonté de le «civiliser», Nicolas Sarkozy est en train de faire d'Internet un espace où le gouvernement a les pleins pouvoirs, et où des sociétés privées traquent les internautes innocents, avec les dérives que cela entraine.
Jérémie Zimmermann, co-fondateur de La quadrature du net, conclut :
Nous possédons collectivement Internet comme un bien commun, et ensemble, nous devons tenir les gouvernements pour responsables de la protection de son ouverture, qui est au fondement de nos libertés.
Comme si vous y étiez
Quelques tweets en direct :
@jerezim : Le discours serait vraiment magnifique s'il ne s'adressait pas qu'à des chefs d'entreprises… #eG8 #Sarkozy
@jeffjarvis : Au #eG8, le pouvoir fait comme s'il devait nous protéger de l'internet. Au contraire, l'internet a besoin d'être protégé du pouvoir
M_C_B : bon le #eG8 c'est les Américains qui sont venus à Paris pour dire au Vieux continent de ne pas réguler la Toile…. #firstimpression
@VinZ : Wikipédia sur scène se considère comme représentant de la société civile #eG8 sa présence dans ce panel est bienvenue
Si vous n'avez pas suivi la manifestation en direct ou différé avec France Télévision, Korben vous propose en vidéos, un choix d’interventions, et cette “conférence de presse à l'arraché” des représentants de la société civile.
Enfin, l'e-G8 forum est sur Twitter.
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