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Pologne : Une initiative citoyenne pour l'interdiction totale de l'avortement

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Pologne, Droit, Droits humains, Femmes et genre, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Religion, Santé

600 000 personnes ont signé une pétition en soutien au projet d'amendement [1] [format PDF en polonais] à la loi polonaise sur l'avortement préconisant d'interdire sans exception l'avortement en Pologne, même lorsque la vie d'une femme est menacée. Le 1er juillet 2011, le parlement polonais (le Sejm [2]) [en français] a voté, contre une motion déposée par le parti Alliance de la gauche démocratique [3] [en français] de rejeter la proposition en première instance, en faveur du projet qui sera donc discuté en commission parlementaire.

Actuellement, la Pologne est dotée de lois sur l'avortement [4] [en anglais] parmi les plus restrictives en Europe, fruit d'un compromis entre les partis politiques. Selon la législation en vigueur, l'avortement est interdit sauf dans les trois cas suivants : quand la vie ou la santé d'une femme est en danger, quand la grossesse résulte d'un acte criminel ou encore quand le fœtus est trop mal formé. Ce ne sont pas les femmes enceintes qui sont pénalisées, mais toute autre personne impliquée ; il peut s'agir du médecin qui a pratiqué l'avortement ou d'une personne qui a convaincu la femme d'avoir recours à l'avortement.

Le projet d'amendement a été proposé par la commission législative citoyenne créée par la Fondation pour le droit à la vie [5] [en polonais]. Il est officiellement soutenu par le clergé [6] [en polonais] et a été la cause de nombreuses contestations. Selon une étude [7] [en polonais] demandée par la Fondation pour le droit à la vie, 65 % des polonais sont pour la protection de la vie dès le moment de la conception.

Sur la page Facebook [8] [en polonais] de la Fondation pour le droit à la vie, on peut lire:

Nous croyons que l'avortement est un meurtre commis à l'encontre d'une personne innocente. Nous croyons qu'à ce moment, le phénomène s'apparente à un génocide. Nous croyons que l'avortement dans un monde civilisé est un scandale. Voilà pourquoi nous agissons.

[9]

600 000 personnes ont signé une pétition en soutien au projet d'amendement à la loi polonaise sur l'avortement préconisant d'interdire sans exception l'avortement en Pologne. Photo par l'utilisateur de Flickr bartheq (CC BY-NC-SA 2.0).

 

La proposition a été la source de nombreuses controverses chez les cyber-citoyens polonais. Un blogueur masculin officiant sous le nom de Feminista007 exprime son mécontentement [10] [en polonais]:

Ce qui est scandaleux dans ce débat, c'est que les femmes sont totalement mises de côté et pas un de ces “défenseurs” (de la vie) ne parle de leurs vies à elles. De nombreuses femmes meurent en Pologne du seul fait des mauvais traitements médicaux (ou de l'absence de traitements tout court), parce que les médecins ont fait le choix de la raison. Cette conscience ne fonctionne pas souvent dans l'intimité de la salle de consultation. La seule chose qui y fonctionne sont les lois du marché. Le projet d'amendement ne protégera pas la vie, il risque plutôt de provoquer la mort de beaucoup de femmes et de renforcer le business de l'avortement illégal. […] Un des arguments invoqués par les partisans de cette initiative est que cette proposition a été signée par de nombreuses personnes, environ 500 000. Mais je pense que rassembler même 25 millions de signatures de citoyens ne donnerait à aucune de ces personnes, qu'elle porte une soutane, un pantalon ou une jupe, le droit moral de dire à une femme dont la vie est menacée ce qu'elle doit faire.

Le 29 juin, la professeure d'éthique polonaise et féministe Magdalena Środa a écrit ceci [11] [en polonais] sur la plateforme polonaise de micro-blog Blip :

Je suis contente que ces bêtises anti-féministes aient atterri au parlement. Cela permettra de lancer le débat sur la libéralisation de la loi de l'avortement.

Magdalena Środa fait également référence à une interview publiée dans la presse [12] [en polonais], dans laquelle elle affirme que de nombreuses personnes ayant signé la pétition n'étaient pas vraiment conscientes de ce qu'elles faisaient.:

Je pense que si elles-mêmes étaient confrontées à une situation de viol, à une grossesse non désirée ou à un choix à faire entre leur propre santé et la vie de leur enfant, ou si leur enfant était enceinte, elles décideraient d'avorter.

Sur son blog, Tomasz Terlikowski, philosophe et journaliste conservateur polonais, prend la défense [13] [en polonais] de cette initiative:

Il ne peut y avoir aucun compromis qui amène à tuer des gens. En 2009, 549 personnes furent tués, et d'année en année, ce chiffre grandit. Nous devons nous demander ce qui est le plus important: la vie humaine ou le compromis? Les morts ou la paix?

De nombreux blogueurs, de même que les médias traditionnels, considèrent que cette question fait naturellement partie de la future campagne électorale de 2011 [14] [en français].

Feminista007 critique [15] [en polonais] le parti au pouvoir, la Plate-forme civique [16] [en français], dont nombre des membres ne se sont pas déplacés pour aller voter, quand les autres, venus étonnamment nombreux, ont voté en faveur du projet d'amendement :

C'est une grosse, grosse erreur ! Il n'y a pas si longtemps, le député Donald Tusk déclarait que la Plate-forme civique ne se mettrait pas à genoux devant un prêtre. On ne peut pas s'agenouiller quand on est déjà à plat ventre! On peut parler en effet d'une situation pathologique quand les membres du parlement tremblent devant l'épiscopat. D'une certaine façon, c'est compréhensible, avec les élections qui approchent, et, comme toujours, l'église, qui est censée être apolitique, ne désignera pas son candidat mais penchera pour des valeurs. C'est à se demander qui gouverne la Pologne.

Alors que de nombreuses voix se focalisent sur l'importante influence de l'église sur ce débat, reakcjonistka explique [17] [en polonais] sur son blog:

Personne aujourd'hui ne veut débattre avec les opposants à l'avortement. Il suffit d'associer leurs croyances à la religion catholique pour pouvoir rejeter leurs demandes sans problèmes. […] Même si, à la base de l'opposition à l'avortement, on trouve la vision catholique du monde, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'autres arguments à apporter.

Dans ce contexte, certains portails féministes sur internet, tel que www.seksulanosc-kobiet.pl [en polonais], attirent l'attention [18] sur un documentaire de 2009 intitulé ‘Underground Women's State‘ [en polonais]. Sur le site internet [19] [en polonais] et dans le film, les auteurs tentent de montrer l'impuissance du mouvement polonais pour le droit à l'avortement face aux négociations politiques. Le film met en scène des activistes du mouvement issus de différentes générations ainsi que huit femmes qui ont eu recours à des avortements illégaux et racontent leur expérience pour la première fois.

Selon la description sur YouTube, aucun diffuseur n'a pris le risque d'acheter et de présenter le documentaire dans les cinémas, et la télévision, privée comme publique, ne l'a pas diffusé. Vous pouvez visionner le teaser ci-dessous (avec les sous-titres en anglais), téléchargé sur YouTube [20] par EntuzjastkiGF [en polonais] le 17 septembre 2009. (La version intégrale en polonais est ici [21].)

Le parti de l'Alliance de la gauche démocratique a décidé d'utiliser le débat pour mettre en avant sa propre perspective. Le 4 juillet, ils ont présenté [22] [en polonais] un projet de loi visant à libéraliser le droit à l'avortement. Le parti veut introduire la possibilité d'un avortement légal et remboursé jusqu'au 12ème mois de grossesse et financer les moyens contraceptifs et l'éducation sexuelle dans les écoles. Rbik53 fait cette conclusion [22] [en polonais]:

…Quel dommage que la campagne électorale se déroule aussi rapidement…