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Maroc : Une réforme au goût d'inachevé

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Maroc, Droit, Élections, Gouvernance, Jeunesse, Manifestations, Médias citoyens, Politique

Ce billet fait partie de notre dossier spécial sur les manifestations au Maroc en 2011 [1].

Après plusieurs mois de manifestations de rue, le roi Mohammed VI, a soumis vendredi dernier à un référendum populaire un projet de constitution. Selon les résultats officiels, le document proposé a obtenu un taux d'approbation de 98 %, avec une participation massive (73%) au scrutin des électeurs inscrits. Les partisans de la nouvelle constitution fêtent ce qu'ils disent être une importante avancée de la démocratie.

Le mouvement pro-démocratie, qui appelait au boycott, considère que la nouvelle constitution est en-dessous des attentes des contestataires et doute des résultats annoncés par le pouvoir. La jeunesse du mouvement du 20 février, à la tête des actions de protestation depuis quatre mois, dénonce une tentative vaine de détourner la colère populaire.

Moroccans rally for reform. Picture posted on Flickr by Magharebia under a CC Attribution 2.0 Generic license. [2]

Les Marocains défilent pour la réforme. Photo sur Flickr de Magharebia sous licence CC Attribution 2.0 Generic.

Jamais encore la blogosphère marocaine n'avait connu telle agitation. Le débat enflammé qui secoue la société marocaine a son reflet en ligne. Les uns sont prêts à accepter et soutenir la réforme proposée par le Roi. Les autres mettent en doute la légitimité d'une procédure qu'ils disent grossièrement déséquilibrée et entachée d'irrégularités.

Blogger Ibn Kafka publie [3] ce commentaire d'un électeur anonyme :

Dans l’absolu, j’aurai pu penser « Oui » mais la méthode en soi m’agace, elle clame le « Oui à la nouvelle constitution » sensé représenter le changement, mais tout le processus crie le « Non » , il veut dire pour moi « Nos méthodes sont restées les mêmes, vous avez quinze jours pour avaler 180 articles et les approuver, et surtout n’allez pas croire que quelque chose a changé« .

Pourquoi ai-je le sentiment d’être victime d’une gigantesque mascarade ?

Myrtus, une Néerlandaise d'origine marocaine, a voté vendredi pour la première fois. Elle pense que le Maroc devrait être satisfait de ce qu'elle considère comme une évolution progressive vers une démocratie pleine et entière. Elle écrit [4] [en anglais] :

Installer la démocratie du jour au lendemain risquerait de déstabiliser le pays, alors je préfère personnellement la séparation des pouvoirs par paliers graduels à mesure de l'évolution de la société.
Admettons-le, si nous devions avoir une nouvelle élection dans quelques mois, la cuvée actuelle d'hommes politiques ne va pas disparaître par magie de la scène pour laisser place à une réserve flambant neuve de politiciens réformistes dans laquelle faire notre choix.

La blogueuse Hind vit dans le nord du Maroc. Elle aussi votait pour la première fois. Elle explique [5] [en arabe] les motivations de son vote :

يوم 01/07/2011 كنت من أوائل المصوتين وأدليت بصوتي على الدستور الجديد. إن الربيع العربي والحراك الشعبي الذي قام به شباب عربي من المحيط إلى الخليج غير المفاهيم وغير نظرت الفرد العربي نحو السياسة, وبما أني واحدة من هدا الشعب تغيرت رؤيتي نحو المشهد السياسي أيضا وبت أشعر أني مكلفة بأن أقوم بدوري كمواطنة في الاختيار السياسي و تبين لي جليا أن المقاطعة هي من بين الأسباب التي أدت إلى وجود مشاكل ووجوه معينة أو اسر معينة تحكم دون غيرها
Le 1er juillet, j'étais parmi les premiers à voter. Le Printemps Arabe et le mouvement populaire qui balaie la région de l'Atlantique au Golfe ont contribué à changer mon approche de la politique. Aujourd'hui je sens de mon devoir de jouer mon rôle de citoyen dans le choix politique qui nous est proposé. Je pense que le boycott est une des raisons des problèmes que nous connaissons aujourd'hui, y compris la mainmise sur la politique par quelques familles et visages familiers.

Wordsforchange estime que le résultat du référendum révèle ce qu'elle interprète comme le fossé entre l'élite et “les masses” marocaines. Elle écrit [6] [en anglais] :

[C]es 98.5% montrent combien les nouvelles “élites” marocaines sont isolées dans leur monde virtuel et leurs cercles fermés de gens qui leur ressemblent exactement, au point qu'ils ont vraiment cru une seconde que les masses marocaines vont se révolter. [C]e référendum est un rappel à la réalité.

Le blogueur thestrategist est satisfait du résultat et affirme que les partis politiques doivent emboîter le pas et s'adapter au changement. Il écrit [7] [en anglais] :

La vraie question est maintenant que la conscience politique marocaine est bien vivante, avec cette participation massive, les partis politiques seront-ils capables de suivre ? On pourrait assister à une recomposition majeure du paysage politique au Maroc, avec la jeunesse, aussi partie prenante de ce référendum et de la société, qui cherchera à explorer plus loin ses choix politiques et rechercher les partis les plus représentatifs. Les vieux partis sont mis hors-jeu par leurs réputations. Leurs figures de proue sont peu attrayantes, et s'il n'en émerge pas une nouvelle classe plus jeune de dirigeants, ils disparaîtront, car ils ne représentent qu'eux-mêmes.

Une opinion partagée par le blogueur Citoyen Hmida. Il pense qu'il est demps de surmonter les différends politiques et de traduire le document nouvellement adopté dans la réalité. Il écrit [8] :

Cette nouvelle constitution n’aura de sens que si elle est suivie d’effet : le prochain parlement aura un rôle historique (le mot n’est pas innocent) car il devra voter une pléthore de lois pour rendre viable ce texte fondamental!
Le Maroc est-il prêt à relever le défi ?
Surement, si l’on reste unis!
QUE CHACUN DE NOUS RETROUSSE SES MANCHES ET CONTRIBUE A FAIRE BOUGER CE PAYS! Le temps n’est plus ni aux slogans vides ni aux gesticulations vaines!

Le blogueur marocain chevronné Larbi a régulièrement rapporté en direct les manifestations récentes de Rabat et Casablanca. Du mouvement du 20 février conduit par la jeunesse, il dit [9] :

J’étais honoré et heureux de partager avec eux le combat démocratique à travers plusieurs manifestations, la répression parfois, les intimidations souvent, et tout récemment la haine d’une foule fanatisée par le pouvoir. Certains sont devenus des amis. Et croyez-moi sur parole, ces jeunes gens sont loin de la caricature de monstres haineux qui leur ai donnée par le pouvoir et ses officines. Bien souvent ce sont des jeunes femmes et jeunes hommes de qualité passionnés et aimant leur pays.

Le résultat du référendum a peut-être ravi certains, mais il en a frustré beaucoup d'autres qui trouvent les changements trop timorés. Un sentiment d'incertitude et de découragement apparaît chez les contestataires. Larbi ne voit pas de quoi désespérer. Il écrit [9] :

Le regard lucide qu’il convient d’avoir sur le référendum du vendredi dernier, ne doit pas nous conduire au découragement et au renoncement. Il n’y a pas de raison à désespérer. Quelque chose s’est définitivement levée le 20 février et ce n’est pas la parodie de consultation référendaire qui peut l’arrêter. Mamfakinch [nous ne lacherons rien] et nous nous battrons !

Des milliers de partisans de la démocratie sont descendus dans la rue dimanche, avec l'engagement de poursuivre les manifestations hebdomadaires jusqu'à l'obtention d'une réforme pour eux véritable.

Ce billet fait partie de notre dossier spécial sur les manifestations au Maroc en 2011 [1].