La liberté de mouvement est un droit essentiel de notre monde. Mais il semblerait que celle-ci puisse facilement être ôtée par ce même État qui est appelé à protéger ce droit.
Le 6 juillet dernier, les leaders de l'opposition politique Boris Nemtsov [italien] et Vladimir Milov [anglais] se sont retrouvés soudainement face à l'interdiction de quitter la Russie sur ordre du Service judiciaire fédéral du pays.
Interdiction de voyager
Ce concept d’ “interdiction de voyager” occupe une place spéciale dans le cœur des citoyens russes qui ont vécu sous le régime de l'Union soviétique ; le régime soviétique avait l'habitude de sanctionner ses citoyens qui pensaient “différemment” en leur refusant l'autorisation de quitter le pays.
Seuls les membres “fiables” de la société soviétique jouissaient du privilège de voyager à l'étranger, tandis que ceux qui critiquaient ou pouvaient potentiellement critiquer le communisme devenaient des “voyageurs interdits” (“Nevyezdnoy,” un mot qui est devenu un synonyme de “dissident” en russe). La sanction consistait en fait en l'obligation pour les citoyens de vivre en Union soviétique. Cela aurait été presque drôle, si cela n'avait pas été aussi triste.
L'interdiction a probablement été émise à l'encontre de Nemtsow et de Milow sous la pression de l'important homme d'affaires Gennady Timchenko [en anglais] et a été prise en raison des déclarations faites contre lui dans un article intitulé “Poutine, 10 ans de résultats” ( une traduction officieuse est disponible ici [en anglais]). Réalisée par Nemtsov et Milow, cette enquête dénonce sans hésitation le fait que Timchenko est devenu milliardaire grâce à ses liens étroits avec le Premier ministre russe, Vladimir Poutine.
Un tribunal russe a par la suite ordonné aux auteurs de se rétracter publiquement, ce qu'ils ont fait dans les pages du journal bien connu Kommersant.
“M. [Gennady] Timchenko était encore mécontent car les caractères typographiques du texte de ce démenti étaient trop petits”, a ensuite relaté [en anglais] Nemtsov à Radio Free Europe. “C'est pourquoi il a demandé que nous soyons consignés dans le pays pendant 6 mois”.
Le Service judiciaire fédéral russe a d'abord délivré l'interdiction de voyager, pour annoncer ensuite l'ouverture d'une enquête sur l'affaire et l'annulation de cette même interdiction, la qualifiant de “prématurée”.
Le militant Oleg Kozlovsky commente cette décision sur Twitter :
Сообщают, что запрет Немцову на выезд из страны отменен как “преждевременный”. Время еще не настало то есть.
Réponse indignée
Cette interdiction a indigné les blogueurs russes. Le militant Ilya Yashin écrit :
Эта история – прецедент. Впервые выезд из страны закрыт гражданину за претензии нематериального характера, при том что сами приставы признают: решение суда выполнено.
Кажется, приставы уже сами испугались своего решения и скандала, которым оно чревато. Как еще расценивать тот факт, что они начали сами себя опровергать?
Et il ajoute plus loin :
Судя по всему, это “наш ответ Чемберлену”: реакция российских властей на “список Магнитского”.
La “Liste Magnitsky” contient les noms des fonctionnaires russes [en anglais] liés à la mort de l'avocat qui luttait contre la corruption, Sergei Magnitsky. En décembre 2010, le Parlement européen a voté une interdiction de visa pour les personnes figurant dans cette liste.
“Actuellement, tous les médias publient des articles selon lesquels les autorités judiciaires n'ont jamais interdit à Nemtsov de quitter le pays, a commenté le blogueur habivara, faisant allusion au contrôle du gouvernement sur les médias.
Le blogueur ziptop apporte sa version des événements (que l'on peut considérer comme plausible) :
Il s'est passé quelque chose qui a empêché Nemtsov et Milov de respecter la décision du tribunal. Les avocats de Timchenko se sont plaints de ceux-ci auprès des autorités, qui ont été effrayées et surprises de l'influence du milliardaire et se sont hâtées d'émettre l'interdiction. Il en est né un scandale, reprenant le thème du vieux “Rideau de fer”, et les autorités russes se sont rendues compte que ceci ne faisait que nuire à l'image du pays et jouait à l'avantage de Nemtsov et Milov. D'où le fait qu'ils ont rapidement décidé d'annuler l'interdiction.
“Finalement, la situation est devenue stupide et ridicule”, écrit ziptop.
L'auteur Andrey Malgin (avmalgin) donne son avis :
Думаю, дело было так. Как только выступление Немцова на судилище в Брюсселе было анонсировано, один человек в Белом доме стал топать ножкой и истерить: “Да запретить ему ездить за границу и нас там грязью поливать!” Тут же и выполнили. Но на высоком уровне (это видно по другим опубликованным документам), вниз не доложили. А низ сдуру опровергать начал. По-другому объяснить трудно.
“Mon cas est différent”
Boris Nemtsov (dont le nom apparaît dans le blog bien plus que celui de Milov, qui, maintenant, déplore le nombre de blogueurs pro-Nemtsov qui le laissent en dehors de cette histoire) a été associé au dissident politique qui a fait scandale Eduard Limonov [en anglais]. Les autorités judiciaires lui avaient aussi interdit de quitter la Russie. Comme l’écrit Limonov sur son blog, cette similitude ne lui a assurément pas fait plaisir:
Я вам не “ТОЖЕ”, господа, я давным-давно невыездной,а по постановлениям приставов, на протяжении двух с половиной лет, с 15 декабря 2008 года. […] Так что не нужно меня тут рядом с Немцовым через запятую ставить, который в настоящее время сидит, между прочим в городе Страсбурге, Франция. И мотается куда ему надо, когда вздумает. Вот когда его не пустят за границу, тогда напишите : “Борис Немцов стал невыездным, и таким образом пополнил собой список невыездных российских оппозиционных политиков, среди которых Эдуард Лимонов…” и так далее.
Il semblerait que tout est bien qui finit bien. A présent, Nemtsov et Milov peuvent voyager à l'étranger et les interdictions de voyager restent tout au plus un reliquat de l'ère soviétique. Il est nécessaire de se rendre compte qu'au 21ème siècle cela n'a aucun sens de sanctionner (ou d'essayer tout au moins) une personne en lui refusant le droit de se déplacer hors de son pays ou à l'intérieur pour des raisons politiques.