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Ouganda : Les Ougandais se mobilisent en ligne pour sauver une forêt

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Ouganda, Cyber-activisme, Environnement, Médias citoyens, Politique

Forêt Mabira, photo sur Flickr de Tattooed JJ (CC BY-NC-ND 2.0)

Mabira est un mot que presque tous les Ougandais présents sur les réseaux sociaux en ligne ont mentionné la semaine dernière.  La forêt Mabira [1] se trouve au centre de l'Ouganda, près de la capitale  Kampala. C'est l'une des rares forêts primaires qui ait survécu à des années de dégradation environnementale et de déforestation.

La diminution de la couverture forestière de l'Ouganda est imputable à l'augmentation de la population, qui dépend largement de l'agriculture, mais la lutte cette fois-ci est dirigée contre le gouvernement et une société de production sucrière, la Sugar Corporation of Uganda Limited (SCOUL), qui a l'intention de transformer une partie de cette forêt en champs de canne à sucre. En 1990, la forêt ougandaise représentait 5 millions d'hectares mais en 2005 il n'en restait que  3,5 millions. L'Ouganda est parmi les dix pays africains qui ont perdu le plus d'hectares de forêts.

[2]

Dessin de Fred Senoga Makubuya sur la saga de la foret Mabira. Image publiée avec l'autorisation de Fred Makubuya.

[liens en anglais sauf mention contraire] Les Ougandais sont descendus dans la rue pour la première fois en  2007 pour protester contre la décision du President Museveni [3] de céder des lots de la forêt Mabira à la Sugar Corporation of Ugandan Limited (SCOUL). La décision de dé-sanctuariser la forêt avait soulevé une forte opposition et plus d'un millier d'Ougandais avait manifesté dans les rues de Kampala.  Au moins trois personnes avaient été tuées [4] [en français].

La semaine dernière, le président Museveni a annoncé qu'il poursuit ce projet et cède une partie de la forêt pour remédier aux pénuries de sucre.  Et l'opposition est toujours aussi forte.  La forêt Mabira est un bassin versant [5] [en français] et abrite une biodiversité très riche. Cette fois-ci encore, les associations écologistes, comme les partis d'opposition, préparent des manifestations. Les membres du parti au pouvoir, le Mouvement de résistance nationale (National Resistance Movement ou NRM), se sont aussi opposés à cette cession foncière durant une rencontre avec le président cette semaine.

Sur Facebook, de nombreux groupes ont été créés, qui vont du Ugandans Against Mabira Forest Give Away [6] à Save Mabira Now [7].

Beaucoup de discussions en ligne ont lieu en ce moment. L'utilisateur de Facebook  Osotto Denis [8]se demande pourquoi le président tient tellement à la cession de cette forêt :

Pourquoi le Président veut-il tellement donner Mabira au Groupe Mehta [NdT : actionnaire de la SCOUL) pour quelques millions de dollars et plus de sucre ? Se peut-il que le Président et Mehta fassent des affaires ensemble en coulisses ? Une enquête sur les participations financières de Mehta dans la SCOUL et d'autres investissements devrait être faite, j'ai comme l'impression qu'on y découvrirait pourquoi  M7 (NdT : surnom de Musuveni) s'obstine à vouloir décimer Mabira.

Patricia Sembuse est reconnaissante [9] au Royaume du Buganda [10] [en français] et à l'église anglicane, qui ont décidé de proposer d'autres terre à la société sucrière, pour sauver Mabira :

A Mubende, sur la route Mityana, il y a beaucoup de terres non habitées, pourquoi la SCOUL ne va-t-elle là bas, ou dans tant d'autres endroits ? Nous remercions le Kabaka et l'Eglise anglicane Mukono pour leurs offres !

La SCOUL est la propriété d'un Ougandais d'origine indienne, et l'affaire a ranimé de vieilles inimitiés entre Ougandais et Ougandais d'origine indienne, principalement parce que le président a justifié sa décision par la création d'emplois pour les populations locales.

Mary Kelly [11]donne des informations sur les salaires des postes clés dans cette société :

Tous les chefs de service et les directeurs départementaux sont Indiens, pour résumer. Au niveau des cadres, SCOUL emploie au minimum 36 Indiens. A part la direction, des postes moins importants sont aussi détenus par des Indiens, par exemple, dans la division production seulement, les employés responsables des approvisionnements en fuel et les contre-maitres des champs de cannes à sucre sont Indiens. Donc, la SCOUL emploie au minimum 100 Indiens. Ensuite, pour ce qui concerne les salaires, c'est un désastre : les cadres supérieurs indiens sont payés au moins  1500 dollars US dollars, qui sont virés sur leur compte bancaire chez eux (en Inde), donc ils ne paient pas d'impôts. En plus, ils touchent au moins 500 000 Shillings ougandais chaque semaine (environ 180 dollars US). Alors que  les managers noirs, dont la plupart ne sont qu'adjoints, sont payés au maximum 500 Schillings

Ochan Moses [12]estime que les mille et plus membres des groupes Facebook [12]doivent s'impliquer plus :

Je pense que nous devions faire plus que juste protester contre la cession de Mabira. Les membres de ces groupes devraient diriger la campagne de replantation pour la partie déforestée. Je crois que les OUGANDAIS financeront avec générosité la restauration de Mabira.

Peter Nyanzi [13] juge que cette nouvelle tentative du président de donner Mabira est destinée à détourner l'attention des Ougandais de l'inflation et des problèmes économiques :

Monsieur Museveni est acculé de toutes parts par la crise économique, le Shilling ougandais qui se dévalue, un coût de la vie qui explose et les grèves qui en ont résulté partout, il voulait quelque chose qui détourne l'attention de l'opinion publique et canalise l'énergie en trop…oh, comme elle a bien réussi, la diversion Mabira !

Beaucoup d'abonnés à Facebook en Ouganda ont partagé ce message sur leur mur :

Demandez à tous vos amis qui aiment cette forêt merveilleuse de se joindre à SAUVEZ MABIRA MAINTENANT … Voyons si on va réussir à réunir 1000 signatures cette semaine. Commençons à sauver Mabira aujourd'hui.

Fred Senoga, dont les caricatures politiques sont très appréciées sur Facebook, a publié ce dessin, [14] représentant le President Museveni et le propriétaire de la société sucrière, le Groupe Mehta.

Sur Twitter, les Ougandais utilisent les hashtags (mots clés) #Mabira et #SaveMabira:

@AndyKristian
écrit que laisser déforester Mariba serait irresponsable  :

Cher président  @KagutaMuseveni. Ne déforestez pas  #Mabira s'il vous plait. Ce serait totalement irresponsable ! #Environnement #Changement climatique #Uganda

@UgandaTalks [15] a indiqué que le Groupe Mehta aurait publié un rapport affirmant que la partie de la forêt convoitée, qu'il veut exploiter en canne à sucre, était déjà dégradée auparavant. Lundi, le gouvernement a invité les journalistes à visiter la forêt, mais ils n'ont pas pu localiser cette partie supposément dégradée de la forêt.

@andsjeff [16]assure que de l'argent est déjà passé entre le Groupe Mehta et le président Musuveni, une rumeur qui a beaucoup d'écho dans le pays :

@TusiimeSamson On dit que #Mabira appartient déjà à Mehta ! Elle a été donnée comme contrepartie de son soutien financier aux campagnes électorales de 2006 !!

@pjkanywa [17] dit que l'imminente cession de Mabira n'a que très peu à voir avec le sucre, ou l'économie :

Toute cette saga #mabira saga n'a rien à voir avec le sucre ou l'économie, c'est juste l'histoire d'un voyou qui veut se convaincre qu'il est le boss dans la cour de récré.

Il y voit une manifestation du pouvoir absolu [18] :

#Mabira, c'est plutôt Mzee (Musuveni) qui veut nous montrer qu'il peut faire ce qu'il veut, quand il veut…Contrôle et pouvoir absolu  ! @TimKalyegira #uganda

Vignette de la Forêt Mabira, photo sur Flickr de Tattooed JJ [19] (CC BY-NC-ND 2.0).