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Jamaïque : Un clip pour la tolérance envers les gays est interdit de diffusion

Catégories: Caraïbe, Jamaïque, Droit, Droits humains, Education, Ethnicité et racisme, LGBTQI+, Média et journalisme, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Politique, Relations internationales, Religion, Technologie

Le Jamaica Forum for Lesbians, All-sexuals and Gays (J-FLAG) [1] (Forum Jamaïcain pour lesbiennes, toutes préférences sexuelles et gays) a récemment produit une vidéo d'intérêt général encourageant les Jamaïcains à accepter inconditionnellement les membres de leur famille qui sont homosexuels.  L'organisation espérait que son message serait diffusé à la télévision nationale en août, [2] mais un mois plus tard, les médias jamaïcains semblent toujours décidés à ne pas diffuser le clip [3]. On y voit  Miss Monde Jamaïque et Miss Univers Jamaïque, Christine Straw, et son frère gay racontant leur histoire personnelle. [4] Traditionnellement, en Jamaïque les messages d'intérêt général sont diffusés gratuitement à la télévision, mais il semblerait que la direction des médias ait déclaré lors de discussions qu'ils ne diffuseraient pas cette vidéo même contre paiement, car ils ont le droit de décider en fonction du contenu.

Cette question a lancé une controverse en Jamaïque, un pays largement considéré comme homophobe,  en partie à cause de ceci [5] et ceci [6].  Le débat semble surtout prendre place dans les médias traditionnels [7], que ce soit dans la section commentaires des journaux en ligne [3]les courrier des lecteurs, [8] et les émissions télé.  Il y a eu quelques discussions sur Twitter [9], et quelques blogueurs ont commenté la question [10], en publiant au passage la vidéo du message sur leurs blogs [11].

Pour examiner de plus près la controverse, j'ai demandé à Annie Paul [12], qui vit en Jamaïque, et à deux blogueurs de la diaspora, Kathy Stanley [13] (dont le cousin, un activiste gay  connu, a été assassiné en juin 2004) [14] et Kei Miller [15] (qui a beaucoup écrit sur l'homophobie en Jamaïque) [16] de partager leurs réflexions.  Annie [17] est responsable de publication pour le  Sir Arthur Lewis Institute of Social and Economic Studies [18] à l'University of the West Indies, Mona campus [19] et éditrice-fondatrice du journal Small Axe [20]. Kei est un auteur et éducateur dont le recueil de nouvelles sur  la question de l'homosexualité en Jamaïque [21] a été sélectionnée en 2007 pour le Commonwealth Writer's Prize [22] (Prix de l'écrivain du Commonwealth).  Il enseigne actuellement l'écriture créative à lUniversity of Glasgow [23]. Kathy est un écrivain et poète [24] et a aussi une passion pour la protection de l'environnement. [25] Elle est sur le point d'entamer sa maîtrise.

LES MESSAGES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL ET LES MÉDIAS
Global Voices : Dans quelle mesure  l'attitude du public envers le message (bien qu'il soit visible en ligne) a-t-elle été influencée par le fait que les médias le qualifie de “pro-gay” plutôt que de “pro-tolérance” ?

Annie Paul : Le message a été publié sur YouTube [4] donc la plupart des gens qui sont connectés l'ont vu.  Il y a un tel sentiment général anti-gay que je ne pense pas que les médias aient grand chose à faire pour le rendre plus négatif dans l'opinion publique.

Kei Miller : J'avoue que je ne peux pas parler avec certitude sur ce qui s'est passé en Jamaïque et comment ça s'est passé vu que je me trouvais en Écosse à ce moment là.  Coïncidence bizarre, l'Écosse c'est là où Matthew (qui est au centre du message controversé) vit, et je l'ai invité à diner pour entendre son point de vue, mais on ne s'est pas encore rencontrés.  Pour parler franchement, ces derniers temps l’Observer [26] ne m'a pas paru être un exemple de journal responsable et ce genre de journalisme bâclé qui ne s'intéresse pas aux nuances mais au gros titres les plus controversés qui pourraient créer des problèmes et attirer un lectorat plus large et plus indigné est typique.  Mais pour être juste je ne peux pas imaginer que la subtilité ferait une différence en Jamaïque, ‘pro-gay’ plutôt que ‘pro-tolérance’.  Vous voyez, à partir du moment où l'on a su que le sujet était l'homosexualité et que le message ne la condamnait pas, la publicité allait être qualifiée de pro-gay.  Cela me semble inévitable.

GV : Il me semble que l'un des quotidiens a publié un éditorial en faveur du droit des gays.  Pensez-vous que certains  médias jamaïquains sont plus progressistes que d'autres sur ce sujet ?

AP : Oh oui !  Ce n'est en aucun cas une réponse universelle.  Nationwide Radio [27] a parlé du sujet pendant deux ou trois jours en diffusant l'audio du message d'intérêt général et en essayant de comprendre quelles étaient les objections.  Dionne Jackson-Miller [28] qui travaille pour RJR en a parlé aussi même si sa propre station ne lui a pas permis de diffuser des extraits du message.  Sur Double Standards [29], qui est un programme diffusé par la radio Newstalk 93 présenté par Yvette Rowe et moi-même, nous avons enregistré une émission d'une heure, qui sera diffusée le mois prochain, où nous parlons des réactions au message avec le directeur exécutif de JFLAG.  Une chose intéressante qu'il nous a dite est que l'une des deux principales chaines de télévision, CVM [30], avait dit à JFLAG qu'ils ne seraient pas opposé à diffuser le message si TVJ [31] le diffusait.

KM : Oui, je crois.  Il me semble qu'au moins The Gleaner [32] invite à une discussion plus ouverte sur le sujet.  Leurs éditoriaux, leurs chroniqueurs et certaines des lettres à l'éditeur qui ont été publiées ont vraiment osé défier l'homophobie jamaïcaine.  D'autres journaux (dont la publication sœur du Gleaner, The Star) ont paru plus chercher à exacerber les réactions qu'à ouvrir la discussion.  Parfois cette tentation facile de provoquer la controverse et la colère et la haine me semblent irresponsables.  Le sujet de l'homosexualité est toujours un moyen garanti d'énerver les Jamaïcains et de les faire parler sans écouter.

GV : D'après vous, quelle est la principale raison du refus des stations de diffuser le clip ?  Est-ce que les chaines ont peur de représailles, qu'elles soient illégales (des homophobes qui réagiraient de façon extrémiste) ou “légales” (le gouvernement ou des annonceurs retirant leurs pubs ou les spectateurs boycottant la stations) ?

AP : Kay Osborne, la directrice de TVJ, a indiqué dans un article du Sunday Observer [7] que la décision de TVJ de ne pas diffuser le message était que “la culture des “Jamaïcains bons et qui respectent  la morale et  l'éthique, ne défendait pas l'homosexualité pour le moment.”  En même temps, elle demande aux Jamaïcains d'être plus ouverts au dialogue sur des sujets comme celui-ci qui semblent assez contradictoires.  Mais oui, on dirait qu'il y a une peur irrationnelle que les budgets publicitaires soient coupés et la réticence naturelle à la prise de risque des médias ici.

KM : La lâcheté.  Les commentaires de Mme Osbourne me paraissent être une bizarre tentative d'avoir le beurre et l'argent du beurre en condamnant la discrimination des Jamaïcains tout en confirmant la position de la chaine dans cette discrimination.

GV : Vous voyez la position des médias jamaïcains comme un nouvel exemple de leur manque de caractère.  Vous pouvez développer ?

AP : Oui, je trouve que les médias jamaïcains ont trop souvent tendance à “invoquer le cinquième amendement” (pour utiliser une expression américaine) plutôt que d'exposer la vérité.  Dans cette société, c'est spécialement vrai pour ceux qui ont de l'argent, et donc du pouvoir.  Je suis consternée de voir avec quelle rapidité les médias jamaïcains utilisent les lois sur la diffamation, reconnues draconiennes,  pour s'auto-censurer, comme ils utilisent les lois sur la sodomie pour ne pas diffuser ce qui est clairement n'est pas un message populaire.

Récemment, regardez pendant combien de temps les médias se sont abstenu de nommer le suspect dans le meurtre du X6 [33] sous prétexte que la police n'avait pas donné son nom [34] ! En Angleterre, la police n'a pas indiqué le nom de l'éditeur de News of the World, Rebekah Brooks, quand ils l'ont arrêtée, ils ont juste parlé d'une ‘femme de 44 ans’.  Est-ce que cela a empêché les médias d'étaler son nom à la une ?  Non !  Parce que tout média digne de ce nom a la capacité de découvrir la vérité et de la publier sans attendre une annonce des relations publiques de la police.

Mais cela n'arriverait jamais en Jamaïque. [35] Si Brooks avait été arrêtée en Jamaïque son nom serait toujours tenu secret.  A l'opposé, ceux qui n'ont pas d'argent ou de pouvoir sont traités de façon scandaleuse : la photo et le nom de Dog Paw [36] ont été repris partout dans les médias avec des assertions qu'il avait commandité plusieurs meurtres alors que le procès n'a pas encore commencé.

Annie Paul, blogueuse basée en Jamaïque,

L'INFLUENCE RELIGIEUSE
GV : Il semble que certains groupes religieux se sont beaucoup exprimé sur la question.  Pour citer l'article de l’Observer, pourquoi est-ce que “les réactions des pasteurs”sont considérées comme une part importante de l'opinion publique et ont une telle influence sur la diffusion de la pub ?

AP : Oh vous ne connaissez pas la Jamaïque !  C'est une société férocement ‘chrétienne’ avec des Églises de différentes dénominations qui ont une influence disproportionnée.  D'un autre côté, les prêtres et les religieux se sont insurgés et ont tempêté contre les mariages nus à l'hôtel l'hédoniste il y a quelques années et contre le couple nu du monument de l'Émancipation mais n'ont pas rallié beaucoup de soutien.  Leurs protestations ont plus ou moins été ignorées et n'ont pas eu de résultats et il n'est pas clair pourquoi dans ce cas leur opinion semble avoir beaucoup plus de poids.

KM : Les réactions des pasteurs sont considérées comme une part importante de l'opinion publique parce qu'elles le sont vraiment.  J'ai écrit sur le sujet récemment, dans un contexte plus universitaire, sur la structure de la sphère publique en Jamaïque.  Et la religion occupe une part énorme de cet espace.  Ce serait une erreur de penser que les opinions religieuses fondamentalistes sont distinctes de la sphère publique et que seule une petite partie de la société les suit.  Mais bien sûr la sphère publique est un espace de discussion et de contestation et ce qu'il faut rejeter c'est le sentiment que certaines idées ne peuvent même pas être discutées, remises en cause ou débattues.

La blogueuse de la diaspora jamaïcaine Kathy Stanley

La blogueuse de la diaspora Kathy Stanley a une opinion légèrement différente :

KS : Je ne comprends pas pourquoi les pasteurs, qui malheureusement manquent de vraies connaissances sur l'homosexualité, sont considérés comme des sages à consulter pour connaître leurs réactions.  C'est triste mais ils proclament la croyance ridicule que l'homosexualité est un “choix de vie”.  Et que si vous acceptez les gays, cela veut dire qu'ils vont dominer notre société.  Ces idées feraient rire si ce n'était pas tragiquement sérieux et ne causait pas les meurtres de gens biens.  L'homosexualité n'est pas un choix de vie.  C'est un fait bien établi.  Dire le contraire est prouver son ignorance sur les sujet.  Ces opinions arriérées et incultes sont en partie la raison pour laquelle il y a tant de désinformation et d'intolérance …malheureusement les pasteurs ont de l'influence. Comme en ont aussi ces chanteurs révoltants avec leurs paroles anti-gay dans leurs chansons.  Il y a un manque systématique d'information qui cause l'intolérance.

LA LUTTE POUR L’ ÉGALITÉ DES DROITS
GV : Est-ce une bataille perdue d'avance de se battre pour l'égalité des droits des homosexuels dans le contexte jamaïcain ou pensez-vous que ce sont les opinions [3] d'une minorité bruyante ?

AP : Cela va être une longue et difficile bataille, JFLAG se mentirait si ils pensaient différemment, mais les choses changent lentement.  Quand nous avons interviewé Dane Lewis, le directeur exécutif de JFLAG, pour Double Standards, il a reconnu qu'il y a 10 ans les stations de radio n'auraient jamais accepté de diffuser quelques discussions que ce soient sur le sujet, comme elles le font aujourd'hui.  L'Observer a dédié pas mal de colonnes à des histoires sur le sort des hommes homosexuels sans-abris.

KM: Non, je ne pense pas du tout que ce soit une minorité bruyante.  Vous savez, quelquefois vous pensez que les choses ne vont pas si mal en Jamaïque.  Ca dépend d'où vous êtes dans le pays.  Si vous faîtes partie des cercles universitaires par exemple, il est facile de penser que les attitudes jamaïcaines sont en train de changer et deviennent plus nuancées, mais avec une situation comme celle ci on se rappelle que le sentiment dominant et le plus répandu est le manque de réflexion général, et la raison pour laquelle il faut encore de l'activisme.

KS : Je pense que l'on doit toujours se battre pour les droits humains, sans considération pour la difficulté de la bataille.  Parce que ce combat est à propos de ça.  C'est une question de droits humains.  On n'abandonne pas les autres combats pour les droits humains.

GV :  On dirait que les gens confondent homosexualité et sodomie, homosexualité et pédophilie, homosexualité et criminalité.  Qu'est-ce que vous en pensez ?

AP : Oui, la routine est là.  Le problème est qu'à cause des lois sur la sodomie [37] toute personne qui admet être homosexuel est considéré comme violant la loi.  Et malheureusement dans la plupart des sociétés le viol d'un jeune garçon est considéré comme bien plus grave que le viol d'une jeune fille, c'est un double standard.  Pourtant la société jamaïcaine est assez tolérante avec la criminalité rampante, donc à nouveau, ce n'est pas clair pourquoi les gens réagissent si fortement sur la sodomie entre adultes, même si sur la papier c'est un crime, alors qu'ils aiment bien Buju Banton [38]Jah Cure [39],Dudus [40] et d'autres qui ont été reconnus coupables ou condamnés pour des crimes beaucoup plus graves.

KS : L'inculture est omniprésente.  Oui, ils confondent homosexualité avec criminalité.  Mais les lois jamaïcaines sur la sodomie et le gouvernement n'ont pas aidé.  Le premier ministre a dit publiquement qu'il n'aurait pas de gays dans son gouvernement.  Comment sait-il qui est gay ou non ?  Le gouvernement jamaïcain et sa propre intolérance et son refus de gérer des lois arriérées et dépassées est aussi part du problème ici.

GV : Annie a dit dans ce billet [10] que “le statut et le bien-être des citoyens continue d'évoluer en dent de scie avec un pas en avant et deux pas en arrière.”   La question de l'homosexualité dans le contexte jamaïcain est si intéressante et complexe : comment est-ce qu'une organisation comme J-FLAF avance-t-elle ?  Comment est-ce que les Jamaïcains fonctionnent dans cette structure oppressive et compliquée ?

KM : Oh je ne sais pas pour J-FLAG et j'aimerais vraiment recentrer quelques uns de ces activistes pour mieux comprendre leur histoire et leurs combats présents et passés, et si ils ont le sentiment d'avancer et de reculer.  Les gays jamaïcains fonctionnent dans la société comme j'imagine que tous les groupes opprimés fonctionnent, avec des subterfuges, en inventant un langage codé, en trouvant des moyens miraculeux d'être à la fois visibles et invisibles, flamboyants et camouflés, bruyants et silencieux.  Et quelquefois vous le voyez dans les endroits les plus improbables, dans le chœur à l'église, ou dans des lieux de la culture folklorique comme Jonkanoo et vous pensez que c'est incroyable.

AP : Je pense qu'en fait la Jamaïque grogne plus qu'elle ne mord.  Si vous étudiez le nombre de personnes actuellement tuées uniquement parce qu'elles sont gays ou différentes, il n'y en pas tant que ça, spécialement comparé au taux global d'homicide.  En même temps c'est déstabilisant de vivre avec un chien qui montrer ses crocs en permanence, qui grogne et qui aboie même si il ne mord que rarement.

Pour les personnes intéressées par des lectures des choses plus nuancées sur l'homophobie jamaïcaine si décriée, je recommande les blog de Kei Miller Under the Saltire Flag [15] (Sous le signe du sautoir) et des billets comme Contradictory Instructions: Elephant Man’s 2001 hit ‘Log On’ [41] ou On Effeminacy [42] (De l'efféminité).

Je recommande aussi fortement son dernier recueil de poèmes A Light Song of Light [43] (Une légère chanson de lumière) et en particulier le poème en prose A Smaller Song (Une chanson plus petite) qui parle directement de la façon dont les gays jamaïcains non seulement se débrouillent pour vivre mais aussi profitent de la vie.

Il y a aussi Fiyu Pikni, qui tient le blog Gay Jamaicans United [44] (Union des gays jamaicains). Il a écrit plusieurs papiers qui donnent du contexte sur le sujet.

LE RÔLE DES MÉDIAS SOCIAUX
GV : Est-ce que les gros problèmes de la Jamaïque (dans ce cas l'homophobie) peuvent être résolus sans les médias comme partenaire responsable ?  Et quel rôle est-ce que les médias sociaux ont à jouer ?

AP : Non, je ne pense pas que nous avancerons beaucoup dans l'aide des médias.  La réticence des chaines de télé à soutenir ce qui est sans conteste une cause digne d'intérêt rend encore plus ardue une tâche déjà difficile.  Vous n'avez pas à courber l'échine devant des lois dépassées et injustes et des coutumes inhumaines au nom de morales publiques douteuses ou de traditions locales, si faire changer les choses demande que vous défiiez une loi absurde dont la date d'expiration a été dépassée il y a plus de cent ans, alors, vous suivez l'exemple de la légion de grands hommes et femmes qui nous montré comment le faire tout au long de l'histoire : Rosa Parks ; Marcus Garvey ; Mahatma Gandhi ; Nelson Mandela pour en citer quelques uns. Ils ont tous refusé la culture de leur époque et se sont rebellés contre ce qui était considéré comme “bon, moral et étique” dans des systèmes que nous considérons aujourd'hui comme contraires à l'éthique et inhumains.

Ce qui est ironique, c'est que beaucoup des personnalités de la télé et de la radio, et même des médias écrits, SONT gays mais n'osent pas l'admettre.  Je ne pense pas non plus que quoi que ce soit puisse vraiment changer tant que des homosexuels forts ne prendront pas leur courage à deux mains et ne feront pas leur coming out.  Pour le moment, ce sont les jeunes homosexuels pauvres qui refusent de rester cachés et qui se font maltraiter.  Ce n'est pas juste.

Les médias sociaux offrent d'excellentes opportunités de lancer des campagnes éducatives et des communications intelligentes, mais je ne suis pas sûre qu'ils soient utilisés pleinement.

KS : Je pense que les médias sociaux ont un rôle crucial à jouer.  Les commentaires que j'ai vus sur Twitter dénigraient TVJ pour ne pas diffuser la pub et soutenaient les gays.  Le journalisme citoyen est très important ici et fait avancer la culture et l'opinion publique même quand les médias traditionnels échouent.  C'est quelque chose que nous voyons partout dans le monde avec les questions des droits humains.

L'auteur et blogueur Kei Miller

INFLUENCE EXTERNES
GV : Ce qui est frappant c'est la notion, explicite ou implicite, que les “personnes de l'extérieur” n'ont pas le droit d'exprimer une opinion ou de faire quoi que ce soit regardant l'homophobie en Jamaïque.   C'est souvent comparé à du néocolonialisme.  Qu'est-ce que vous en dîtes ?

AP : Et bien , je pense que certaines personnes de l'extérieur n'ont pas été assez sensibles aux réalités sur le terrain et attentives aux particularités de la Jamaïque.  Il y a une tendance à l'auto-satisfaction et un arrogant présupposé qu'ils savent ce qu'il faut faire, comme les missionnaires il y a deux cent ans , si certains de leurs “missions de sauvetage” envers diverses populations qualifiées de ‘païennes’.  Kei a superbement décrit ce problème récemment sur son blog [41].

KM : Ma position sur ce sujet est compliquée.  Je suis plutôt d'accord avec le point de vue des “gens de l'extérieur” mais je ne le trouve pas utile.  J'ai déjà écrit sur le sujet et c'est un problème d'attitude.  Je pense que trop souvent l'attitude des gens extérieurs semble de l'auto-satisfaction, comme une validation de leur propre moralité et, j'imagine, de la sauvagerie ou du côté arriéré des Jamaïcains.  Et quand les Jamaïcains ressentent ce mépris, nous réagissons de façon vraiment malheureuse.  Nous affirmons notre droit à l'homophobie et je pense qu'en fin de compte, ça renforce notre haine plutôt que de la remettre en cause de façon constructive.

KS : Parfois on a besoin d'un éclairage extérieur pour faire changer les choses.  Est-ce que c'était du néocolonialisme quand les Alliés ont décidé de venir sauver les juifs et les européens du nazisme ?  Est-ce du néocolonialisme quand les écrivains et les organisations pour les droits humains occidentaux défendent les prisonniers victimes de torture, les dissidents chinois les tibétains dont le pays est occupé ?  Est-ce que c'était du néocolonialisme quand les occidentaux critiquaient l'apartheid en Afrique du Sud ?  Est-ce du néocolonialisme quand les défenseurs des droits humains critiquent des corporations comme Shell qui sont les plus grands pollueurs d'Afrique ?  Partout dans le monde des gens parlent pour ceux qui sont en position de faiblesse, privés de liberté et persécutés.  Nous sommes tous des êtres humains et nos coeurs s'ouvrent pour ceux qui souffrent.  Les Jamaïcains peuvent prendre tout le temps qu'ils veulent, débattre et argumenter sur ce qu'il faut faire et ne pas faire, mais le monde les a abandonnés sur cette question.  C'est une question de droits humains.  En tant que jamaïcain et que personne qui a perdu un membre cher de ma famille à cause de cette haine et de cette intolérance, je suis fier de JFLAG et de tous les jamaïcains qui prennent position.

RACE ET CLASSE
GV : Finalement, pour ce qui est de la pub elle-même, pensez-vous que l'appartenance ethnique des Straws (métisses mais à la peau claire) a quelque chose à voir avec la façon dont les gens ont réagi, vu l'opinion dans certaines parties des Caraïbes que l'homosexualité est quelque chose “d'étranger” ou une perversion des classes supérieures ?

AP : Bien sûr que cela joue un rôle dans cette histoire.  Mais les questions de race et de couleur [45] sont taboues dans la sphère publique jamaïcaine donc personne ne l'a vraiment mentionné, mais bien sûr en privé ce doit être  un sujet de discussion.

Dans l'optique qu'il y a eu une “invasion” du corps politique jamaïcain par des intérêts “étrangers”, il y a une relation entre les ravages de la mondialisation et la population homosexuelle.  Il y a beaucoup de discussions sur un “agenda gay” qui est sensé être derrière des initiatives comme le message d'intérêt public dont nous parlons.  Cela vient du fait que les relations avec le “monde développé” sur lequel les pays comme la Jamaïque dépendent pour du soutien et diverses assistances, sont contingentes à accepter un discours hégémonique sur les droits humains qui est perçu comme étant aux antipodes de la culture jamaïcaine.  Les changements culturels que les forces de la mondialisation engendrent provoquent parfois du ressentiment et de l'anxiété, et ironiquement sont peut-être perçues comme une violence aussi traumatisante que d'être sodomisé, je ne sais pas, c'est juste une théorie, et c'est peut être pourquoi il y a une malheureuse connexion avec l'homosexualité masculine ?  Je ne sais pas, je sais que tant que cette réaction d'association avec les démons de la mondialisation ne sera pas détruite, ce sera difficile pour les homosexuels de se sentir acceptés.  C'est pourquoi c'est une lutte qui doit être menée ici, à la maison, par les jamaïcains, pour les jamaïcains, sans pressions ou interférences extérieures exagérées.

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